En Ethiopie, le premier ministre Abiy Ahmed admet la présence de troupes érythréennes au Tigré

MOHAMED NURELDIN ABDALLAH / REUTERS Des Ethiopiens fuient les combats dans la région du Tigré, après avoir traversé la rivière qui marque la frontière entre le Soudan et l’Ethiopie, en décembre 2020. MOHAMED NURELDIN ABDALLAH / REUTERS

Le chef de l’exécutif juge « inacceptables » les atteintes aux civils qui ont pu être commises dans cette zone frontalière en proie aux combats depuis novembre 2020.

Le premier ministre d’Ethiopie Abiy Ahmed a admis mardi 23 mars la présence de troupes érythréennes dans la région du Tigré, jugeant « inacceptables » les atteintes aux civils qui ont pu être commises dans cette zone frontalière en proie aux combats depuis novembre 2020.

La présence au Tigré de troupes venues d’Erythrée avait été rapportée par des habitants, des ONG et certains diplomates, mais était démentie depuis des mois par les autorités des deux pays.

Le premier ministre éthiopien a lancé le 4 novembre une intervention militaire visant à renverser le parti au pouvoir dans cette région du nord du pays, le Front de libération du peuple du Tigré (TPLF), dont il a accusé les forces d’avoir attaqué des bases de l’armée fédérale. Il a proclamé la victoire le 28 novembre, mais les combats s’y sont poursuivis

Ces dernières semaines, des habitants du Tigré ont livré d’effrayants récits de massacres et de violences sexuelles à grande échelle perpétrés par les forces progouvernementales, éthiopiennes comme érythréennes.

« Tirs de roquettes »

Face aux parlementaires, Abiy Ahmed a reconnu l’existence d’abus, de la part des deux armées. « La guerre est destructrice, elle fait beaucoup de mal. Il y a eu des dégâts dans la région de Tigré. Malgré la propagande et les mensonges, des informations indiquent qu’il y a eu des viols et des pillages de propriétés », a-t-il déclaré.

M. Abiy a affirmé que l’Erythrée avait fait « une faveur » à l’Ethiopie en intervenant dans le conflit, sans toutefois expliciter si cette intervention avait été menée à sa demande ou non.

« Cependant, après que l’armée érythréenne a traversé la frontière et opéré en Ethiopie, tout dommage qu’elle a causé à notre peuple est inacceptable, a-t-il poursuivi. Nous ne l’acceptons pas parce que c’est l’armée érythréenne, et nous ne l’accepterions pas s’il s’agissait de nos soldats. La campagne militaire était contre nos ennemis clairement ciblés, pas contre le peuple. Nous en avons discuté quatre ou cinq fois avec le gouvernement érythréen. »

Le chef du gouvernement éthiopien a expliqué que les autorités érythréennes ont justifié leur implication dans le conflit par des « tirs de roquettes » du TPLF depuis l’autre côté de la frontière. « L’Erythrée nous a dit qu’elle avait des problèmes de sécurité nationale et que, par conséquent, elle s’était emparée des zones à la frontière », a affirmé M. Abiy.

Haine tenace

Le gouvernement érythréen fait valoir, selon M. Abiy, que ses soldats se sont emparés de tranchées situées à la frontière, creusées pendant la guerre frontalière de 1998-2000, et qui avaient été abandonnées par les soldats éthiopiens. Selon ce dernier, Asmara a promis d’en partir si les soldats éthiopiens revenaient dans ces tranchées. Le conflit, qui avait fait quelque 80 000 morts, s’est déroulé alors que le TPLF était au pouvoir en Ethiopie.

Les deux pays se sont rapprochés à partir de 2018 à l’initiative d’Abiy Ahmed, récompensé du prix Nobel de la paix en 2019. Mais la haine reste tenace entre les autorités érythréennes et le TPLF. Les troupes érythréennes sont accusées d’atrocités dans la région.

Amnesty International a affirmé qu’elles ont tué des centaines de personnes dans la ville d’Axoum. L’AFP a rencontré des habitants du village de Dengolat, qui les accusent d’un massacre, ayant causé la mort de 164 personnes selon l’église locale. « Le gouvernement érythréen a sévèrement condamné les abus présumés et déclaré qu’il prendrait des mesures contre tout soldat qui en serait accusé », a rappelé Abiy Ahmed.

Le conflit au Tigré a indirectement ravivé les tensions avec un autre de ses voisins, le Soudan, autour du contentieux frontalier dans la région d’Al-Fashaga. Mais le premier ministre éthiopien a assuré mardi que son pays « ne [voulait] pas de guerre » avec un « pays frère ».

Crainte d’un conflit régional

Depuis plus de deux décennies, des milliers de cultivateurs éthiopiens se sont installés dans cette zone agricole de 1,2 million d’hectares située aux confins des régions éthiopiennes d’Amhara et du Tigré, et de l’Etat de Gedaref, dans l’est du Soudan.

Après le déclenchement du conflit au Tigré, qui a provoqué la fuite de plus de 60 000 Ethiopiens vers le Soudan, Khartoum a envoyé des troupes dans la région d’Al-Fashaga, afin de « reconquérir les territoires volés et prendre position sur les frontières internationales », selon des médias officiels soudanais.

Des accrochages mortels entre forces loyales aux deux pays ont fait craindre un conflit régional à plus grande échelle. « Le Soudan dans son état actuel n’est pas en mesure de se battre avec un pays voisin, il a beaucoup de problèmes. L’Ethiopie a aussi beaucoup de problèmes, a estimé Abiy Ahmed. Il vaut mieux régler cela de manière pacifique. »

Mardi soir, le Soudan a annoncé avoir accepté une médiation des Emirats arabes unis pour tenter de trouver une solution à ce contentieux frontalier.

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  Source: Le Monde