Des journalistes en danger et une liberté de parole bafouée: dix ans après l’espoir d’une ère de liberté, des journalistes libyens ne cachent pas leur désenchantement, même si la récente embellie politique pourrait offrir une lumière au bout du tunnel.
Menaces, censure, manipulation… les tares sont multiples une décennie après un soulèvement démocratique contre la dictature de Mouammar Kadhafi, malheureusement suivi par une interminable transition. Des journalistes racontent ces désillusions.
« L’échec est total », affirme Mohamed al-Najem, directeur du Centre libyen de la liberté de la presse (LCFP), pour lequel le pays « n’a cessé de régresser » depuis 2011, après une courte parenthèse.
Les journalistes sont « dépités de voir déchus les espoirs de liberté (…). On est loin des conditions de travail auxquelles nous aspirions », confie-t-il.
Seule lueur d’espoir à ce sombre tableau: la Libye semble désormais disposer d’une réelle opportunité de s’extraire du chaos marqué par l’existence de pouvoirs rivaux en Tripolitaine (ouest) et Cyrénaïque (est).
Après que les combats ont cessé l’été dernier, un cessez-le-feu a été conclu à l’automne. Et, surtout, un nouveau gouvernement d’unité vient d’être mis sur pied pour gérer la transition jusqu’à des élections en décembre.
Mais les défis sont énormes et, jusqu’à ce jour, les professionnels des médias ont payé un lourd tribut au conflit.
A la dictature Kadhafi a en effet rapidement succédé l’anarchie. De nombreux journalistes, libyens et étrangers, ont été la cible d’attaques et d’enlèvements.
Parmi les cas emblématiques figurent ceux des Tunisiens Sofiene Chourabi et Nadhir Ktari, disparus en 2014 dans la région d’Ajdabiya.
Selon des témoignages, ils ont été exécutés par des membres du groupe Etat islamique (EI). Mais, après des années d’une incertitude insoutenable pour leurs proches, leur mort n’a toujours pas été confirmée officiellement.
Par la suite, la vaine tentative du maréchal Khalifa Haftar de s’emparer de Tripoli en 2019-2020 a exacerbé les clivages médiatiques et la propagande dans les deux camps.
– « Embrigadés » –
Beaucoup se sont retrouvés « embrigadés de force par les factions belligérantes », alertait en 2020 Reporters sans frontières (RSF), classant la Libye à la 164e place (sur 180) en matière de liberté de la presse.
Les acteurs du conflit se muent en « censeurs de l’information », fustigeait l’ONG, en dénonçant une « impunité totale » face au bilan dramatique: une vingtaine de journalistes tués depuis 2011.
Il y a dix ans, tous les espoirs étaient pourtant permis. Des dizaines de journaux et chaînes privés ont vu le jour après la chute de Kadhafi, qui exerçait un monopole total. Mais beaucoup ont été contraints de baisser le rideau ou de s’exiler.
Mohamed al-Najem regrette « l’absence de volonté politique », sans laquelle il est « impossible de garantir un minimum de sécurité pour les journalistes et de défendre leurs droits ».
Pour Nahla Tarhouni, journaliste de radio, « la situation de la presse est à l’image de celle de l’Etat: catastrophique ». Elle aussi ne cache pas sa désillusion: « Nous avions beaucoup d’attentes ».
Si les autres pays du Printemps arabe réclamaient essentiellement de meilleures conditions économiques, « les Libyens aspiraient à davantage de libertés », dit-elle.
– « Deux boutons » –
A ce jour, la situation est sans doute la plus compliquée à l’Est, où la censure bat son plein.
« La réalité des médias se résume à la peur et à l’intimidation de la part des milices qui contrôlent le terrain », a récemment expliqué la journaliste indépendante Mariam al-Mezweghi, rappelant que « des dizaines de journalistes et de défenseurs des droits humains ont été incarcérés ou assassinés ».
« Pour celui qui a lutté pendant dix ans pour faire entendre sa voix, qui est parvenu à s’exprimer librement, se retrouver subitement confronté à la censure ne peut que le décevoir », a ajouté Naïma Mohamed, une autre journaliste indépendante, interrogée avant l’avènement du nouveau gouvernement d’unité.
Sanaa Habib, animatrice pour une radio privée, a un avis moins tranché: « La situation s’est quand même améliorée même si on rencontre toujours des difficultés sur le terrain ».
Sur des questions sociétales délicates, « le problème ne vient pas toujours des autorités mais des réactions violentes des gens », selon elle.
« Il ne faut pas oublier que sous Kadhafi, il n’y avait pas vraiment de journalistes à proprement parler, l’information était orientée à 100%. Elle est à présent ouverte et accessible à tous », juge-t-elle.
Un de ses confrères abonde: « Kadhafi avait deux boutons pour couper la radio et la télé quand quelque chose ne lui plaisait pas, même si le journaliste ne faisait que lire un texte écrit par les plumes du Guide. Avant 2011, personne n’avait le droit d’être déçu ».
Source: La Minute Info