Les opérations de dépouillement ont débuté mardi soir au Kenya où les électeurs se sont déplacés dans le calme pour désigner leur nouveau président, sur fond de flambée du coût de la vie et de frustration à l’égard de l’élite politique.
A 22H00 locales (19H00 GMT), soit cinq heures après le scellement des premières urnes, “la majorité des bureaux de vote” étaient fermés, a indiqué la Commission indépendante électorale (IEBC). Seuls restaient ouverts ceux qui avaient dû décaler le début de leurs opérations en raison de problèmes techniques ou de matériel.
L’IEBC a annoncé que 56,1% des 22,1 millions d’électeurs avaient voté à 16H00 (13H00 GMT) et, dans la soirée, elle a appelé “les Kényans à la patience”. L’“exercice rigoureux” de comptage et de vérification des transmissions des résultats sera terminé “aussi vite que possible”, a assuré l’IEBC qui a jusqu’au 16 août pour annoncer les résultats.
Les Kényans ont voté pour désigner le successeur du président Uhuru Kenyatta, en poste depuis 2013 mais empêché constitutionnellement de briguer un troisième mandat. Mais aussi pour élire leurs députés et élus locaux. Les résultats de la présidentielle s’annoncent serrés entre les deux principaux candidats: Raila Odinga, 77 ans, vétéran de l’opposition soutenu par le pouvoir, affronte William Ruto, 55 ans, vice-président qui fait figure de challenger.
Dans ce pays marqué par la suspicion de fraudes, des sources diplomatiques ont pointé l’enjeu crucial de la rapidité dans la publication des résultats. L’issue de scrutin est d’autant plus scrutée que le Kenya a été secoué dans le passé par des contestations et violences post-électorales, et que le pays, moteur économique en Afrique de l’est, est considéré comme un îlot démocratique dans une région instable.
Une démocratie qui “fonctionne”
Des milliers d’observateurs ont été déployés mardi, par les candidats mais aussi par la société civile kényane et des organisations internationales. Ivan Stefanec, chef de la mission d’observation de l’Union européenne, a constaté dans la matinée qu’il y avait “beaucoup beaucoup de gens qui faisaient la queue patiemment”, signe selon lui que “la démocratie fonctionne”.
Les longues files d’attente s’étaient formées avant l’aube et l’ouverture des bureaux de vote à 06H00 (03H00 GMT), souvent pleines d’enthousiasme pour cette élection “différente des autres”, “calme et paisible”, selon les termes de Joyce Kosgei, 52 ans, électrice à Kosachei, un village de la vallée du Rift.
Festive à Kisumu (ouest), un bastion d’Odinga, l’ambiance est restée calme ailleurs, notamment à Nairobi où les rues habituellement animées étaient presque désertes pour cette journée déclarée fériée.
Nouvelle ère
Si aucun des deux adversaires, qui se connaissent bien pour avoir été alliés dans le passé, n’obtient plus de 50% des voix, le Kenya connaîtra pour la toute première fois un second tour dans une élection présidentielle. Quelle que soit l’issue, le nouveau président marquera l’histoire en n’appartenant pas à la communauté kikuyu, la première du pays, qui contrôle le sommet de l’Etat depuis vingt ans et dont est issu le sortant.
M. Odinga, allié à Kenyatta depuis un pacte surprise en 2018, est un Luo tandis que M. Ruto est un Kalenjin – deux autres importantes communautés. Alors que le Kenya est historiquement marqué par le vote tribal, certains experts estiment que ce facteur pourrait s’estomper face aux enjeux économiques, tant la flambée du coût de la vie domine les esprits des quelque 50 millions d’habitants.
La corruption endémique, mais aussi les effets de la pandémie, de la guerre en Ukraine et de la sécheresse en cours sont venus accentuer les inégalités. Face aux Kényans qui manifestaient en juillet scandant “pas de nourriture, pas d’élections”, William Ruto a martelé son ambition de “réduire le coût de la vie”, Raila Odinga celle de faire du Kenya “une économie dynamique et mondiale”.
Kits électroniques
Historiquement, la composante ethnique a nourri les conflits électoraux, comme en 2007-2008 quand la contestation des résultats par M. Odinga avait conduit à des affrontements inter-communautaires faisant plus de 1.100 morts. En 2017, des dizaines de personnes étaient mortes dans la répression de manifestations.
Mardi, la police a indiqué dans la soirée n’avoir recensé aucun “incident majeur” lors de cette journée qui, selon elle, s’est déroulée de manière “relativement calme et pacifique”. La Commission électorale, soumise à une pression extrême car largement critiquée en 2017 après l’annulation de la présidentielle pour “irrégularités”, a elle admis des incidents, notamment des défaillances de kits biométriques qu’elle utilise pour l’identification des électeurs, dans 200 bureaux de vote sur un total de 46.000.
“La logistique a été un peu difficile”, a reconnu Marjan Hussein, patron de l’IEBC, mais “nous nous en sortons bien”. Une décision de justice tombée lundi n’a pas aidé selon lui à faciliter le processus. Elle concernait l’utilisation des registres manuels en cas de problèmes électroniques, un point déjà au coeur des critiques mardi soir.
VOA Afrique