La dégradation sécuritaire continue dans la bande saharo-sahélienne fait craindre un basculement de la situation, dans un contexte alourdi par les crises maliennes. Alors que la Cédéao s’avère impuissante en dépit de ses efforts, les États concernés restent fragiles et sensibles aux manœuvres de déstabilisation des groupes terroristes armés.
Les forces militaires françaises stationnées au Mali sont là pour prévenir l’installation du chaos. Toutefois, la situation sécuritaire ne cesse de se dégrader. Là est peut-être l’une des explications du «ressenti anti-français» qui prévaut à Bamako. Ce constat apparaît dans le rapport de juillet 2020 établi par le think tank français Institut d’Études de Géopolitique Appliquée (EGA) et intitulé État de la situation sécuritaire au Sahel à l’aune de la multiplication des sources conflictuelles.
«Malgré l’implantation de postes avancés de la force Barkhane à Ménaka (Mali) et à Goussi depuis l’été 2019 de l’autre côté de la frontière du Burkina (région du Gourma), les attaques terroristes se poursuivent et le nombre de victimes tend même à augmenter, notamment dans la région du Liptako-Gourma », écrit Olivier Ginolin, analyste Sécurité et Défense internationale à l’EGA.
En dépit de l’exécution du chef terroriste d’Aqmi Abdelmalek Droukdel par des unités militaires françaises dans le Nord-Mali, l’EGA met en exergue «les difficultés chroniques qui s’accentuent dans toute la région» et à tous les niveaux, «militaire, social, politique (mais aussi) sanitaire et humanitaire» avec l’apparition du Covid-19.
«La déstabilisation des États du Sahel se poursuit, avec des processus électoraux contestés et des populations civiles souvent livrées à elles-mêmes loin des pouvoirs centraux (et devant) faire face à de plus en plus de violences intercommunautaires structurées par d’anciens conflits ethniques et historiques.»
Alors que l’organisation des États d’Afrique de l’Ouest, la Cédéao, multiplie sans succès les initiatives auprès des protagonistes de la double crise politique et sécuritaire malienne, la bande saharo-sahélienne «reste encore très largement fragilisée» autant par les attaques contre les forces de sécurité régulières que par les déplacements forcés de populations sans défense.
«La recrudescence des activités terroristes dans la région des trois frontières [Burkina Faso-Mali-Niger] se traduit aussi par une forte augmentation des attaques dans le nord du Burkina Faso. Ces exactions répétées (…) insécurisent toute la région… Aujourd’hui, 600 000 civils seraient concernés, soit dix fois plus qu’en 2019, entraînant une crise sanitaire majeure », souligne le document de l’Institut EGA.
L’implantation de la violence djihadiste dans le nord burkinabè déserté par l’armée a favorisé «des relations partenariales ponctuelles et opportunistes» entre groupes armés terroristes et bandes criminelles «qui vivent de divers trafics et rapines». Une jonction qui n’est pas sans conséquence, selon Olivier Ginolin, d’EGA.
«Cette situation dégradée à la frontière nord du pays s’étend désormais de plus en plus à l’est de la capitale Ouagadougou et ne laisse entrevoir que peu de perspectives de stabilisation de la situation à court terme.»
Le Niger ne semble pas de beaucoup mieux loti que le Burkina Faso, malgré la présence de soldats français à Niamey et l’appui en renseignements des États-Unis. Les 71 morts de l’attaque contre le camp d’Inates (à proximité immédiate du territoire malien) et l’assaut raté contre la caserne de Chinégodar avec 25 militaires tués en décembre 2019 et janvier dernier ont dévoilé la fragilité des capacités de riposte de l’armée nigérienne.
«Ce pays est simultanément confronté à une accentuation des tensions dans le sud-est et doit faire face à une pression plus forte de la part de l’État islamique en Afrique de l’Ouest (ISWAP)», une scission de la secte Boko Haram, explique l’EGA.
La Côte d’ivoire attaquée en juin dernier par un commando de djihadistes au nord, le Togo et le Ghana devant faire face à des incursions terroristes également dans leur septentrion, des gendarmes sénégalais du Groupe d’action rapide – Surveillance et intervention (GARSI) au Sahel titillés à l’est par des éléments non identifiés venus du Mali: c’est toute la bande saharo-sahélienne qui semble touchée par la contagion terroriste.
«Il sera compliqué d’avoir des résultats probants en matière de sécurisation durable des frontières tant qu’il n’existera pas une stratégie holistique et coordonnée de réponse à tous ces phénomènes violents qui déstabilisent les États », conseille Alioune Tine, expert indépendant des Nations unies interrogé par Sputnik.
Le sommet controversé de Pau entre la France et les 5 pays du G5-Sahel (Mali, Mauritanie, Niger, Tchad et Burkina Faso) en janvier 2020 a permis «la régénérescence des opérations militaires contre les groupes armés terroristes». Il n’en reste pas moins un «affichage politico-diplomatique insuffisant pour stabiliser à lui seul la recrudescence des attaques terroristes au Sahel», avertit Olivier Ginolin.
«La formation des forces de sécurité locales, comme au Mali, devient un enjeu stratégique (…) afin que les armées régulières des pays du Sahel puissent progressivement prendre leur autonomie et endosser à moyen terme le leadership de la sécurisation de la bande saharo-sahélienne », affirme le document de l’Institut EGA.
En attendant, le Mali, épicentre de la crise sécuritaire au Sahel, reste le pays le plus exposé à de violents soubresauts après les manifestations imposantes de Bamako en faveur de la démission du Président Ibrahim Boubacar Keïta. Mais des désordres de plus grande ampleur ne sont pas écartés en Côte d’Ivoire, au Niger et au Burkina Faso. Ces trois pays organisent en 2020 des élections présidentielles dans des contextes sécuritaires périlleux aggravés par le coronavirus. Trois points de basculement potentiel.
Source : Sputnik