Mali : quel avenir pour le français, relégué en langue de travail ?

-Dans la nouvelle Constitution du pays, les langues nationales sont devenues des langues officielles

Drapeau du Mali flottant au vent

Le Mali est-il en voie d’abandonner le français, langue officielle du pays depuis son accession à l’indépendance en 1960 ?

Dans la nouvelle Constitution, promulguée le 22 juillet courant, cette langue française est reléguée en langue de travail. Les 13 langues nationales parlées dans le pays deviennent, du coup, des langues officielles selon l’article 31 de l’acte fondamental. Qu’est-ce qui justifie ce choix ? Des experts se prononcent.

« La langue française n’était pas une langue choisie. D’abord c’est une langue coloniale qui a été imposée, ensuite, au départ du colonisateur dans les années 1960, ils nous ont légué cette langue française et l’administration française, ce qui fait que tout le mode de gouvernance c’était justement calqué sur le prototype de la mauvaise gouvernance coloniale », a expliqué à Anadolu l’universitaire Boubacar Bocoum.

Bocoum souligne que « malgré les indépendances, les dirigeants ont continué à gérer le pays avec l’esprit néocolonial, le système administratif colonial et tout ce que le système colonial leur a laissé et n’ont jamais pensé à un moment donné qu’il fallait s’adapter aux réalités sociales, culturelles du pays».

-Changement de langue, quel lien avec la France?

Pour l’universitaire Boubacar Bocoum « le problème de la langue, c’est le lien entre la France et ses ex-colonies ».

« La langue française qui est une langue hégémonique était une langue de manipulation, de propagande, d’aliénation qui a fait que, à un moment donné, on ne pouvait que réfléchir par le référentiel français ».

« Ce qui a posé beaucoup de préjudices. Nous avons étudié dans cette langue, nous avons été endoctrinés par les grandes théories de ces pays et que, finalement, nos dirigeants ne réfléchissent que par la France ».

-Respect de la souveraineté linguistique

Selon Aboubacar Sidiki Fomba, membre du Conseil National de Transition (CNT) et porte-parole du collectif pour la refondation du Mali « ce choix s’explique par le principe de respect de la souveraineté linguistique et culturelle », soulignant qu’« officialiser la langue d’autrui, ce n’est que développer la Culturation. Aujourd’hui, on a décidé d’être souverain de façon linguistique et c’est vrai que la France nous colonise depuis plus de 100 ans. Et après 60 ans d’indépendance, c’était la même chose, mais aujourd’hui, nous avons décidé d’officialiser nos langues nationales dans les fora officiels ».

Fomba affirme que « les 13 langues nationales parlées dans le pays seront utilisées dans toutes les structures étatiques, privées et en tout lieu », précisant que « la colonisation la plus ardente, c’est le fait d’abandonner ses propres langues ».

— Abandon du français

Aboubacar Sidiki Fomba explique que « nous sommes en voie d’abandonner le français petit à petit en attendant l’adoption d’autres lois pour essayer d’abandonner le français, puisque beaucoup de documents sont écrits en français, raison pour laquelle nous la maintenons d’abord comme langue de travail, celle de transmission administrative des données ».

La même source précise, en outre, que « cela va changer dans les jours à venir, mais pas brusquement. La langue bamanakan, la langue la plus parlée au Mali peut devenir de la langue de travail s’il convient d’adopter comme écriture phonétique le “N’ko” ou d’autres écritures des langues parlées par 15% de la population ».

Par ailleurs, Fomba note que « l’anglais peut devenir aussi la langue du travail au Mali du fait qu’il est la langue la plus parlée au monde » .

En attendant, la possibilité est donnée aux Maliens d’apprendre d’autres langues, mais de parler aussi de leurs propres langues et de les valoriser, dit-il.

– Réorganisation des langues

Pour Pr Germy Coulibaly enseignant chercheur à l’Université des sciences juridiques et politiques de Bamako « une loi organique sera prise pour organiser la mise en œuvre de tous ces éléments et qui va répondre à tous les questionnements autour de la différence entre langue officielle et langue de travail ».

Toutefois, l’enseignant affirme que « désormais, dans nos administrations, si vous parlez une de nos langues nationales, désormais officielle, cela ne posera plus de problème », cependant, dit-il, « l’administration qui travaille avec des papiers, des documents, va continuer à écrire en français, puisque la plupart de nos langues nationales sont des langues, des traditions orales ».

« A chaque fois qu’une de nos langues nationales peut résoudre un problème, on l’utilise, mais s’il y a des limites, on utilise le français. On va continuer à utiliser le français comme langue de travail à l’école. Mais dans certains secteurs, comme dans les mairies, dans les zones rurales, ce seront nos langues nationales qui vont être utilisées », poursuit-il.

Coulibaly explique par ailleurs que « les Gouverneurs, les préfets et les sous-préfets seront obligés dans les zones dans lesquelles ils sont établis, de s’adresser aux habitants du terroir dans la langue couramment parlée pour que les habitants puissent comprendre ce que l’État veut leur transmettre comme information ».

Anadolu Agency