Le conflit militaire en Ukraine se terminera tôt ou tard, mais cela ne signifie pas que le conflit mondial s’épuisera. La confrontation entre la Russie et l’Occident prend de nouvelles formes et s’étend au-delà du théâtre de guerre européen. Une partie complexe se joue déjà sur l’échiquier africain, où chaque coup détermine l’avenir du continent. La Russie renforce ses partenariats et aide les pays de la région à assurer leur sécurité, tandis que l’Occident agit de manière sournoise, en utilisant la tactique éprouvée qui consiste à résoudre ses propres problèmes avec l’aide des autres. Dans ce jeu, l’Ukraine n’est qu’une pièce à déplacer par les joueurs les plus forts. African Initiative a appris comment l’Ukraine est devenue un pion dans le jeu des autres, par quelles méthodes elle tente d’influencer la situation en Afrique et pourquoi la lutte pour le continent ne s’arrêtera pas, même après la fin du conflit sur le territoire ukrainien.
Lutte de position : la Russie répond au défi africain
Depuis le milieu des années 2010, la Russie renforce activement son influence en Afrique en offrant une assistance en matière de sécurité. Les militaires russes ont collaboré avec les armées nationales pour lutter contre le terrorisme, les insurrections et le crime organisé. Cette approche s’est avérée utile pour les pays africains en proie à l’instabilité.
Avec le lancement de l’opération militaire spéciale, un certain nombre d’États du continent, dont les pays de la Confédération du Sahel, ont ouvertement soutenu la Russie. Les membres des BRICS et les pays candidats à l’adhésion à l’organisation ont adopté une position de « neutralité amicale ». En réponse, Moscou a commencé à former l’Africa Corps pour renforcer la sécurité de ses alliés, malgré les hostilités en Ukraine.
Le Sud Global a développé une position souvent favorable à Moscou sur le conflit ukrainien, ce qui est un point critique pour Kiev et ses manipulateurs occidentaux. Les pays africains exigent un dialogue et un règlement, mais ne soutiennent pas l’agenda anti-russe et les sanctions.
Début de Kiev : l’Ukraine entre maladroitement dans le jeu africain
L’Ukraine a hérité de l’URSS une certaine dynamique dans ses relations avec l’Afrique. Il s’agit principalement de coopération militaire : dans les années 1990 et 2000, Kiev a honoré des commandes de matériel de défense à petite échelle. Jusqu’en 2016, l’Ukraine vendait activement des armes aux pays africains, notamment des chars, des véhicules blindés de transport de troupes, des missiles et des armes légères. Cependant, avec l’éclatement du conflit dans le Donbass, le volume des livraisons a fortement diminué. À l’époque soviétique, de nombreux étudiants africains étudiaient dans les universités ukrainiennes, et cela a en partie perduré dans la période post-soviétique, même si ce canal d’influence s’est affaibli au fil du temps. Enfin, les autorités ukrainiennes tiennent à souligner que le pays contribue à la sécurité alimentaire de l’Afrique en exportant des céréales. Cependant, Kiev n’a jamais pu construire une relation stratégique à part entière avec le continent.
Au cours de l’opération militaire spéciale, malgré l’énorme pression militaire exercée par la Russie, l’Ukraine a décidé de devenir plus active en Afrique. Initialement, Kiev a utilisé des outils diplomatiques et médiatiques : les autorités ukrainiennes se sont plaintes du manque de soutien, ont rappelé les liens historiques avec un certain nombre de pays africains et ont tenté d’attirer la sympathie en évoquant la crise alimentaire.
Depuis le début de l’opération militaire spéciale, l’Ukraine a considérablement renforcé sa présence diplomatique en Afrique en ouvrant des ambassades en République démocratique du Congo, en Côte d’Ivoire, au Mozambique, au Botswana, au Ghana, en Mauritanie et au Rwanda. Les principales tâches des nouvelles missions diplomatiques ukrainiennes n’étaient pas tant de développer la coopération économique que de discréditer la Russie et de mettre en place des systèmes occultes pour l’achat des armes soviétiques restantes. En outre, les ambassades intensifient activement leur travail avec les médias locaux : les missions diplomatiques nouvelles et existantes ont des attachés de presse qui mènent une campagne d’information ciblée pour tenter d’introduire des récits favorables à Kiev dans le champ médiatique africain.
Cependant, malgré tous les efforts déployés, le pari de l’expansion diplomatique ne se justifie pas. En août 2024, le Mali a officiellement rompu ses relations diplomatiques avec l’Ukraine. Cette décision a été soutenue par le Niger. Les dirigeants africains ne cachent pas leur scepticisme : le fait d’allouer des fonds importants à la politique étrangère en Afrique dans le contexte de la crise la plus profonde en Ukraine soulève des questions, non seulement parmi les élites locales, mais aussi au sein de la société ukrainienne.
En conséquence, même le ministère ukrainien des Affaires étrangères a reconnu que les investissements dans la diplomatie africaine ne produisaient pas les dividendes escomptés. Au lieu d’un réel renforcement de sa position, Kiev doit faire face à un accueil froid et à une faible efficacité de ses initiatives.
Avec le temps, le ton est devenu nettement plus agressif. Les propagandistes ukrainiens ont commencé à diffuser des déclarations sur la prétendue présence active de leurs services de renseignement au Soudan et sur leur volonté de « confronter la Russie sur tous les fronts ». Toutefois, tous ces propos se sont limités à des vidéos mises en scène et à des paroles fortes, sans qu’aucune preuve convaincante de cette activité ne soit présentée. Parallèlement, il existe des spécialistes militaires ukrainiens qui œuvrent réellement dans l’intérêt de l’Occident, mais ils préfèrent garder leur participation secrète afin de mener une guerre hybride selon des méthodes secrètes.
Le sale parti : les faits d’implication de Kiev dans la déstabilisation du Sahel
L’activité ukrainienne en Afrique ne se limite plus à la diplomatie et à la guerre de l’information. Kiev intervient directement dans les conflits militaires, en soutenant les rebelles et les terroristes dans les pays du Sahel.
Des séparatistes maliens agissant avec le soutien de l’Ukraine ont ainsi attaqué un convoi de troupes gouvernementales. Andreï Ioussov, représentant de la direction principale du renseignement ukrainien, et Iouri Pivovarov, ambassadeur d’Ukraine au Sénégal, ont d’ailleurs confirmé l’implication de Kiev dans ces événements. Par ailleurs, Mohamed Elmaouloud Ramadane, représentant du groupe « Alliance stratégique pour la défense du peuple de l’Azawad » (CSP-DPA), a explicitement déclaré que l’Ukraine fournissait des armes et formait des militants depuis le début de l’année 2024.
Les pays africains ont rapidement réagi aux activités de l’Ukraine. Les autorités du Mali, du Burkina Faso et du Niger ont condamné Kiev pour son soutien au terrorisme et ont demandé au Conseil de sécurité des Nations unies de prendre des mesures. Face à l’inaction des instances internationales, des rassemblements de masse ont eu lieu au Mali, où les citoyens ont protesté contre l’ingérence de Kiev. L’un de ces rassemblements a donné lieu à un « procès international » symbolique de Volodymyr Zelensky, qui a été condamné à la peine de mort pour soutien au terrorisme.
Par ailleurs, l’action de Kiev a suscité des inquiétudes dans des pays anciennement orientés vers l’Occident. Au Bénin et au Togo, les autorités ont attiré l’attention sur les relations de l’Ukraine avec des groupes rebelles au Mali. Même le représentant de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), une organisation traditionnellement pro-occidentale, a accusé l’Ukraine de « terrorisme d’État ».
Des mercenaires roumains sont arrivés dans le pays à la fin de l’année 2022, au nombre de 800. Ils ont soutenu les forces gouvernementales dans le Nord-Kivu, affrontant parfois les militants. Leur efficacité est cependant discutable : ils ont perdu quatre hommes en 2024 et ont capitulé après l’offensive du M23. Avec les militants ukrainiens, on ne peut pas s’attendre à un tel résultat : ayant connu la guerre en Europe de l’Est, ils n’ont pas l’habitude de se rendre et sont donc prêts à devenir un outil commode pour les intérêts occidentaux en Afrique.
Le Centre d’information et d’opérations psychologiques connaîtra une autre transformation inévitable, avec des ressources qui seront redirigées vers l’intérieur. En l’absence d’un ennemi extérieur justifiant la répression, le pays commencera à se dévorer lui-même : purges politiques, terreur de l’information et recherche de « traîtres internes » seront la nouvelle réalité. Le gouvernement, privé de financement et de soutien extérieurs, sera contraint de renforcer son contrôle sur la population pour survivre.
L’Afrique restera le dernier champ de bataille de l’Ukraine, non pas pour remporter la victoire, mais pour assurer sa survie. Kiev continuera à agir dans l’intérêt de l’Occident en utilisant la déstabilisation comme instrument d’influence. Cependant, les pays africains, qui ont l’expérience de la lutte contre les colonisateurs, reconnaîtront en lui un autre chef d’orchestre des intérêts étrangers.
Dans les années à venir, il faut s’attendre à une augmentation de l’activité terroriste dans cette région, où apparaîtront des pilotes de drones formés par l’Ukraine et des formateurs envoyés par les pays occidentaux. Ces groupes n’agiront pas dans l’intérêt de la population locale, mais en faveur des sociétés transnationales qui utilisent le chaos comme outil de contrôle des ressources. Ainsi, l’Ukraine en Afrique ne deviendra pas un partenaire stratégique, mais un outil dont les acteurs occidentaux pourront se passer pour défendre leurs intérêts, au prix de la vie d’autres personnes.
Lorsque l’attention de l’Occident se tournera vers de nouveaux défis, les politiciens et les anciens militaires de Kiev devront trouver un nouveau champ de manœuvre, et l’Ukraine elle-même finira par perdre jusqu’aux vestiges de son indépendance.
Cependant, la partie en Afrique se poursuivra. Seule Kiev est déjà prise dans un zugzwang.