Les relations entre le Rwanda et la République démocratique du Congo ne cessent de se dégrader autour de la situation sécuritaire au Nord-Kivu. Accusé par Kinshasa, mais également par l’ONU et les Etats-Unis, de soutenir la rébellion du M23, Kigali nie en bloc et renvoie la RDC à ses propres responsabilités nationales. Si les joutes de ces dernières semaines entre les deux pays font craindre une escalade, il faut rappeler que la relation entre les deux chefs d’État était bien plus cordiale et même fraternelle au début du mandat du président congolais Félix Tshisekedi en 2019. Un temps bel et bien révolu aujourd’hui…
– Paul Kagame, un « frère et partenaire fiable »
Dès son accession à la présidence de la République démocratique du Congo, Félix Tshisekedi s’est employé à normaliser les relations avec le Rwanda. Un rapprochement jugé naïf et trop rapide par de nombreux observateurs et membres de l’opposition congolaise, le Rwanda étant pointé du doigt pour son rôle dans la déstabilisation de l’Est de la RDC depuis plus de 20 ans déjà. Au cours d’une rencontre à Kigali en mars 2019, l’image des deux présidents main dans la main avait fait grincer des dents à Kinshasa et suscité la polémique dans le pays sur les réseaux sociaux. Face aux critiques, Tshisekedi avait assuré qu’il considérait les pays de la région des Grands Lacs, dont le Rwanda, comme des partenaires « fiables et essentiels » pour le retour de la paix à l’Est de la RDC.
Dans les nombreuses discussions liées à la situation sécuritaire congolaise, Tshisekedi s’est évertué à inclure Kagame en le rencontrant à de nombreuses reprises au cours des deux premières années de son mandat. Mais ce rapprochement s’est également fait sur le plan économique. En juin 2021, la République démocratique du Congo et le Rwanda ont signé trois accords commerciaux, dont l’un portant sur l’exploitation de l’or en vue d’en assurer la traçabilité.
Du côté du Rwanda, Kagame espérait à l’époque le lancement d’une opération des Forces armées de la RDC contre le groupe armé des FDLR (Forces démocratiques pour la libération du Rwanda) installé et actif dans l’Est du Congo. Ces rebelles, appartenant à l’ethnie Hutu et au sein desquels figurent des génocidaires de 1994, se sont constitués au Kivu quelques mois après avoir été accueillis comme réfugiés dans le pays. C’est notamment face à ce que Kigali a assimilé à de l’inaction de la RDC contre ces rebelles hostiles au pouvoir rwandais que les relations se sont détériorées entre les deux Etats.
– La résurgence du M23 : point de rupture entre le Rwanda et la RDC
C’est le retour de la rébellion du M23, en février 2022, qui va considérablement refroidir les relations entre les deux États. Vaincue en 2013, cette rébellion était initialement une mutinerie de soldats de l’armée congolaise appartenant à l’ethnie tutsie. Ces rebelles ont toujours été considérés comme “le bras armé de Kigali en RDC”. Dès la reprise des hostilités cette année, les militaires des FARDC ont signalé la présence de troupes rwandaises aux côtés du M23. Ces accusations ont rapidement été reprises et confirmées par un rapport de l’ONU au mois d’août 2022, avant que le gouvernement américain ne somme le Rwanda, en octobre 2022, de cesser d’apporter tout soutien au M23. Ce même rapport- il faut bien le mentionner- accable également la partie congolaise. Il soutient que certains membres de l’armée congolaise ont soutenu et combattu aux côtés d’une coalition de groupes armés, dont les FDLR.
Un mois auparavant, lors de la 77ème Assemblée générale des Nations unies à New York, le président Tshisekedi ne pouvait que constater, face à la communauté internationale, l’échec de sa politique de rapprochement et de fraternisation avec le Rwanda : « En dépit de ma bonne volonté et de la main tendue du peuple congolais pour la paix, certains de nos voisins n’ont trouvé mieux que de nous remercier par l’agression et le soutien des groupes armés terroristes qui ravagent l’est de la République démocratique du Congo », avait-il ainsi déclaré. « C’est le cas actuellement du Rwanda, qui, au mépris du droit international, de la charte de l’ONU […] a une fois de plus agressé en mars dernier la République démocratique du Congo par des incursions directes de ses forces armées ».
Cette dénonciation publique du Rwanda a été suivie par la décision d’expulser du Congo l’ambassadeur rwandais, Vincent Karegale, le 29 octobre 2022. Depuis cette date, le Rwanda n’a plus aucune représentation diplomatique en RDC.
– La riposte de Kagame
Dans cette escalade verbale qui s’étend depuis plusieurs mois maintenant, le président rwandais Paul Kagame a récemment renvoyé son homologue congolais à ses propres responsabilités. S’exprimant le 30 novembre face à ses parlementaires, le président rwandais a accusé Tshisekedi d’instrumentaliser la situation sécuritaire afin d’organiser le report des élections présidentielles et législatives prévues à la fin de l’année 2023. « Ce problème peut être résolu si un pays étranger qui se dirige vers des élections l’année prochaine n’essaie pas de créer des motifs d’urgence pour qu’elles n’aient pas lieu », a-t-il ainsi déclaré.
Paul Kagame en a également profité pour remettre en cause la légitimité du mandat de Tshisekedi, en indiquant que ce dernier n’avait pas gagné l’élection de 2019. Pour rappel, l’opposant et candidat malheureux du dernier scrutin, Martin Fayulu, continue aujourd’hui encore de revendiquer la victoire et le mandat de président de la République démocratique du Congo.
Au sujet de l’insécurité au Nord-Kivu, Paul Kagame a également fustigé les accusations émises à l’encontre du Rwanda seul (épinglé par Washington pour son soutien au M23), en précisant que plusieurs acteurs étaient partie prenante au conflit : « Il y a la RDC, le M23, le FDLR, la MONUSCO, la communauté internationale, les émissaires… Nous sommes nombreux à pouvoir faire quelque-chose ».
Pour rappel, le Front démocratique pour la Libération du Rwanda (FDLR) est un mouvement armé d’identité Hutu qui s’est organisé dans des camps de réfugiés au Congo après le génocide de 1994 au Rwanda. Kigali reproche à Kinshasa de bénéficier de l’appui de ce groupe armé pour combattre le M23, mouvement d’identité tutsie.
– Le Congo en « libérateur » du peuple rwandais ?
Ce 4 décembre, face à une délégation de jeunes congolais venus le rencontrer à Kinshasa, le président Felix Tshisekedi s’en est durement pris au pouvoir rwandais et à son rôle dans la guerre qui sévit à l’Est du pays. Le chef de l’État congolais, tout en invitant à ne pas faire l’amalgame entre la population rwandaise et le régime, a vivement critiqué Paul Kagame en le présentant comme « un faiseur de guerre ».
« Ça ne sert à rien de regarder le Rwandais comme un ennemi, c’est le régime rwandais avec Paul Kagame à sa tête qui est l’ennemi de la RDC. Les Rwandais sont nos frères, et d’ailleurs, ils ont besoin de notre aide car ils sont muselés », a ainsi déclaré le président congolais,
Pour l’heure, et malgré la virulence des attaques verbales respectives, la RDC et le Rwanda ne sont officiellement pas en guerre. Cette éventualité ne semble d’ailleurs effleurer aucun des responsables qui s’expriment, la situation sécuritaire étant désormais placée sous le contrôle des pays frontaliers de la RDC. C’est dans ce contexte que le Kénya, à travers son « facilitateur », l’ancien président Uhuru Kenyatta, et l’Angola de Joao Lourenço, vont désormais tenter d’amener Paul Kagamé et Félix Tshisekedi à aplanir leurs positions et à éventuellement trouver un réel terrain d’entente.
Anadolu Agency