La France s’était montrée “intransigeante” face aux militaires qui ont pris le pouvoir au Niger, elle apparaît désormais “en retrait” au moment où le spectre d’une intervention militaire des pays d’Afrique de l’Ouest s’éloigne, soulignent des experts.
“Nous soutenons pleinement (…) les efforts des pays de la région pour restaurer la démocratie au Niger”, a déclaré mardi à l’AFP une source diplomatique française, près de deux jours après l’expiration de l’ultimatum lancé par la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO).
Les dirigeants ouest-africains avaient donné jusqu’à dimanche soir aux militaires nigériens pour rétablir le président élu Mohamed Bazoum, retenu prisonnier depuis le 26 juillet.
Les chefs d’état-major de la région avaient même dessiné les “contours” d’une éventuelle intervention armée. Paris avait appuyé “avec fermeté et détermination” les efforts de la CEDEAO pour faire pression sur Niamey.
Mais l’intervention n’a pas eu lieu. Mardi soir, Ajuri Ngelale, porte-parole du président du Nigeria Bola Tinubu, actuellement à la tête de la CEDEAO, a indiqué que la diplomatie était la solution privilégiée pour résoudre la crise au Niger, sans écarter “aucune option”.
“C’est à la CEDEAO de prendre une décision sur la manière de restaurer l’ordre constitutionnel au Niger, quelle qu’elle soit”, avait souligné plus tôt la source diplomatique, ajoutant que le sommet de la CEDEAO, jeudi, “permettra d’aborder ce sujet”.
Pour Bertrand Badie, professeur à Sciences-Po Paris, la déclaration française est “très pesée et très prudente (…) en retrait par rapport à ce qui était annoncé au départ”. “Il n’est plus question d’intervention militaire, il n’est plus question de dénier toute base réelle à ce gouvernement, il est question de diplomatie”, dit-il.
Cette déclaration arrive aussi après celles de l’Allemagne, de l’Italie et des Etats-Unis qui prônent le dialogue. La diplomatie est le “moyen préférable” pour résoudre la crise au Niger, a affirmé le secrétaire d’État américain Antony Blinken à Radio France Internationale.
“Incontestablement, la France perd la main diplomatique dans cette affaire”, estime Bertrand Badie. “L’attitude de la France a été anormalement confiante et offensive”, poursuit-il, relevant l’imprudence du gouvernement qui a misé sur une action militaire malgré les divisions au sein de la CEDEAO.
Paris peine “à se repositionner sur l’échiquier”, observe de son côté Jean-Hervé Jézéquel, directeur du projet Sahel à l’International Crisis Group, même si “le silence ou le retrait n’est pas nécessairement une mauvaise chose” car la France “n’est pas la mieux placée pour mener ce dialogue”.
La fermeté dont elle a fait preuve, en rejetant notamment la semaine dernière la dénonciation des accords militaires entre Paris et Niamey, a en effet été contreproductive.
“En étant intransigeante, la France a tendu encore plus les positions des militaires et a permis au CNSP (qui a pris le pouvoir à Niamey) de se constituer une base populaire assez impressionnante en quelques jours”, note l’expert.
Dimanche, 30 000 personnes soutenant les militaires au pouvoir se sont rassemblées au stade à Niamey.
François Gaulme, chercheur associé à l’Institut français des relations internationales, relève, lui, “l’embarras” de Paris et “la contradiction” intenable : comment continuer à nier la dénonciation des accords militaires avec le Niger quand Paris a accepté la dénonciation d’accords similaires par les militaires au Burkina Faso et au Mali ?
“Je trouve la diplomatie française un peu improvisée”, dit-il. C’est “le coup d’État de trop”, avait argué la cheffe de la diplomatie Catherine Colonna. Jean-Hervé Jézéquel reconnaît qu’il est “facile de pointer les erreurs a posteriori” et que si l’option militaire “n’est pas la plus probable”, elle n’est pas totalement exclue.
Reste que la France a contribué à polariser le débat sur l’intervention militaire. “En se focalisant sur cette question d’intervention, on a oublié que l’essentiel était de discuter des compromis”, ajoute le spécialiste.
Bertrand Badie souligne lui aussi les incertitudes sur les décisions qui seront prises au sommet jeudi à Abuja. “Mais si véritablement on arrive à une solution diplomatique (…) la diplomatie française se retrouvera très humiliée”, estime-t-il.
Et d’expliquer que “cela témoigne de quelque chose de beaucoup plus profond : l’incapacité structurelle des gouvernements français – pas seulement celui-là – de sortir d’une attitude post-coloniale”. “C’est la diplomatie du maître d’école qui consiste à donner des leçons et à distribuer des sanctions”, dit-il, en référence à la suspension de l’aide au développement.
Sur le front défense, la crise au Niger révèle à son tour que “le temps de la forte présence militaire française au Sahel est révolu”, estime Jean-Hervé Jézéquel. “En Afrique de l’Ouest, celle-ci doit être questionnée”.
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