Les autorités du Cameroun ont interdit les manifestations, après que le parti d’opposition Mouvement pour la renaissance du Cameroun (MRC) eut encouragé les citoyens à descendre dans la rue pour exprimer leurs préoccupations au sujet de la décision du gouvernement de tenir des élections régionales.
Le 11 septembre, les gouverneurs des régions du Littoral et du Centre ont, par décret, interdit toute réunion et manifestation publique pour une durée indéterminée. Trois jours plus tard, le ministre de l’Administration du territoire, Paul Atanga Nji, dans une lettre adressée à ces deux gouverneurs ainsi qu’au gouverneur de la région de l’Ouest, a averti que toute manifestation non autorisée serait dispersée par les forces de l’ordre, et a appelé les gouverneurs à faire arrêter toute personne qui organiserait ou dirigerait une manifestation. Le 15 septembre, le ministre de la Communication a mis en garde les partis politiques sur le fait que des manifestations pourraient être considérées comme « insurrectionnelles » et que les manifestations illégales dans tout le pays seraient punies en vertu de la loi antiterrorisme.
« Ces mesures sont une tentative à peine voilée de la part du gouvernement camerounais de se servir de la pandémie de Covid-19 et d’une loi antiterrorisme draconienne comme prétextes pour supprimer le droit à la liberté de réunion », a déclaré Lewis Mudge, directeur pour l’Afrique centrale à Human Rights Watch. « Les autorités devraient s’efforcer de protéger et de faciliter l’exercice de ce droit, au lieu de chercher des moyens de le restreindre. »
Ces mesures surviennent après l’annonce, le 7 septembre, par le président Paul Biya que les premières élections régionales de l’Histoire du Cameroun auraient lieu en décembre. Le 8 septembre, Maurice Kamto, le chef du MRC, a appelé à des manifestations pacifiques pour le 22 septembre afin de protester contre cette décision. Sept autres partis politiques et organisations de la société civile ont rejoint l’appel de Kamto aux manifestations pacifiques. Les partis d’opposition ont de nombreuses préoccupations concernant ces élections, estimant qu’elles ne pourront pas se tenir de manière libre et équitable sans une réforme préalable du code électoral et des mesures destinées à faire face au problème de l’insécurité dans les régions anglophones.
Human Rights Watch s’est entretenu par téléphone avec 15 dirigeants et membres des partis d’opposition, ainsi qu’avec cinq représentants de la société civile et d’organisations de défense des droits humains, entre mi-août et début septembre.
Le gouvernement camerounais a commencé à lever les restrictions imposées face au Covid-19 déjà en mai, autorisant la réouverture des bars, restaurants et discothèques. En juin, il a assoupli encore les restrictions en ouvrant les écoles et d’autres centres de formation fermés depuis mars, ainsi que les églises et les mosquées. Ainsi, les efforts pour cibler les manifestations menées par l’opposition sous le prétexte du Covid-19 semblent arbitraires. Le 16 septembre, le MRC a publié une note fournissant des conseils à tous ses membres et partisans qui prévoient de descendre dans la rue le 22 septembre sur la manière d’assurer des manifestations pacifiques et de freiner la propagation du Covid-19 en portant un masque.
D’autres réunions et manifestations dirigées par l’opposition ont été interdites au Cameroun au cours des 18 derniers mois. En avril 2019, les autorités ont interdit une semaine de manifestations prévue par le MRC à travers le pays. Les autorités locales ont également interdit récemment deux réunions privées prévues par le MRC à Maroua, dans la région de l’Extrême Nord, le 9 août, et à Nkongsamba, dans la région de l’Ouest, le 15 août, invoquant des préoccupations relatives au Covid-19 et au maintien de l’ordre public.
La réunion du MRC à Nkongsamba était prévue en tant que réunion privée au siège du MRC, et n’aurait dû donc pas faire l’objet d’une interdiction au nom de l’ordre public. À Maroua, où la réunion devait se tenir dans un hôtel, les autorités l’ont interdite officiellement pour des raisons relatives à la sante publique, malgré les assurances des dirigeants du MRC concernant la prise de mesures préventives pour éviter la propagation du Covid-19, notamment le respect de la limite de 50 participants exigée par la loi. Des dirigeants du MRC ont également affirmé que les autorités ont autorisé des réunions similaires tenues par le parti au pouvoir, le Rassemblement démocratique du peuple camerounais, dans les deux villes.
Le 19 septembre, le siège du parti d’opposition Cameroon People’s Party (CPP) à Yaoundé a été encerclé par plus de 30 policiers et gendarmes. « Le sous-préfet de Yaoundé a affirmé que nous tenions une réunion publique sans déclaration. Nous l’avons informé que nous tenions notre réunion hebdomadaire et régulière dont la participation est limitée à nos membres », a déclaré Edith Kahbang Walla, dite Kah Walla, présidente du CPP, plus tard dans la journée. « Il s’agit d’une énième violation de la loi et d’une tentative de nous intimider. » Après une impasse d’environ une heure, les membres du CPP ont été informés qu’ils étaient libres de partir.
Human Rights Watch a précédemment documenté comment le gouvernement du Cameroun se sert de la pandémie pour régler ses comptes et punir l’opposition. En mai, plusieurs bénévoles de l’Initiative Survie Cameroun, une initiative de levée de fonds lancée par Maurice Kamto pour faire face à l’urgence sanitaire, ont été arrêtés alors qu’ils distribuaient des masques de protection et du gel nettoyant pour les mains dans la capitale, Yaoundé. Ils ont été accusés de rébellion, puis remis en liberté le 15 mai.
Le porte-parole du MRC, Biboun Nissack, a déclaré à Human Rights Watch que la récente interdiction des manifestations par le gouvernement « menaçait de pousser le parti dans la clandestinité ».
La Constitution du Cameroun garantit la liberté de réunion, et la loi camerounaise exige que les organisateurs d’une manifestation notifient les autorités locales sept jours avant la date choisie. Quoique la liberté de réunion ne soit pas absolue et que des restrictions soient permises, notamment dans le but de préserver la santé publique, de telles mesures doivent non seulement avoir une base juridique mais aussi être strictement nécessaires, proportionnées et non discriminatoires à l’encontre de segments particuliers de la société.
Des interdictions générales et de portée très large, comme celle qui est invoquée par le gouvernement camerounais, en particulier en réaction à des initiatives d’organisation politique de la part des partis d’opposition, ne répondent pas à ces critères. Le 16 mars 2020, des experts de l’ONU en matière de droits humains ont averti que « des déclarations d’urgence liées à la pandémie de COVID-19 ne devraient pas servir de prétexte à des politiques répressives sous couvert de protéger la santé publique, et ne devraient pas être utilisées dans le but ultime d’étouffer la dissidence ».
La loi antiterrorisme – promulguée en décembre 2014 alors que le Cameroun peinait à faire face à la menace croissante posée par le groupe islamiste armé Boko Haram – a été largement critiquée, notamment par les organisations camerounaises et internationales de défense des droits humains et par les partis d’opposition, pour sa définition excessivement large du terrorisme, pour le fait qu’elle prévoit l’application de la peine de mort et parce qu’elle est utilisée pour réduire au silence l’opposition, la société civile et les médias.
Cette récente répression de la liberté de réunion s’inscrit aussi dans un contexte largement documenté d’arrestations pour des motifs politiques et de traduction en justice de membres et d’activistes du MRC, dont son vice-président, Mamadou Mota.
« Quand un gouvernement menace de traiter l’exercice du droit de manifester pacifiquement comme un acte d’insurrection, il s’attaque aux éléments fondamentaux d’une société basée sur les droits humains et l’État de droit », a affirmé Lewis Mudge.
«Les libertés et les droits fondamentaux garantis non seulement du fait des obligations internationales du Cameroun, mais aussi par sa Constitution, sont en danger et, si cette répression conduit à des manifestations d’encore plus grande ampleur contre les autorités, on peut légitimement craindre que les violations telles que le recours excessif à la force et les mauvais traitements n’augmentent de manière spectaculaire. »
Source : Human Rights Watch