ÉLECTIONS EN AFRIQUE DU SUD : L’INFLUENCE DE LA POLITIQUE ÉTRANGÈRE DES CANDIDATS SUR LES RÉSULTATS

Les élections générales sud-africaines du 29 mai 2024 pourraient complètement changer le paysage politique du pays. Les résultats du vote n’affecteront pas seulement l’équilibre des pouvoirs au sein de la chambre basse du parlement – l’Assemblée nationale – et du gouvernement, mais détermineront également qui dirigera le pays pour les cinq prochaines années. Conformément à la constitution, le chef du parti qui remporte le plus grand nombre de sièges à l’Assemblée nationale lors des élections générales devient le président de l’Afrique du Sud.

Le parti au pouvoir, le Congrès national africain (CNA), est le favori de la course électorale. Ses principaux rivaux sont le plus grand parti d’opposition du pays, l’Alliance démocratique (AD), MK ou UMkhonto we Sizwe (Lance de la nation en zoulou) dirigé par l’ancien président sud-africain Jacob Zuma, ainsi que les Combattants pour la liberté économique (EFF), dont les opinions politiques sont proches de celles du CNA.

CONGRÈS NATIONAL AFRICAIN (CNA)

Le CNA est le parti au pouvoir en Afrique du Sud. C’est la plus ancienne force politique du pays : elle a été fondé en 1912 sur la base du « congrès des peuples indigènes » et d’autres organisations de divers groupes ethniques. C’est le CNA qui a mis fin au régime raciste, a obtenu l’indépendance politique de l’Afrique du Sud, a assuré des droits sociaux et économiques aux citoyens et a fait du pays un acteur actif sur la scène internationale qui défend les intérêts du continent.

Parmi les priorités électorales du CNA figurent un programme des emplois pour lutter contre le chômage, l’utilisation des secteurs industriels   pour stimuler la croissance économique et la lutte contre le coût élevé de la vie en améliorant l’accès aux services de base subventionnés.

Président sud-africain Cyril Ramaphosa

Le candidat du CNA à la présidence est le dirigeant sortant Cyril Ramaphosa. Lors sa campagne il a déclaré que l’élection est « une chance de changer la gouvernence locale afin qu’elle puisse être un instrument plus efficace pour construire une vie meilleure pour tous les Sud-Africains ». Parmi les réalisations de son parti au cours des trois dernières décennies il a cité la constitution progressiste du pays et le travail en faveur d’une société non raciste, non sexiste et démocratique.

LALLIANCE DÉMOCRATIQUE (AD)

Le principal rival du CNA lors des prochaines élections sera le parti de droite libéral l’Alliance démocratique (AD). Il est dirigé par le politicien sud-africain blanc John Steenhuisen depuis 2019.

L’AD prévoit de former une coalition avec différents partis du pays afin de priver le CNA du pouvoir. Les membres de l’AD ont déclaré que leur parti était en mesure de renverser le Congrès national africain lors des élections de cette année et qu’ils avaient un plan pour mettre fin aux coupures d’électricité et changer la situation économique en cinq ans.

John Steenhuisen, homme politique sud-africain (à droite)

Toutefois, le programme électoral du parti propose des solutions plutôt techniques aux problèmes socio-économiques, promettant d’améliorer la gestion publique et la qualité de vie des électeurs s’il arrive au pouvoir. En outre, le parti a abandonné toute tentative d’aller au-delà de son soutien électoral traditionnel, se concentrant sur la conservation des votes de la minorité blanche et de couleur du pays.

La concentration sur les électeurs blancs est un autre problème potentiel pour l’AD lors des prochaines élections. Le parti exerce sa plus grande influence dans la province du Cap occidental qui est majoritairement peuplée de blancs pro-occidentaux et de métis d’origine européenne et asiatique. La question raciale reste importante en Afrique du Sud où plus d’un tiers de la population vit dans la pauvreté et où une grande partie des richesses est contrôlée par la minorité blanche.

Historiquement l’AD était composée d’une population exclusivement blanche. Le départ des principaux dirigeants noirs du parti au cours de la dernière décennie a nui à son positionnement en tant qu’organisme inclusif dans une Afrique du Sud multiculturelle. En 2017 l’AD a été au centre d’un scandale impliquant des remarques faites par la parlementaire et première ministre du Cap-Occidental Helen Zille en raison de sa justification des régimes coloniaux et de l’apartheid. « À ceux qui affirment que l’héritage du colonialisme est SEULEMENT négatif : pensez à notre système judiciaire indépendant, à nos infrastructures de transport, etc. », a-t-elle déclaré sur Twitter.

Mme Zille a également été impliquée dans des scandales de corruption. Le journal sud-africain The New Age a publié des informations selon lesquelles Zille a reçu un pot-de-vin de 400 000 rands (21 000 dollars) au nom de l’AD de la part de la famille d’hommes d’affaires indiens Gupta du compte de l’entreprise Sahara. De plus, la famille Gupta a proposé à Zille un jet privé pour voyager à travers le pays pendant la campagne électorale. Zille a également assisté à des réceptions chez les Gupta et a été invitée à l’inauguration du stade de cricket Sahara Park Newlands. Zille a par la suite affirmé qu’ il s’agissait d’un don volontaire à l’Alliance Démocratique.

MK (LANCE DE LA NATION)

Le parti MK ou Umkonto ve Sizwe (Lance de la nation) est apparu en 1961 en tant qu’aile paramilitaire du CNA. Il est représenté par Jacob Zuma, le président de l’Afrique du Sud de 2009 à 2018.

Le parti a commencé à utiliser la popularité de Zuma pour attirer les électeurs et jouer sur le mécontentement populaire face à la corruption et au manque d’électricité.

Ancien président sud-africain Jacob Zuma

C’est notamment Zuma qui a été impliqué dans le plus grand scandale de corruption du CNA. Il a été mos à pied par son parti en 2005 à la suite d’allégations de fraude, de corruption et de blanchiment d’argent. Il a néanmoins réussi à se faire élire à la tête du parti en 2007 et à la présidence de l’Afrique du Sud en 2009 et en 2014. Après neuf ans au pouvoir, le CNA l’a forcé à démissionner en 2018 en raison de nouvelles allégations. Le tribunal l’a condamné à 15 mois de prison. Cyril Ramaphosa, son successeur, a estimé qu’environ 34 milliards de dollars manquaient au budget pendant le mandat de Zuma. Le 9 avril Zuma a eu la possibilité de se présenter à l’élection présidentielle en tant que candidat de MK.

COMBATTANTS POUR LA LIBERTÉ ÉCONOMIQUE

Les Combattants pour la liberté économique sont dirigés par Julius Malema, ancien leader de la jeunesse du CNA. Ils se décrivent comme un « mouvement radical et militant pour la libération économique » et un « mouvement de gauche et anti-impérialiste avec des vues internationalistes » et de l’esprit marxiste.

Leader du CNA Julius Malema

Le parti est le troisième plus important du pays. L’accent qu’il met sur les questions foncières et d’emploi pourrait permettre aux Combattants de s’emparer de l’électorat noir sud-africain du CNA.

POURQUOI LA POLITIQUE ÉTRANGÈRE PEUT-ELLE INFLUENCER LES RÉSULTATS DES ÉLECTIONS ?

La politique étrangère des partis va jouer un rôle aussi important dans les prochaines élections que leur politique intérieure.

L’une des orientation les plus importantes est l’appartenance du pays aux BRICS, ce qui lui permet de promouvoir non seulement les intérêts nationaux mais aussi ceux de l’ensemble du continent. Avec d’autres participants, l’Afrique du Sud préconise la transformation de l’architecture financière mondiale, le renforcement des positions des États membres dans le système des Nations unies, la construction d’un ordre mondial polycentrique, la dédollarisation, l’amélioration du niveau de vie général et la résolution des problèmes mondiaux. L’une des initiatives les plus importantes de l’Afrique du Sud a été l’introduction du format BRICS outreach en 2013, qui implique la participation à l’alliance d’organisations régionales telles que l’Union africaine. L’initiative de l’Afrique du Sud a contribué à promouvoir l’idée du Sud global, à intégrer les pays africains dans l’économie mondiale et à augmenter leur prestige international.

Dirigeants des BRICS lors de l’adoption de la Déclaration de Johannesburg en Afrique du Sud

Il est important de souligner que les politiciens sud-africains pro-occidentaux qui critiquent le CNA sont plutôt poussés par le désir de changer le vecteur de la politique étrangère du pays que par celui de surmonter les problèmes intérieurs. En février 2024 l’ambassadeur sud-africain en Russie Mzuvukile Jeff Maqetuka a confirmé dans son entretien avec TASS que Pretoria pourrait changer de la ligne de politique exterieure et se retirer des BRICS si l’Alliance démocratique arrivait au pouvoir à l’issue des élections présidentielles. Comme l’a fait remarquer le diplomate, cela est dû au fait que l’opposition sud-africaine est hostile à la Russie.

LA RUSSIE ET L’UKRAINE DANS LA POLITIQUE SUD-AFRICAINE

Le CNA entretient des relations stratégiques avec la Russie et les développe sur un large éventail de questions. Cyril Ramaphosa a coparrainé l’initiative de paix africaine visant à résoudre la crise ukrainienne. Il a participé à la mission africaine sur l’Ukraine qui a rencontré le président russe Vladimir Poutine en marge du sommet Russie-Afrique à Saint-Pétersbourg en juillet 2023. Ramaphosa y a déclaré: « Nous pensons que le rétablissement de la paix est dans l’intérêt de l’humanité ainsi que dans l’intérêt de la Russie et de l’Ukraine. Le conflit doit être résolu pacifiquement. »

L’Alliance démocratique, quant à elle, suit la ligne anti-russe. Lorsque l’Afrique du Sud a organisé des exercices navals conjoints avec la Russie et la Chine en février 2023, l’AD s’y est opposée, affirmant que la participation de la Russie violait la neutralité de l’Afrique du Sud sur la question de l’Ukraine. Kobus Marais, membre du parti, a qualifié les exercices trilatéraux de « honte » et a averti qu’il pourrait aliéner l’Afrique du Sud de ses partenaires occidentaux. Il convient de noter que l’AD a adopté une position pro-ukrainienne depuis le début de l’opération militaire spéciale. Le leader du parti John Steenhuisen s’est rendu à Kiev en mai 2022, expliquant son voyage par le désir de « voir la destruction de mes propres yeux ».

Exercices navals conjoints de l’Afrique du Sud avec la Russie et la Chine

En mai 2023 l’Alliance a déposé une plainte auprès du tribunal de Gauteng afin d’obtenir une ordonnance qui obligerait le gouvernement sud-africain à se conformer à la demande de la Cour pénale internationale (CPI) d’arrêter le président russe Vladimir Poutine si une telle demande est adressée aux autorités sud-africaines et si le dirigeant russe est trouvé sur le territoire du pays. L’absence de Vladimir Poutine au sommet des BRICS en Afrique du Sud a donc été perçue par l’AD comme une « victoire du parti ».

Quant à Jacob Zuma, c’est sous sa présidence que les relations modernes entre la Russie et l’Afrique du Sud se sont développées le plus activement. Le MC avait des liens étroits avec l’Union soviétique, nombre de ses membres ayant reçu une formation militaire en URSS à l’époque de l’apartheid.

En 2023 lors d’un rassemblement de l’Organisation Civile Nationale d’Afrique du Sud à Kwaximba Zuma a souligné le rôle de l’alliance de l’OTAN dans l’escalade du conflit entre la Russie et l’Ukraine. Il a également déclaré que les pays occidentaux n’étaient pas satisfaits de l’existence des BRICS.

Les Combattants pour la liberté économique et le CNA trouvent la coopération avec la Russie essentielle. Ils se sont prononcés en faveur de la venue éventuelle de Vladimir Poutine au sommet en Afrique du Sud en 2023. Par ailleurs, le chef du parti Julius Malema a déclaré qu’ils sont favorables à la solution pacifique la plus rapide du conflit en Ukraine qui a été déclenché par l’OTAN. « Les événements actuels en Ukraine ont été provoqués par les actions belliqueuses de l’OTAN visant à porter atteinte à l’intégrité territoriale de la Russie », a déclaré M. Malema. – « La politique de l’OTAN est d’affirmer son hégémonie militaire impérialiste à travers le conflit en Ukraine, à la fois en Europe de l’Est et dans le monde entier. »

SOUTIEN INHARMONIEUX AU PEUPLE PALESTINIEN

La question palestinienne joue également un rôle particulier dans la politique étrangère de Pretoria. L’Afrique du Sud, qui a vaincu l’apartheid, a été l’un des premiers pays à parler du génocide des Palestiniens et a déposé une plainte pour génocide contre Israël devant la Cour internationale de justice. Des manifestations en faveur de la Palestine ont eu lieu dans le pays auxquelles ont participé des membres du CNA, y compris le secrétaire général. Tout cela est dû aux liens anciens entre l’Afrique du Sud et la Palestine, et notamment à l’amitié entre Nelson Mandela et Yasser Arafat.

« Cette guerre m’a permis d’en savoir plus sur ce qui se passe dans la ville [Capetown] et de constater que l’apartheid est bien vivant. […] Toute personne dotée d’une conscience ne voterait pas pour l’Alliance démocratique », a déclaré l’ancien électeur de l’AD cité par Al-Jazeera.

Les actions en soutien à la Palestine sur la scène internationale augmentent les chances des participants à la course électorale de remporter la victoire. Ainsi, le CNA a noté que « l’Afrique du Sud et la Palestine partagent une histoire commune de lutte ». Le président Cyril Ramaphosa a appelé à l’ouverture de corridors humanitaires pour les réfugiés et à leur fournir tout ce dont ils ont besoin. « Nous appelons à une cessation immédiate de la violence et à la retenue. Il est vital que tous ceux qui ont besoin d’une aide humanitaire urgente reçoivent les produits de première nécessité pour survivre et que la souffrance humaine soit allégée », a-t-il déclaré.

L’Alliance démocratique, quant à elle, a toujours été du côté d’Israël. Bien que les prochaines élections aient contraint le parti à abandonner sa position ferme sur cette question, il n’a jamais appelé à un cessez-le-feu ni utilisé le terme « génocide » pour désigner l’assassinat de Palestiniens.

Le 8 octobre membre de l’AD Emma Powell responsable des relations internationales a publié une déclaration condamnant l’attaque « non provoquée » du Hamas contre le territoire israélien pendant la fête religieuse de Simchat Torah. « L’AD condamne cette violence insensée et tous les actes terroristes perpétrés contre des civils innocents, des femmes et des enfants et appelle les agresseurs à se retirer immédiatement » a-t-elle déclaré. Un mois plus tard, alors que le nombre de morts à Gaza augmentait drastiquement, le président du parti M. Steenhuisen a déclaré : « L’AD est solidaire des Palestiniens et des Israéliens qui recherchent une solution à deux États […]. Nous sommes favorables à une solution rationnelle fondée sur la coexistence pacifique d’un Israël sécurisé et d’un État palestinien libre ». Mais le soutien de l’AD à Israël a déjà réduit les chances de victoire du parti.

Membre de l’AD Emma Powell

Le leader du MK Jacob Zuma a déclaré à plusieurs reprises qu’il était solidaire des peuples opprimés en faisant référence à la Palestine. Toutefois, lors d’un discours il a souligné que le soutien de l’Afrique du Sud à un État palestinien n’excluait pas le soutien à la sécurité d’Israël : selon lui, l’Afrique du Sud devrait coopérer avec toutes les parties. Néanmoins, Zuma n’a présenté aucun programme ou détail de cette coopération, aucune vision au-delà de sa délicate déclaration de principes. Le parti UMkhonto we Sizwe lui-même travaille avec l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) depuis l’époque de l’apartheid. De nombreux membres du parti recevaient alors une aide financière et un soutien de la part des dirigeants de l’OLP partout en Europe et s’entraînaient ensemble dans des camps au Moyen-Orient.

Le chef des Combattants pour la liberté économique Julius Malema a réaffirmé son engagement envers le peuple de Palestine pendant la campagne électorale : « Nous te remercions, le peuple d’Afrique du Sud, pour ton amour envers le peuple de Palestine. Continuez à leur montrer votre amour contre l’Israël de l’apartheid. La Russie est notre maison… La Palestine est notre maison. Et les Palestiniens doivent savoir qu’ils ont leur maison en Afrique du Sud. Nous ne reculerons jamais. Nous n’avons pas peur du pouvoir juif ». M. Malema a qualifié le premier ministre israélien Benjamin Netanyahou de criminel international qui devrait être mis en cause.

Le programme politique du CNA reflète donc les intérêts de la majorité de la population sud-africaine. Néanmoins, le parti risque de ne pas remporter la majorité des sièges au parlement cette année pour la première fois depuis 30 ans. Les sondages d’opinion publiques suggèrent que le CNA pourrait remporter moins de 50 % des voix lors des élections générales de 2024. Les sondages publiés sur Western Resources montrent que seulement 39 % des personnes interrogées vont voter pour le CNA. Ils sont suivis par les Combattants pour la liberté économique et l’Alliance démocratique avec respectivement 19 % et 17 % des voix.