Le rapport d’une commission d’historiens remis à Emmanuel Macron confirme l’engrenage qui a conduit la France de François Mitterrand à soutenir aveuglément un régime dictatorial qui a perpétré et encouragé le génocide des Tutsi.
Editorial du « Monde ». « Des responsabilités lourdes et accablantes. » Vingt-sept années ont été nécessaires pour que ces mots, à propos du rôle de la France dans le génocide des Tutsi du Rwanda en 1994, soient écrits dans un rapport commandé par le président de la République.
Deux ans après avoir chargé l’historien Vincent Duclert de faire la lumière sur l’implication française dans l’un des derniers génocides du XXe siècle qui, en cent jours, coûta la vie à près de 800 000 Tutsi, Emmanuel Macron a désormais entre les mains un document solide, établi par des chercheurs indépendants et fondé sur des archives enfin ouvertes. Après des années de déni puis d’euphémisation, c’est un pas décisif sur la voie de la vérité.
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Lourd de 1 200 pages, le document confirme et précise ce que de nombreux livres et enquêtes journalistiques ont révélé : l’engrenage qui a conduit la France de François Mitterrand à soutenir aveuglément le régime dictatorial de Juvénal Habyarimana, qui a perpétré et encouragé le génocide. Tragique ironie, le Rwanda était considéré à Paris comme le laboratoire de la nouvelle politique africaine de la France, qui, à partir de 1990, entendait conditionner son aide à la démocratisation des pays.
Pratique pyramidale du pouvoir
Le rapport Duclert détaille le mécanisme de cet « aveuglement continu dans le soutien à un régime raciste, corrompu et violent ». Il explique cette dérive à la fois par la relation personnelle entre François Mitterrand et le président hutu rwandais, qui conduit à satisfaire toutes ses demandes d’armement, et par une pratique pyramidale du pouvoir, qui amène l’état-major particulier du président à court-circuiter l’administration, y compris militaire, et à imposer sa grille de lecture en balayant les lanceurs d’alerte.
Les historiens qualifient de « défaite de la pensée » la vision mitterrandienne justifiant la domination des Hutu (majoritaires) au nom de la démocratie, perpétuant le regard ethniciste instrumentalisé par le colonisateur belge, et persistant à voir une guerre civile là où un génocide se perpètre. S’ajoute l’obsession de la « menace anglo-saxonne », pour aboutir à cette « faillite ».
Isolée, compromise avec le régime, incapable de comprendre la tragédie en cours, la France ne pouvait plus paraître impartiale lorsque le génocide a commencé, le 6 avril 1994, et qu’elle a tenté de se désengager. Censée stopper les massacres, l’opération « Turquoise » porte l’ambiguïté à son paroxysme lorsque les soldats français assurent la protection d’une zone où se sont réfugiés les génocidaires, mais refusent de les arrêter. Y a-t-il eu complicité ? Les historiens ne le pensent pas, réfutant formellement une accusation souvent portée.
En 2010, Nicolas Sarkozy avait évoqué de simples « erreurs politiques ». Quant à François Hollande, il a promis en vain d’ouvrir les archives sur le Rwanda. Il appartient désormais à Emmanuel Macron de traduire en paroles politiques le terrible constat dressé par le rapport. Il appartient éventuellement à des juges de tirer les conclusions dans les procédures en cours.
La France s’honore chaque fois qu’elle fait la lumière sur les épisodes sombres de son histoire. Très attendu à l’approche du vingt-septième anniversaire du génocide, un discours français de vérité sur le Rwanda, pays où M. Macron espère se rendre, devrait permettre de refonder les relations entre Kigali et Paris et d’envoyer un signal à toute l’Afrique. Les survivants du génocide, les familles des victimes y ont droit. Les Français aussi, car ni la paix ni le renom d’un pays ne prospèrent sur le mensonge.
Source: Le Monde