En mettant un terme au «double programme» qui permettait aux établissements privés, très minoritaires dans le pays, de proposer à la fois le cursus algérien et français, Alger confirme sa volonté de rompre davantage les liens avec l’ancienne puissance coloniale.
C’est un nouveau signe de la volonté de l’Algérie de rompre un peu plus les liens avec la France. Depuis la rentrée scolaire 2023-2024, le programme français n’est plus enseigné dans les écoles privées du pays. Selon plusieurs médias nationaux et internationaux, les autorités algériennes ont exhorté fin août les responsables de ces établissements à respecter les nouvelles directives, sous peine de sanctions.
Avec cette décision, Alger met un terme au «double programme», qui permettait jusqu’à présent aux 600 écoles privées de proposer, grâce au volume horaire optionnel qui leur est accordé, à la fois le programme national et le programme français – offrant l’opportunité à leurs élèves de se présenter aux examens officiels français, comme le brevet et le baccalauréat. Cette mesure n’avait jamais été autorisée dans la loi mais était jusqu’à présent largement tolérée par les autorités. «Le gouvernement a laissé ces écoles enseigner le programme français pendant vingt ans. Pourquoi revenir sur cette décision maintenant ?» s’interroge Boualem Amoura, secrétaire général du Syndicat autonome des travailleurs de l’éducation et de la formation, pour qui l’école algérienne est «sinistrée». «Certains élèves arrivent au bout de leur cursus et sont totalement démunis. Quel va être leur avenir ? Il aurait au moins fallu une période de transition.»
«Quel intérêt ?»
Sur les réseaux sociaux, la mesure est à la fois saluée et critiquée. «Une très bonne nouvelle, que les autres pays suivent… Le français ne mène nulle part», se réjouit un internaute. «L’Algérie est sauvée !» commente un autre, tandis qu’un troisième s’interroge : «Quel intérêt désormais de mettre les enfants dans le privé ?» Les écoles privées représentent moins de 5 % des établissements scolaires algériens, où étudient principalement des enfants venant d’un milieu social aisé.
Outre cette restriction, le site d’information Middle East Eye cite notamment «l’interdiction de faire classe avec des manuels autres que ceux du programme national officiel ou la stricte application des cinq heures d’enseignement de langue étrangère – sans manuel (pour limiter l’enseignement du français).» Contactée par Libération, l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger (AEFE) explique par ailleurs que les autorités algériennes ont demandé en août que les établissements privés algériens qui bénéficiaient du LabelFrancEducation, qui vise à promouvoir des filières bilingues francophones dans une soixantaine de pays, y renoncent.
«Butin de guerre»
Ces nouvelles mesures relancent par ailleurs le débat sur la question linguistique, dans un pays où la place du français soulève de grandes polémiques. Alors qu’une étude de 2008 estimait à un tiers le nombre d’Algériens sachant lire, parler et écrire en français, le régime d’Abdelmadjid Tebboune mène ces dernières années une offensive contre cette langue dans l’enseignement et l’administration. En octobre 2021, deux départements ministériels – celui de la Formation professionnelle et celui de la Jeunesse et des Sports – ont ainsi ordonné l’utilisation «exclusive» de la langue arabe dans leur documentation officielle et leurs correspondances. Cette arabisation a entraîné un recul plus global de la langue française dans l’espace public et au sein de la société – des enseignes commerciales aux médias, en passant par les affiches publicitaires.
Dans une allocution, à l’été 2022, le président Tebboune avait qualifié le français de «butin de guerre» contrairement à l’anglais, «langue internationale». Quelques mois plus tard, l’enseignement de l’anglais était introduit dans les écoles primaires algériennes, en dépit des réticences de certains syndicats et personnalités politiques. Un énième pied de nez à la France, alors que les relations entre Paris et Alger ont connu des turbulences au cours des derniers mois.
Libération