Les rebelles des Forces démocratiques alliées, responsables de massacres de milliers de civils dans l’est de la République démocratique du Congo, migrent vers l’ouest, en s’éloignant de la frontière avec l’Ouganda où se déroulent des opérations militaires conjointes, analysent des experts.
Dans les territoires de Beni (Nord-Kivu) et Irumu (Ituri), selon des sources locales, au moins 79 civils ont été tués de vendredi à lundi dans des attaques lancées par de présumés assaillants ADF dans six villages situés à l’ouest de la route nationale 4, qui relie la ville de Beni (Nord-Kivu) à celle de Kisangani (Tshopo) en passant par Mambasa (Ituri).
Considérées comme le plus meurtrier de la centaine de groupes armés présents dans l’est de la RDC depuis plus de 25 ans, les ADF s’attaquent aux civils et aux positions de l’armée congolaise depuis 2014 dans le territoire de Beni, où ils ont fait souche, à la frontière avec l’Ouganda. Le territoire d’Irumu dans le sud de l’Ituri est affecté par leurs violences depuis 2019.
Pour tenter de mettre fin aux violences des groupes armés, Kinshasa a placé les provinces du Nord-Kivu et de l’Ituri sous état de siège en mai dernier, en donnant plein pouvoir aux militaires.
Fin novembre, des opérations militaires conjointes des armées congolaise et ougandaise ont été lancées contre les rebelles ADF, accusés d’attentats jihadistes sur le sol ougandais. Le groupe État islamique (EI) les considère comme sa branche en Afrique centrale.
Le député Jean-Baptiste Muhindo Kasekwa, élu de Goma (Nord-Kivu), affirme que du 9 au 14 mars, au moins 96 civils ont été tués dans les territoires d’Irumu et Beni, 383 depuis le lancement des opérations congolo-ougandaises et 2.068 depuis l’instauration de l’état de siège.
Il a adressé une question orale au ministre de la Défense pour qu’il explique “les causes réelles de l’enlisement de la situation sécuritaire dans ces deux provinces, avec une flambée des tueries” malgré l’état de siège, a-t-il indiqué mercredi à l’AFP, au lendemain de l’ouverture de la session parlementaire.
Perdre confiance
Muhindo Kasekwa dit craindre que les opérations conjointes ne servent qu’à “éloigner les ADF de la frontière ougandaise pour les pousser plus à l’intérieur de la RDC“, comme ce fut le cas “en 2009 avec l’opération Umoja wetu, qui a permis aux FDLR (Forces démocratiques de libération du Rwanda) de s’éloigner de la frontière rwandaise“.
Depuis trois mois, “il s’observe un mouvement de déplacement des rebelles ADF de l’est vers l’ouest. Ils traversent la route nationale 4 pour aller plus en profondeur vers l’ouest“, analyse pour l’AFP Reagan Miviri, du Baromètre sécuritaire du Kivu (KST), un groupe de chercheurs présents dans les zones de conflits dans l’est de RDC.
“La menace ADF s’est écartée de l’Ouganda“, souligne également l’avocat Omar Kavota, coordonnateur du Cepadho, une organisation congolaise qui documente les exactions commises par les ADF depuis 2014.
Il estime par ailleurs que les ADF choisissent le moment de leurs attaques pour faire parler eux. “En multipliant les attaques ces derniers jours, à l’approche de l’ouverture de la session parlementaire, ils étaient sûrs, d’une part, d’attirer l’attention du parlement, d’autre part de voir des voix se lever pour critiquer l’état de siège“, estime Me Kavota.
“On ne sait pas si ce mouvement est définitif ou s’ils (ADF) vont revenir. Mais tout laisse croire que si les offensives ougandaises s’accentuent, les ADF vont aller plus loin vers les régions de Mambasa et d’Epulu“, où se situe la Réserve de faune à okapis, juge M. Miviri.
En Ituri et au Nord-Kivu, les autorités militaires appellent constamment les populations à “collaborer“, “à faire confiance” aux militaires congolais et ougandais dans leur lutte contre les ADF. Mais “si on continue à ce rythme, le nombre des morts sera supérieur” à celui enregistré “avant ces opérations conjointes et la population finira par perdre confiance” dans les autorités, prévient-il.