La rue a décidé de dire non au général Burhane, qui a dissous le 25 octobre les institutions du Soudan et arrêté la plupart des dirigeants civils. Samedi matin, les autorités ont coupé l’accès à Internet à Khartoum.
Malgré cinq jours de répression meurtrière, les opposants au coup d’Etat militaire au Soudan sont décidés à remettre la transition démocratique sur les rails. Ils organisent samedi 30 octobre une démonstration de force contre le général Abdel Fattah Abdelrahman Al-Bourhane. Le risque d’un nouveau bain de sang dans un pays miné par les conflits n’entame en rien leur détermination, selon la militante prodémocratie Tahani Abbas, interrogée par l’Agence France-Presse (AFP).
« Les militaires ne nous dirigeront pas, voilà notre message », explique-t-elle. Et la « manifestation du million » promise sur les réseaux sociaux et par des graffitis sur les murs de Khartoum n’est qu’un « premier pas ». Depuis cinq jours, les Soudanais sont entrés en « désobéissance civile », juchés sur des barricades. Face à eux, les balles réelles ou en caoutchouc et les grenades lacrymogènes des forces de sécurité ont plu, fauchant déjà huit d’entre eux.
Le bilan pourrait être plus lourd, selon des médecins sur place, qui dénombrent neuf manifestants tués et plus de 170 blessés. Malgré tout, assure Tahani Abbas, « notre seule arme, c’est le pacifisme, et elle a déjà payé ». Tenant bon malgré les rafles, de nombreuses institutions publiques ont annoncé rejoindre la « désobéissance civile » qui a transformé Khartoum en ville morte depuis cinq jours.
« Nous n’avons plus peur »
Samedi matin, les autorités ont coupé l’accès à Internet et le réseau téléphonique dans la capitale. Les forces de sécurité, en grand nombre, bloquaient les ponts reliant Khartoum aux villes voisines. Elles ont établi des points de contrôle dans les rues les plus importantes, fouillant au hasard les passants et les voitures.
Le principal slogan des opposants est qu’il n’y a « pas de retour en arrière possible » après la révolte qui a renversé en 2019 le dictateur Omar Al-Bachir, un général lui-même arrivé au pouvoir par un putsch trente ans plus tôt. « Nous n’avons plus peur », martèle encore Mme Abbas. Car, pour les manifestants, qui promettent aussi des défilés de la diaspora à l’étranger, samedi est une redite de la « révolution » de 2019, qui a fait tomber Bachir au prix de six mois de mobilisation et plus de 250 morts.
Ce dernier putsch a coupé court aux espoirs d’élections libres à la fin de 2023 et plongé le pays, qui appartient à une région déjà instable, dans l’inconnu. Il y a neuf jours, des dizaines de milliers de Soudanais avaient défilé au cri de « Burhane, quitte le pouvoir ! ». Un événement qui a probablement précipité le cours des choses, le général, seul aux manettes aujourd’hui, prétextant avoir agi pour empêcher « une guerre civile ».
Gibril Ibrahim, ministre des finances soudanais, qui avait soutenu un sit-in proarmée avant le coup d’Etat, a prévenu : « Détruire des biens publics n’est pas une manifestation pacifique. » Il laisse ainsi entendre que les forces de l’ordre pourraient reprendre leurs tirs sur les manifestants qui montent des barricades, parfois avec des poteaux. « Les putschistes essayent de perpétrer des actes de sabotage pour trouver un prétexte à un déchaînement de violence », accuse déjà le porte-parole du gouvernement renversé lundi.
« Le monde regarde »
Cette fois-ci, « les dirigeants militaires ne doivent pas s’y tromper : le monde les regarde et ne tolérera pas plus de sang », prévient Amnesty International. De fait, dès vendredi soir, les Etats-Unis exhortaient l’armée à la retenue. Cette journée, a affirmé un haut responsable, « sera un vrai test sur les intentions des militaires ». Et cette fois-ci les militants veulent des rues plus noires de monde encore, une gageure alors que nombre d’entre eux ont été arrêtés. Mais, affirment des experts, forts de l’expérience de 2019, les manifestants sont aujourd’hui mieux organisés.
Le chef de l’ONU, Antonio Guterres, a, lui, enjoint « les militaires à ne pas faire plus de victimes » dans un pays où la quasi-totalité des dirigeants civils sont toujours détenus ou en résidence surveillée. Ces derniers, qui siégeaient avec M. Burhane et d’autres militaires au sein des autorités de transition, ont été emmenés lundi à l’aube par des soldats, avant que le général Burhane annonce la dissolution de l’ensemble des institutions du pays.
Les opposants ont avec eux une communauté internationale qui a multiplié les sanctions à l’encontre des généraux. Les Etats-Unis et la Banque mondiale ont arrêté leur aide, vitale pour ce pays d’Afrique de l’Est pris en étau entre inflation galopante et pauvreté endémique, l’Union africaine a suspendu Khartoum, tandis que le Conseil de sécurité de l’ONU exige le retour des civils au pouvoir.
Source: le monde