L’ex-ministre des affaires étrangères gabonaise Laure Olga Gondjout, longtemps secrétaire particulière du président Omar Bongo, dévoile les arcanes du pouvoir gabonais et de la Françafrique dans son livre, Instants de vie, publié en Côte d’Ivoire. Elle revient notamment sur le soutien de M. Bongo à Alassane Ouattara et sur la tentative américaine d’évincer la France du Gabon.
« M. Bongo avait fait le serment au président [ivoirien] Félix Houphouët-Boigny de protéger Alassane Ouattara quoiqu’il advienne, car il avait une grande ambition pour lui et pour la Côte d’Ivoire », affirme à l’AFP Mme Gondjout, qui était très proche d’Omar Bongo.
Le président « Bongo a accordé un soutien indéfectible à Alassane Ouattara. Mon regret c’est que le président Bongo [décédé en 2009] n’ait pas vu Alassane installé au pouvoir en 2011 [après une décennie de crise]. Quand je vois tout ce parterre de chefs d’Etat et que le président Bongo est absent, j’ai un pincement au cœur », raconte-elle.
Elle rappelle l’épisode de 2002 quand Alassane Ouattara, qui s’était réfugié à la résidence de France d’Abidjan, a été exfiltré.
« Le président Chirac, compte tenu des relations exacerbées qu’il y avait entre Paris et Abidjan, n’avait pas souhaité recevoir Ouattara en France. Bongo a dit : “Je le reçois à Libreville mais je n’ai pas les moyens de l’exfiltrer” », raconte Mme Gondjout.
« Rigolo »
« Ils ont concocté un plan qui consistait à détourner l’attention du président Laurent Gbagbo en organisant une conférence avec [Dominique] de Villepin et simultanément le corps d’élite de l’armée français a réussi à exfiltrer Ouattara et lui permettre de prendre un avion » pour aller au Gabon. Après avoir logé quelques semaines chez un particulier, M. Ouattara, « pied de nez du destin », avait « la suite Chirac au Méridien » de Libreville, alors que « M. Chirac l’appréciait peu ».
Ancienne médiatrice de la République du Gabon, Mme Gondjout, 66 ans, est désormais installée à Abidjan et a lancé en même temps que son livre l’Académie Omar-Bongo de la paix et de la médiation en Afrique, qui doit à la fois « effectuer des missions de médiation » et dispenser des cours.
Mme Gondjout raconte aussi la réconciliation sous forme d’accolade à Syrte en Libye de Bongo et Gbagbo, alors que les diplomates des deux pays étaient à couteaux tirés après les déclarations de l’Ivoirien traitant le Gabonais de « rigolo » en 2005.
Extrait : « Nous sommes en Afrique, je suis le grand frère, il est le petit… Le patron [Bongo] me confia : Laurent se croit plus malin. Comme il ne veut plus que je me mêle d’histoires ivoiriennes, il a trouvé ce stratagème. Alors il pense qu’il pourra écarter Alassane Ouattara. C’est mal me connaître. »
« Plier bagage »
Autre anecdote : Mme Gondjout raconte comment, en 1993, les Etats-Unis ont tenté de prendre pied au Gabon en jouant l’opposition contre Omar Bongo, l’un des symboles de la Françafrique et qui a dirigé le Gabon de 1967 à 2009.
« C’était pour le pétrole. L’ambassadeur américain Joseph Wilson, qui était en Irak lors de l’invasion du Koweit [par l’Irak suivi de l’opération Tempête du désert en 1991], voulait planter le drapeau américain », dit-elle, alors que le Gabon vit ses « années de braise » avec l’émergence dans la douleur du multipartisme, des troubles et des émeutes.
« Wilson était actif sur le terrain. Il aidait l’opposition à s’organiser sur le plan stratégique, tactique (…). Il était aussi conscient des relations délicates entre la France et le Gabon à ce moment-là. En France, on est sous [François] Mitterrand. Les socialistes sont au pouvoir », rappelle-t-elle.
« Ce qui va nous surprendre, ce sont les instructions données [par Paris] à l’ambassadeur de France Louis Dominici. Il m’a dit : “Si j’obéis, ça veut dire que là, je vais plier bagage et la France avec.” Il ne les a pas suivies et ça lui a coûté son poste. »
Finalement, en 1993, Omar Bongo réussit à renverser la situation en sa faveur. « Il est allé déjeuner chez l’ambassadeur américain à Rio [quartier populaire] pour sceller la réconciliation et pour montrer que c’était l’homme fort du Gabon. »
Source : Le Monde