Le coup d’État militaire qui a renversé le président nigérian Mohamed Bazoum le 26 juillet s’est révélé aussi résolu que rapide.
À la suite du renversement du gouvernement, l’administration militaire du Niger s’est montrée réticente aux propositions des États-Unis, alors que d’autres puissances mondiales et des blocs régionaux ont privilégié la voie diplomatique afin de restaurer l’ordre constitutionnel du pays, refusant toute ingérence.
Un peu plus de deux semaines après le coup d’État, la secrétaire d’État par intérim Victoria Nuland a effectué une visite inopinée au Niger, au cours de laquelle elle a rencontré des responsables militaires, dont l’un des ”putschistes autoproclamés”, le général Moussa Salaou Barmou, pour des négociations visant à restaurer le gouvernement de Bazoum.
Sa visite, menée à la demande du Secrétaire d’État Antony Blinken, s’est achevée sans avancée diplomatique majeure. Nuland a qualifié ces discussions ‘’de claires et parfois assez difficiles’’.
La diplomate a quitté Niamey, la capitale nigérienne, les mains vides alors que les questions se multiplient quant à une éventuelle résolution négociée de la crise.
Ken Opalo, directeur par intérim du programme d’études africaines à l’université de Georgetown, estime ‘’qu’il est déjà trop tard’’.
‘’Je ne pense pas que le coup d’État puisse être déjoué. Restaurer Bazoum ne ferait que démontrer les points faibles de son administration (et de celle qui l’a précédé) – à savoir la brutalité et les crimes commis par les forces de sécurité, l’incapacité à répondre aux besoins matériels des Nigérians’’, a-t-il déclaré à Anadolu dans un entretien par courrier électronique.
Une évaluation tout aussi austère a été proposée par Chester Crocker, ancien secrétaire d’État adjoint pour les affaires africaines, qui a déclaré : ‘’Il ne faut jamais dire jamais quant aux perspectives de restauration du processus démocratique au Niger. Au fil des jours, on croit presque ce coup d’État est une évidence.’’
Le Département d’État affirme qu’il ‘’reste concentré sur les efforts diplomatiques en faveur d’une résolution pacifique visant à préserver la démocratie au Niger’’.
‘’Nous souhaitons tous une fin pacifique à cette crise et la préservation de l’ordre constitutionnel. Cette situation au Niger reste critique et nous la suivons de près’’, a déclaré un porte-parole du département dans un échange de courrier électronique avec Anadolu sous couvert d’anonymat.
Recourir à la force ou pas ?
Bien que Mohamed Bazoum ait pris officiellement ses fonctions lors de la première transition démocratique au Niger, le président nigérien fait aujourd’hui l’objet de plusieurs accusations.
Freedom House, une organisation non-gouvernementale financée par le gouvernement américain, qui étudie l’étendue de la démocratie dans le monde, a déclaré que le Parti nigérian pour la démocratie et le socialisme de Bazoum s’efforce de coopter les partis d’opposition, qui, selon elle, ‘’ont été divisés en plusieurs coalitions et sont incapables de défier l’ancien parti au pouvoir’’.
Qualifiant le Niger comme ‘’partiellement libre’’, Freedom House est revenue sur les décisions répressives contre des rassemblements en 2022 et les efforts du gouvernement pour restreindre les activités des organisations non gouvernementales.
L’ONG a également noté que le système judiciaire ‘’est soumis à l’ingérence de l’exécutif’’, notant que ‘’le manque de confiance dans le système judiciaire est due aux décisions offensives contre les opposants et les activistes de la société civile’’.
À la suite du coup d’État militaire de fin juillet, il y a eu une résistance notable au sein de l’administration Biden à toute forme d’intervention militaire pour restaurer le gouvernement de Bazoum, contrairement à la France qui s’est montrée favorable à des opérations militaires au Niger, son ancienne colonie.
Interrogé sur les raisons de la réticence de Washington quant aux interventions militaires, Opalo a déclaré que les États-Unis souhaitent ‘’principalement’’ préserver ‘’un minimum de stabilité’’ au Niger pour pouvoir poursuivre leurs opérations antiterroristes dans le pays, où ils ont déployé environ 1 100 soldats.
Les États-Unis et la France ont tous les deux utilisé des bases au Niger pour mener des opérations contre les groupes terroristes Daech et Al-Qaïda dans la région.
Alors que Washington s’est positionné pour une résolution pacifique de la crise par les voies diplomatiques, la France penche plutôt vers une intervention armée de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’ouest (Cédéao).
Opalo est revenu sur cette divergence, expliquant qu’il ne s’agit pas d’une ‘’compétition entre deux pays et affirmant que les États-Unis ‘’préfèrent avoir la France comme multiplicateur de force en Afrique de l’Ouest’’.
Les États-Unis exploitent leur deuxième plus grande base en Afrique, connue sous le nom de Base aérienne 201, près de la ville nigérienne d’Agadez et l’utilisent pour mener des opérations de drones au Niger et au-delà. Elle mène également ses opérations depuis une base proche de Niamey.
La politique de la corde raide de la Cédéao
La Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao) a menacé à plusieurs reprises de lancer une opération militaire pour le retour à l’ordre constitutionnel, fixant un ultimatum menaçant le conseil militaire d’intervention militaire.
Cependant, Opalo assuré que la Cédéao ‘’n’a pas la capacité de mener de telles opérations’’, et ne serait ‘’pas en mesure de rétablir l’ordre’’.
Il a, en effet, qualifié les discussions sur l’intervention de ‘’politique de la corde raide’’ visant à forcer l’administration militaire ‘’à se mettre d’accord sur un calendrier pour le retour à un régime civil et à s’assurer qu’elle ne nuira pas à Bazoum’’.
”C’est également un signal performatif adressé à leurs populations (et à leurs armées) que la région ne tolérera plus de coups d’État militaires. Les États-Unis sont probablement en train de discuter discrètement avec le Nigeria et d’autres États de la Cédéao pour qu’ils ne franchissent pas le pas”, a-t-il lancé.
S’exprimant à Anadolu, le porte-parole du Département d’État a déclaré que les dirigeants de la Cédéao ont ‘’publiquement indiqué que l’intervention militaire était un dernier recours’’, soulignant que ”les diplomates œuvrent avec le bloc régional à trouver une issue diplomatique”.
“Le président nigérian Bola Tinubu a également réitéré l’importance de donner la priorité aux négociations diplomatiques et au dialogue’’, a déclaré le porte-parole.
‘’La démocratie est le meilleur fondement du développement, de la cohésion sociale et de la stabilité au Niger. Nous sommes aux côtés du peuple nigérian pour travailler à la réalisation de ces objectifs”, soulignent les Etats-Unis.
Le facteur Russie
Pendant ce temps, les échanges entre armées nigérienne et française sur le retrait de certains éléments militaires français au Niger se poursuivent, Niamey accuse Paris de s’ingérer dans ses affaires intérieures.
Au milieu des efforts diplomatiques, l’administration Biden est face à un choix difficile : elle hésite à qualifier les événements du Niger de ‘’coup d’État’’, un terme déjà opté par plusieurs pays à travers le monde.
L’enjeu pour le Département d’État réside dans les restrictions inscrites dans la loi américaine qui seraient déclenchées si une telle décision était prise, notamment la réduction de certaines formes d’assistance étrangère à Niamey, y compris l’arrêt de toute aide militaire.
En revanche, une loi connue sous le nom d’article 7008 n’établit pas de délai obligatoire pour que le secrétaire d’État prenne une décision au sujet du coup d’État, ce qui permet à Blinken de poursuivre ses efforts diplomatiques.
Opalo a déclaré que le Département d’État qualifierait ‘’à terme’’ le renversement du gouvernement de Bazoum de coup d’État, indiquant que ‘’les États-Unis essaieront de gagner autant de temps que possible tant qu’il y aura une possibilité de dialogue’’.
“Ils pourraient finalement citer les résultats de l’Union africaine ou de la CEDEAO comme preuve que le ‘’processus légitime’’ a conduit à la formation d’un gouvernement à Niamey avec lequel ils peuvent travailler. Les États-Unis pourraient aussi dire qu’ils coopéraient avec un gouvernement étranger sans aide directe’’, a-t-il expliqué
Crocker, ancien diplomate américain de haut rang, aujourd’hui, chercheur à l’Institut d’étude de la diplomatie de Georgetown, a déclaré qu’il y a peut-être encore de l’espoir que l’administration militaire du Niger s’engage dans un dialogue national visant au retour à l’ordre constitutionnel, restant toutefois dans l’incertitude quant à cette hypothèse.
‘’Les officiers militaires eux-mêmes au Niger doivent déterminer où ils vont et avec qui ils le font. Ils devront peut-être négocier. Peut-être pas avec nous, mais avec d’autres éléments de la société nigériane’’, a-t-il déclaré.
Et de poursuivre, ‘’ce que j’ai constaté jusqu’à présent, les putschistes sont contre l’idée d’une transition vers un régime légitime’’.
Alors que les décideurs américains évaluent l’éventualité d’un coup d’État, ils seront certainement attentifs à tout avantage possible dont la Russie pourrait profiter si l’aide américaine devait être réduite, a déclaré Crocker.
Il a toutefois noté que la situation en Russie ‘’est assez floue’’, particulièrement après sa collaboration avec le Groupe Wagner pour étendre son influence en Afrique, dont le Sahel.
‘’Nous ne savons pas dans quelle mesure le GRU (service de renseignement militaire de la Fédération de Russie) pourrait être le successeur du groupe Wagner. Nous savons que Prigojine a connu sa fin, en partie parce qu’il voulait maintenir ses affaires en Afrique. Une décision rejetée par les Russes’’, a-t-il déclaré.
Crocker s’est néanmoins dit “sûr” que la Russie restait “un facteur” dans les délibérations.
‘’Nous continuons à suivre cette situation. Nous ne voulons pas voir des amis importants, et le Niger auparavant un ami important, devenu soudainement dépendant d’une manière ou d’une autre puissance adversaire, qu’est la Russie’’, a-t-il conclu.
Anadolu Agency