Au cours de l’émission “Touche pas à mon poste” (TPMP) sur la chaîne française privée C8, jeudi 10 novembre, le ton est rapidement monté entre l’animateur Cyril Hanouna et le député de La France Insoumise (LFI), Louis Boyard.
En effet, le célèbre animateur n’a pas apprécié les critiques adressées par le député de la gauche envers son patron, Vincent Bolloré, et l’a fait savoir à son invité en proférant un florilège d’insultes et grossièretés.
L’incident aurait pu être un simple show dans une émission, mais en réalité cela va beaucoup plus loin.
En effet, depuis quelques années, plusieurs associations dont l’Observatoire des Médias “Action – Critique – Médias” (ACRIMED), alertent sur la concentration des médias aux mains des milliardaires.
Dans cette émission, Louis Boyard critiquait simplement Vincent Bolloré, propriétaire entre autres de la chaîne C8, dont Hanouna est la vedette, en pointant “ses activités d’esclavage moderne en Afrique”.
Mais, à plusieurs reprises, l’animateur a demandé au député de “se taire” et a proféré des insultes. Après l’émission, Louis Boyard a écrit sur son compte Twitter : “Cyril Hanouna vient de m’insulter pour avoir critiqué Bolloré, propriétaire de sa chaîne. Hanouna est aussi irresponsable avec la liberté d’expression qu’avec l’extrême droite. La France prend un tournant inquiétant”.
– La France prend-elle vraiment un tournant inquiétant ?
Il faut dire que la violence des attaques n’est pas nouvelle. D’ailleurs, Cyril Hanouna est régulièrement accusé d’être le porte-voix de son patron, accusé à son tour de faire main basse sur les médias en France.
En effet, il ressort d’une enquête du média d’investigation StreetPress, publiée le 24 octobre dernier, que “depuis le rachat du premier groupe de presse magazine de France, Prisma Média, par Bolloré, ses journaux télés font la pub d’Hanouna et des films de Canal+ [..] et Capital (magazine économique) ne fait plus d’enquête”.
Racheté par Bolloré pour seulement 170 millions d’euros, Prisma Média regroupait des magazines qui touchent pourtant 40 millions de Français.
Mais depuis le rachat, 130 journalistes sur 400 ont quitté le groupe “sous pression”, comme le confirme StreetPress. Au-delà de la concentration des médias, c’est surtout la fin de la pluralité qui pose un sérieux problème aux défenseurs des médias libres.
En effet, malgré les promesses, StreetPress confirme l’ingérence de la direction actuelle, dont le fils de Bolloré, dans la rédaction des articles.
On y apprend ainsi qu’Eric Zemmour, candidat malheureux à la présidentielle de cette année, a bénéficié d’un traitement de faveur. “Le rédacteur de la revue people avait écrit un premier texte acerbe qui taclait ce politique ultra-conservateur prônant des valeurs traditionnelles, qui trompe son épouse avec une femme beaucoup plus jeune”, affirme le journal qui explique que l’article avait été “édulcoré” par le service juridique.
De même, l’enquête dévoilera que des articles à charge contre Bolloré dans divers magazines de médias ont depuis disparu.
Parlant d’un climat de peur, une ancienne journaliste explique à StreePress que “Bolloré n’a rien à faire, les gens s’aplatissent d’eux-mêmes”.
– Concentration et financiarisation des médias
Bien avant que cet incident significatif du climat actuel qui prévaut dans les médias français n’éclate, la revue trimestrielle “Médiacritiques”, éditée par l’ACRIMED, avait consacré sa Une du 30 septembre 2022 à la “concentration et financiarisation des médias”, notamment le cas de Bolloré.
Le média rappelle, ainsi, que “la voracité de Vincent Bolloré pour étendre son empire a occulté les autres mouvements de concentration qui ont touché le paysage médiatique (et le monde de l’édition) ces derniers mois, à commencer par le projet (avorté) de fusion TF1-M6”. En effet, TF1 qui appartient à la famille Bouygues tente de racheter un autre poids lourd de la télévision, le groupe M6.
Pourtant, d’après Médiacritiques, et face à la gourmandise des milliardaires, le Sénat a mis en place une commission d’enquête entendant “mettre en lumière les processus ayant permis ou pouvant aboutir à une concentration dans les médias en France, et […] évaluer l’impact de cette concentration sur la démocratie”. Cependant, cinq mois plus tard, malgré de nombreuses auditions – dont celles d’ACRIMED et des propriétaires de médias –, le rapport de la commission sénatoriale est resté bien trop timide”.
Médiacritiques explique que la “situation est préoccupante” tant que “des propriétaires qui ne se privent pas de peser sur la ligne éditoriale de leur média, notamment en période électorale” et que “les aides aillent toujours aux plus riches”.
– “90% des médias aux mains de 10 milliardaires”
Depuis 2017, un chiffre circule sur la détention des médias par les milliardaires. Ainsi, Gérard Filoche, syndicaliste et homme politique, a publié, le 1 novembre courant, sur son compte Twitter, un graphique dans lequel on voit 10 milliardaires français ainsi que quelques-uns des médias qu’ils possèdent. Le Tweet est accompagné du commentaire suivant : “Un groupe de 10 milliardaires pèse 90% des ventes de quotidiens nationaux, 55% de l’audience des télés, et 40% de celle des radios”.
En fait, ce chiffre est contesté par certains médias dont Libération. Le service de vérification de fausses informations “Check News” a publié en février dernier un long article sur ce sujet.
“Est-il vrai que « 90% des grands médias appartiennent à neuf milliardaires ?”, se demandait le journal qui appartenait à Patrick Drahi, dont le nom figure sur la liste de ces fameux milliardaires. Cet homme d’affaires, qui possède plusieurs médias, dont BFM TV et L’Express, a cédé le journal Libération, aux Fonds de dotation pour une presse indépendante depuis 2020.
“Ce fond à but non lucratif dont le conseil d’administration est toutefois composé, pour l’heure, de trois hauts cadres et dirigeants d’Altice, et dont le président est Arthur Dreyfuss, secrétaire général d’Altice France”. Ironie du sort, le groupe Altice appartient pourtant à Patrick Drahi.
D’ailleurs, ce dernier a intenté un procès contre le média d’investigations “Reflets-Info” qui avait révélé “son train de vie super luxueux grâce à son argent transféré dans les paradis fiscaux”. Après la publication d’une première série sur l’homme d’affaires, la justice a interdit au média “Reflets-Info” d’écrire de nouveaux articles sous prétexte que cela pouvait nuire “au secret d’affaires”. En clair, avant même la publication, Drahi a obtenu de la justice une censure sur des informations qui sont néanmoins d’utilité publique et surtout accessibles par tous.
Quoi qu’il en soit, Libération estime pour sa part que 11 milliardaires français détiennent “81% de la presse quotidienne nationale généraliste”.
Cela reste dans des proportions inquiétantes pour la démocratie française, d’autant plus que ces mêmes industriels possèdent également “95% de la presse hebdomadaire (magazine) nationale généraliste”.
Anadolu Agency