“La patrie est en danger”. Chômeurs, étudiants, chefs coutumiers ou même ministres se sont engagés ces dernières semaines au Burkina Faso comme Volontaires pour la défense de la patrie (VDP), des civils appelés à seconder l’armée dans sa lutte contre les jihadistes.
Au gouvernorat régional de la capitale Ouagadougou, Alouna Traoré fait une entrée en trombe. Juché sur sa petite moto, drapeau du Burkina flottant sur le réservoir, cet ancien proche collaborateur de Thomas Sankara, président de 1983 à 1987 et père de la révolution burkinabè, est formel.
“La patrie, en danger, appelle tous ses fils à l’effort de défense, de mobilisation patriotique et populaire. L’heure n’est plus à la tergiversation”, lance-t-il d’un ton martial.
A 65 ans, M. Traoré est l’unique survivant de l’assassinat de Thomas Sankara et plusieurs de ses collaborateurs dans un coup d’Etat en 1987. Trente-cinq ans plus tard, il vient proposer ses services comme VDP.
“Comme le président Sankara qui a tellement aimé le pays qu’il lui a tout donné, y compris sa vie, l’amour de la patrie commande à ce que les fils de ce pays s’engagent”, explique-t-il, écharpe noire autour du cou et bonnet sur la tête. “C’est un rendez-vous avec l’Histoire”, assène-t-il.
Depuis 2015, civils et militaires burkinabè sont régulièrement endeuillés par des attaques jihadistes de plus en plus fréquentes, notamment dans le nord et l’est, ayant fait des milliers de morts et contraint quelque deux millions de personnes à fuir leurs foyers.
Au moins quatorze personnes, dont huit supplétifs civils de l’armée, ont été tuées lundi lors de deux attaques distinctes de groupes jihadistes dans le nord du pays, selon des sources sécuritaires et locales.
Fin octobre, un mois après un putsch qui a porté au pouvoir le capitaine Ibrahim Traoré, le Burkina Faso a lancé une campagne de recrutement de 50.000 VDP afin de “renforcer les rangs de l’armée dans le cadre de la lutte contre le terrorisme”.
Le statut des VDP est consacré par une loi depuis 2020: ce sont des “personnes de nationalité burkinabé, auxiliaires des Forces de défense et de sécurité (FDS), servant de façon volontaire les intérêts sécuritaires de leurs villages ou de leurs secteurs de résidence”.
Et depuis près de trois ans, ils paient un lourd tribut dans la lutte contre les groupes liés à Al-Qaïda et l’Etat islamique.
Profils variés
L’enrôlement a officiellement pris fin le 18 novembre, avec des profils très variés, de 18 à …79 ans. “On a perdu notre terre, perdu trop d’amis. Quand j’en parle j’ai envie de pleurer. Je suis prêt à mourir pour ma patrie”, explique Ablassé Kaboré, un boucher venu s’inscrire avec son fils.
“Lorsqu’on est premier responsable d’un département chargé de la jeunesse, et qu’on appelle les jeunes à s’enrôler, il faut être le premier à le faire”, justifie le ministre des Sports, de la Jeunesse et de l’Emploi Issouf Sirima, qui s’est enrôlé à Banfora (sud-ouest).
Tous n’iront pas forcément combattre dans le nord et l’est du pays, particulièrement touchés par les violences jihadistes. Sur les 50.000 volontaires espérés, 35.000 seront assignés à leur commune de résidence et 15.000 pourront être déployés sur le territoire.
“C’est une mobilisation générale. Avec ce recrutement on peut espérer avoir des forces combattantes sur l’ensemble du territoire“, souligne Zakaria Soré, chercheur à l’Université Joseph Ki-Zerbo de Ouagadougou.
“Il est clair que l’armée ne peut pas positionner des hommes dans chaque commune ou village. Mais on peut organiser les populations pour qu’elles assurent leur sécurité”, affirme à l’AFP une source sécuritaire haut placée.
“Etre bien formés”
“Au lieu de demander à des forces étrangères de venir nous aider, il faut d’abord compter sur nous-mêmes“, estime de son côté Idrissa Yaméogo, étudiant de 24 ans venu s’enrôler avec deux amis.“On veut être bien formé et recevoir les moyens adéquats pour mener la lutte contre les terroristes”, souhaite-t-il.
Pour l’heure, c’est là que le bât blesse. Ces dernières années, les VDP recevaient une formation civique et militaire sommaire de 14 jours avant d’être armés et dotés de moyens de communication.
“Combien de temps faudra-t-il pour former ces gens, pour qu’ils sachent comment démonter une arme, quelle attitude observer en cas d’attaque?”, s’interroge le chercheur Zakaria Soré.
“50.000 VDP, c’est autant d’armes” en circulation, s’inquiète Abraham Badolo, président de l’Alliance pour la défense de la patrie (ADP), une organisation de la société civile, en pensant aux éventuels troubles futurs que cela pourrait engendrer.
“Il n’y aura rien à gérer si le pays tombe aux mains des ennemis“, prévient l’analyste politique Drissa Traoré qui regrette que le service militaire obligatoire ait été abandonné dans les années 1990.
“On doit avoir autant de volontaires que de Burkinabè. C’est l’existence du pays même qui est en danger, c’est de notre survie qu’il s’agit“, martèle-t-il.
VOA Afrique