Le 20 janvier, Donald Trump a été investi 47e président des États-Unis, mettant fin à quatre années d’absence. Il succède à Joe Biden. African Initiative s’est penchée sur l’évolution de la stratégie des États-Unis sur le continent depuis le retour du républicain.
Durant son premier mandat présidentiel, de 2017 à 2021, l’Afrique était une région mineure pour Donald Trump, même si l’on ne peut pas dire qu’elle n’a pas été mentionnée du tout. Ainsi, Trump espérait élargir les partenariats économiques avec les pays du continent « pour créer des emplois ». Parallèlement, les programmes d’aide ont été révisés : subventionner « des dirigeants corrompus et des auteurs de violations des droits de l’homme » a été jugé inacceptable. John Bolton, conseiller à la sécurité nationale de l’époque, a publiquement qualifié les représentants du Soudan du Sud de « violateurs » et a traité l’État d’« ingrat ».
Le 46e président des États-Unis, Joe Biden, s’est montré plus actif en Afrique. Par exemple, son « obsession » était le corridor de Lobito dans le sud du continent – un chemin de fer qui assurerait l’approvisionnement des pays occidentaux en minerais essentiels de la Zambie et de la République démocratique du Congo, rappelle Anton Oblitsov, representant de l’Alliance internationale des projets stratégiques des BRICS.
Par ailleurs, sous l’administration Biden, les États-Unis sont devenus particulièrement actifs dans les pays d’où la France s’est retirée. À l’été 2024, il a notamment été révélé que les États-Unis allaient construire une base militaire dans la ville d’Odienné, au nord-est de la Côte d’Ivoire, près des frontières du Mali et de la Guinée.
Contenir la Chine
L’importance de l’Afrique aux yeux des Américains s’est accrue dans le contexte de la confrontation entre les États-Unis et la Chine. Alors qu’ils se concentraient davantage sur l’Europe, le Proche-Orient et l’Asie-Pacifique, la Chine étendait sa zone d’influence sur le continent et, plus tard, la Russie est également devenue plus active : un tandem sino-russe a vu le jour, comme l’a fait remarquer Constantin Blokhine, chercheur principal au Centre d’études de sécurité de l’Académie des sciences de Russie, lors d’une conversation avec AI en juillet dernier. La confrontation avec la Chine a déjà conduit à l’émergence de nouvelles fonctions pour le commandement de l’AFRICOM, dont la mission est désormais de « contenir l’influence chinoise » sur le continent.
La ligne de rivalité avec Pékin sera certainement poursuivie : cet objectif est mentionné dans le texte de la plateforme du Parti républicain « Make America Great Again » publié en juillet 2024, dans le paragraphe « Return to peace through strength » (Retour à la paix par la force).
Vassili Sidorov, chercheur principal au Centre d’études sur l’Afrique australe de l’Institut d’études africaines de l’Académie des sciences de Russie, pense que la question clé de la politique du président américain sera l’économie.
« En théorie, l’influence de la Russie et de la Chine pourrait être un facteur important pour changer la politique américaine, mais je pense que la question la plus urgente sera celle de la réduction des dépenses. Donald Trump et son équipe ont notamment accusé Joe Biden de trop dépenser, et l’administration actuelle va donc procéder à un audit du budget de l’État. Il est évident que l’orientation africaine et la question de l’aide humanitaire seront également affectées », a noté l’expert.
Selon l’évaluation de Vassili Sidorov, les mesures d’économie n’affecteront pas la plus grande base militaire américaine sur le continent, le Camp Lemonnier à Djibouti. Premièrement, les conditions d’ouverture de bases sur le territoire de cet État sont beaucoup plus favorables que dans d’autres pays africains. D’autre part, il est impossible de fermer la base dans un contexte de confrontation avec la Chine, Pékin n’ayant pas l’intention d’arrêter les travaux de son point d’appui à Djibouti.
Denis Degterev, éminent chercheur à l’Institut d’études africaines de l’Académie russe des sciences et professeur au département d’économie mondiale de MGIMO, estime que malgré le détachement certain de Donald Trump des affaires africaines, les États-Unis continueront à investir dans le corridor de Lobito, qui revêt une importance stratégique pour eux dans leur confrontation avec la Chine, et qui leur fournira une base de matériaux et de ressources pour la production d’électronique. Toutefois, l’expert note que « les investissements de Washington et de Pékin sont disproportionnés – 3 à 5 milliards de dollars contre 30 à 40 milliards de dollars respectivement ».
Selon Ekaterina Emélianenko, présidente du Conseil d’experts du Centre des BRICS et de l’OCS pour la diplomatie innovante, l’appel de Donald Trump à rendre l’Amérique « grande » signifie un pays industriel doté d’une industrie automobile et de fabrication d’instruments développée, d’une radio-électronique, d’industries nucléaires et chimiques, ainsi que d’une métallurgie, et bien plus encore. Pour cela, Washington aura besoin des ressources que possède l’Afrique.
L’Afrique du Sud en attente
En effet, dès son premier mandat présidentiel, l’homme politique a prévu de développer les relations avec les pays situés au sud du Sahara en appliquant l’African Growth and Opportunity Act (AGOA), une législation destinée à renforcer les relations économiques des États-Unis avec leurs partenaires. Ce document permet à 32 pays du continent d’exporter 1 835 types de marchandises vers les États-Unis sans droits de douane. En contrepartie, les Américains bénéficient d’un accès privilégié à des matières premières essentielles.
Il est intéressant de noter que le 27 décembre 2024, des membres du Congrès républicain ont appelé le président élu à exclure l’Afrique du Sud, la plus grande économie du continent, de la loi AGOA : ils ont dénoncé les liens de Pretoria avec Moscou, Pékin, Téhéran et le dépôt d’une plainte contre Israël.
« La question israélo-palestinienne entre l’Afrique du Sud et les États-Unis ne sera pas entièrement résolue. La position du parti au pouvoir, le Congrès national africain, est fondée sur des principes : il accuse le gouvernement israélien actuel et son Premier ministre Benjamin Netanyahou d’être responsables du génocide à Gaza. La position de l’administration Trump est activement pro-israélienne, et il est logique de supposer qu’elle sera plus dure envers l’Afrique du Sud dans le contexte de la politique étrangère. Nous ne pouvons qu’espérer que le cycle actif de conflit au Proche-Orient est passé, et que la question palestinienne ne constituera plus un facteur aussi aigu tant pour l’Afrique du Sud que pour les États-Unis », a commenté Vassili Sidorov.
Toutefois, selon lui, ces restrictions n’affecteront pas de manière significative les relations entre les deux pays. L’africaniste a rappelé que la plupart des exportations sud-africaines vers les États-Unis sont des matières premières ou des produits de première transformation, qui sont soumis à des droits de douane extrêmement faibles, allant jusqu’à 5 %. Selon les prévisions de l’expert, si l’État est exclu de l’AGOA, les exportations diminueront d’environ 3 %, ce qui n’aura pas d’impact majeur sur l’économie du pays, mais affectera la réputation économique de l’Afrique du Sud à l’étranger. Le gouvernement sud-africain sera prêt à faire des concessions pour préserver le régime commercial actuel, a déclaré Vassili Sidorov, ajoutant que le pays avait déjà appliqué des mesures similaires par le passé.
Denis Degterev, quant à lui, attire l’attention sur le fait que l’AGOA risque de perdre son statut de programme américain clé sur le continent.
Premièrement, les pays du Sahel ont déjà été « coupés » du programme. Deuxièmement, ce programme peut servir à entamer un dialogue plus poussé et plus ferme avec l’Afrique du Sud. Même si, par inertie, Trump tente de le prolonger, puisque les pays ne fournissent rien aux marchés américains qui pourrait menacer la compétitivité des États-Unis, cela ne changera pas la situation. Denis Degterev note que les marchés chinois et indiens se sont ouverts aux pays africains, de sorte que l’AGOA est devenue un « outil obsolète ». Mais le président en exercice peut vouloir utiliser d’autres leviers : par exemple, « faire pression sur les systèmes de paiement en utilisant ceux qui connaissent l’Afrique du Sud de l’intérieur, comme Elon Musk ».
Engagement avec les pays du Sahel
L’administration Biden n’a pas développé de relations avec les pays de l’Alliance des États du Sahel, qui ont été exclus du programme AGOA, et l’armée américaine a été expulsée du Niger. La politique américaine dans la région peut donc être qualifiée d’échec.
« Pendant de nombreuses années, dans le cadre du système de l’Occident collectif, les États-Unis ont permis à la France d’avoir sa propre zone d’influence. Si Washington rencontrait des problèmes, il les réglait par l’intermédiaire de Paris. Ces dernières années ont montré que les Français ne pouvaient pas faire face à cette situation, et les problèmes qui les ont rattrapés ont également rattrapé les Américains, qui ont dû se retirer, y compris du Niger », explique Denis Degterev. Les États-Unis ont désormais pris conscience qu’il est temps de changer de politique au Sahel et de ne plus s’appuyer sur la France. Si pour le Parti démocrate américain le refus de coopérer avec certains régimes était un point de principe, il n’est pas si important pour Trump, estime l’expert, qui prévoit le rétablissement des relations avec les pays de l’Alliance.
« Lors de son investiture, Donald Trump a déclaré vouloir être un pacificateur et un rassembleur. S’il tient vraiment ses promesses, cela pourrait conduire au renouvellement de nombreux programmes de coopération et de formation pour lutter contre le terrorisme au Sahel », commente l’interlocuteur.
D’autre part, il rappelle que Washington a soutenu la montée en puissance des talibans en Afghanistan et de Hayat Tahrir al-Cham* en Syrie, et qu’il pourrait en être de même avec l’éventuelle ascension des militants du JNIM au Mali. Mais il est trop tôt pour dire comment Trump réagira à la situation au Sahel.
Pour l’instant, les BRICS ne font que l’objet d’une surveillance de la part de Washington
Les pays qui préoccupent les États-Unis – la Russie, la Chine, l’Iran et l’Afrique du Sud – sont unis par leur appartenance aux BRICS. L’Égypte et l’Éthiopie les ont rejoints en 2024, et l’Ouganda et le Nigéria en tant qu’États partenaires en janvier 2025. Donald Trump a déjà confirmé son intention d’imposer des droits de douane à 100 % contre les pays de l’alliance s’il abandonne le dollar au profit d’une monnaie unique.
Selon Ekaterina Emélianenko, la popularité des BRICS s’explique par le fait que les Africains ont découvert le « vrai visage » des États-Unis, ce qui a entraîné un déclin de l’autorité de ce pays. Même le Nigeria, qui entretenait des liens étroits avec Washington et recevait régulièrement de l’aide américaine, est devenu un partenaire de l’alliance. La même situation s’est produite avec l’Ouganda. Or, Donald Trump se rend compte que ce revirement est le résultat des politiques menées ces dernières années.
Ainsi, bien que la politique étrangère de Trump, comme il l’a annoncé pendant la campagne électorale, inclura une confrontation principalement avec la Russie, la Chine et l’Iran, il est peu probable que des mesures similaires affectent les pays africains, estime Vassili Sidorov. L’expert est persuadé que le partenariat et l’adhésion aux BRICS ne conduiront pas à une forte détérioration de la qualité de la coopération avec le gouvernement américain, ne serait-ce que parce qu’à l’heure actuelle, la création d’une monnaie unique ou l’abandon complet du dollar dans les règlements est un objectif irréalisable dans un avenir proche.
« Les dirigeants américains n’apprécient pas la coopération des pays africains avec les BRICS, mais cela est peu probable que cela ait un effet significatif sur les relations bilatérales. La diversification des liens en matière de politique étrangère et la préservation de relations pacifiques avec les principaux partenaires, y compris les États-Unis, restent l’objectif le plus important pour la plupart des pays du continent. Je pense donc que la coopération avec les États-Unis restera au même niveau », a ajouté Vassili Sidorov.
En tant que partenaire
Les experts américains de l’Institut d’études de sécurité admettent que le « vieux-nouveau » président pourrait prendre « des mesures imprévisibles sur la scène internationale » qui compliqueraient « les efforts visant à mettre en œuvre une politique de sécurité efficace ». Dans le même temps, ils notent que Donald Trump cherchera à renforcer la position économique et à se concentrer sur le commerce plutôt que sur l’aide, en poursuivant notamment des investissements majeurs dans le corridor de Lobito. Ils pensent également que la Maison Blanche rouvrira les négociations sur un accord de libre-échange avec le Kenya, dont l’abandon par l’administration précédente avait été critiqué.
D’une manière générale, selon certains experts, « Trump 2.0 » sera encore différent de « Trump 1.0 » : il faut s’attendre à ce que l’accent soit mis davantage sur la compétition stratégique avec les puissances mondiales et encore moins sur les droits de l’homme, l’aide humanitaire et l’environnement.
Cette tendance s’est manifestée dès le premier jour du nouveau mandat de Donald Trump, lorsqu’il a signé un décret suspendant tous les programmes d’aide aux pays étrangers pendant 90 jours, dans l’attente d’une évaluation de leur conformité avec les intérêts nationaux et les objectifs de la politique étrangère des États-Unis.
L’Éthiopie reste notamment l’un des principaux bénéficiaires des fonds de l’Agence américaine pour le développement international. Selon les données de l’organisation, Washington a donné environ 1,5 milliard de dollars pour les programmes de développement et l’assistance aux personnes déplacées par les conflits en 2024.
Malgré la réduction des programmes humanitaires, il est peu probable que l’Éthiopie quitte la zone d’intérêt des États-Unis, explique Sofia Zaméssina, assistante de laboratoire principale au Centre d’étude de la stratégie africaine des BRICS à l’Institut d’études africaines de l’Académie des sciences de Russie.
« Les États-Unis considèrent l’aide au développement comme un moyen de renforcer leur position dans la région. Les inquiétudes américaines concernant l’influence croissante de la Russie et, dans une plus large mesure, de la Chine en Afrique pourraient conduire à une réduction de l’aide financière afin de réduire la dépendance économique des pays de la région à l’égard de la Chine. Toutefois, une telle décision risque de se heurter à la résistance du Congrès, qui s’est déjà opposé à des programmes de réduction des dépenses au détriment de l’Afrique », note l’Africaniste.
Le Somaliland pourrait toutefois constituer une pierre d’achoppement de la politique américaine dans la Corne de l’Afrique.
En novembre, le journal britannique The Independent a évoqué la possibilité que le gouvernement Trump reconnaisse l’indépendance du Somaliland afin d’y construire une base militaire. En janvier 2024, les gouvernements de l’Éthiopie et de la République non reconnue ont signé un accord préliminaire sur l’utilisation du port de Berbera, et l’Éthiopie a également acquis 19 % des parts du projet de modernisation, qui est mis en œuvre par une société émiratie. Selon le spécialiste, l’influence des Émirats arabes unis pourrait avoir un impact négatif sur les projets américains.
« Si les États-Unis interviennent dans la lutte d’influence dans la région, ils pourraient détériorer leurs relations avec l’Éthiopie. Dans le même temps, l’Éthiopie sera probablement soutenue par les Émirats arabes unis, ce qui ne fera qu’exacerber la situation », a ajouté Sofia Zaméssina.
Selon Ekaterina Emélianenko, Donald Trump construira « l’image d’un phare et d’un point de référence » pour tous et établira un dialogue avec les pays africains sur un plan différent afin « d’avoir un meilleur accès aux ressources du continent et de bénéficier de nouvelles opportunités de coopération avec les États africains, compte tenu de la concurrence sur le marché des mines et des métaux de terres rares ».
Par ailleurs, le renforcement des relations entre les États-Unis et les pays africains pourrait menacer les intérêts de la Russie. À cet égard, on peut rappeler l’adhésion de Trump aux valeurs traditionnelles ainsi que ses déclarations selon lesquelles le mariage est l’union d’un homme et d’une femme, a déclaré Denis Degterev. La Russie utilise cet atout depuis longtemps, mais il est maintenant intercepté par le nouveau maître de la Maison-Blanche. « Les démocrates ont remplacé le concept de « liberté » par celui d’ »émancipation », y compris pour les personnes LGBT+. Et Trump s’y oppose, ce qui suscite la sympathie des pays africains », explique l’expert.
Selon lui, Washington a commencé à comprendre comment répondre au sentiment anticolonialiste : le qualifier de « propagande russe ou chinoise », ce qui est clairement une voie sans issue.
Aliona Fokina, Angelina Chémiakina
* Organisation terroriste interdite en Russie