À la veille de l’ouverture du sommet Union européenne – Union africaine à Bruxelles, Emmanuel Macron réunissait ce mercredi soir à l’Élysée les partenaires africains et européens pour évoquer la situation au Sahel et le retrait des troupes françaises au Mali. Avec une ambition affichée : trouver des solutions concertées et collectives.
L’objectif de l’Élysée, c’est d’éviter à tout prix de réduire l’annonce du retrait des forces françaises au Mali à une conséquence de la crise entre Paris et Bamako. « Ce n’est pas un sujet franco-malien », a expliqué Gabriel Attal, le porte-parole du gouvernement. Dans l’entourage d’Emmanuel Macron, interrogé par notre journaliste du service politique Valérie Gas, quand on évoque le dîner qui doit être organisé à l’Élysée, c’est pour expliquer qu’il doit permettre « d’ouvrir une nouvelle page de l’engagement international dans la région ». Une manière de sortir du cadre bilatéral. Il s’agit de revoir « le modèle d’intervention militaire » au Sahel à partir d’un constat partagé par tous les acteurs : en s’adossant à la force Wagner, une « milice » privée russe, la junte au pouvoir au Mali a fait le choix d’une « rupture », pas seulement avec la France, dit-on à l’Élysée, mais avec l’ensemble des partenaires africains et européens.
Comment poursuivre l’engagement européen au Sahel pour lutter contre le terrorisme ? C’est à cette question qu’Emmanuel Macron espère trouver des réponses consensuelles pour ne pas donner l’impression de prendre sous la pression une décision unilatérale dont les conséquences seraient négatives à la fois vis-à-vis des Africains et sur la scène nationale à deux mois de l’élection présidentielle.
Le modèle de la Task Force Takuba
La décision de quitter ou non le Mali sera européenne et donc collective, ne cesse-t-on de répéter dans l’entourage du président français. Hors de question donc d’annoncer un retrait avant de recevoir l’ensemble des partenaires.
Aussi comptait-on beaucoup d’invités à ce dîner en forme de mini-sommet : les responsables des pays sahéliens, ceux du golfe de Guinée, les représentants des pays européens qui participent au différentes missions dans le pays. Mais aussi Macky Sall, le président en exercice de l’Union africaine, Charles Michel, le président du Conseil européen, Urusula Von der Leyen, la présidente de la commission européenne ainsi que des responsables américains et britanniques.
Pourtant, la décision ne fait plus guère de doute. Barkhane va très certainement quitter le Mali, tout comme la Task Force européenne Takuba constituée de 800 soldats d’environ quinze pays. « En matière de lutte anti-terroriste, il paraît très difficile de maintenir un engagement », concède-t-on d’ailleurs à l’Élysée. Malgré ce départ qui se profile, les Européens ont « la volonté » de rester engagés au Sahel, explique-t-on dans l’entourage d’Emmanuel Macron, car « l’ensemble des autres pays de la région sont demandeurs de davantage de partenariat ».
Une idée semble faire son chemin. Celle de dupliquer dans d’autres pays le concept de task force européenne, comme l’est aujourd’hui Takuba. Selon Paris, le Niger serait ainsi intéressé. « L’expérience de travail entre forces spéciales européennes et armée nationale est une expérience qui intéresse les autorités nigériennes et nous allons voir comment nous pouvons le décliner dans le pays », explique un conseiller du président français qui ajoute : « L’idée, c’est de garder une méthode qui a fait ses preuves au Mali ».
La transition malienne à la recherche de partenaires tous azimuts
Pendant ce temps, le chef de la diplomatie malienne vient d’achever une tournée diplomatique, selon notre journaliste David Baché. Abdoulaye Diop est rentré mardi matin de Téhéran, en Iran. Samedi, il était au Qatar. Objectif : nouer de nouvelles alliances alors que les relations entre le Mali et ses partenaires traditionnels se tendent chaque jour davantage.
Au Qatar, Abdoulaye Diop s’est vu promettre des financements pour la construction d’un hôpital, selon la seule information communiquée par le ministère malien des Affaires étrangères. En Iran, le ministre des Affaires étrangères de la transition a obtenu un renforcement de la coopération entre les deux pays notamment dans l’industrie, la finance et le transfert de compétences technologiques. Une feuille de route sera élaborée pour fixer les priorités « d’intérêt commun ».
Si l’État malien se dit systématiquement ouvert à « maintenir le dialogue et la coopération » avec ses partenaires occidentaux traditionnels, les signes d’hostilité se sont multipliés ces dernières semaines – expulsion de l’ambassadeur de France, du contingent danois de Takuba…-, toujours au nom de la souveraineté nationale. Alors que la France et l’Union européenne doivent préciser la forme de leur engagement futur au Mali, le Danemark a déjà officialisé la suspension partielle de son aide au développement.
Fin janvier, c’est l’ambassadeur de Turquie au Mali qui était reçu par le Premier ministre de transition Choguel Maïga, pour renforcer la coopération entre les deux pays, notamment en matière de sécurité. Les secteurs du transport et de l’économie sont également cités.
Quant à l’ambassadeur de Chine, il était reçu mardi par le directeur de la police malienne pour parler d’un renforcement de la formation contre le terrorisme ou les trafics. La semaine dernière, c’est le secteur de l’éducation qui était au cœur d’une rencontre entre l’ambassadeur de Chine et le ministère malien de l’Education nationale.
Après la Russie, alliée historique du Mali mais dont le poids s’est plus que renforcé au cours des derniers mois, essentiellement sur le plan militaire, les autorités maliennes de transition poursuivent donc activement l’élaboration de leurs nouveaux partenariats internationaux.
L’épilogue d’une longue brouille entre Paris et Bamako
La fin quasi actée de l’opération Barkhane marque ainsi le point d’orgue d’une brouille entre Paris et Bamako qui dure depuis des mois.
Depuis le coup d’État militaire du 18 août 2020, rien ne va plus entre Paris et Bamako.
Bien avant déjà, l’opinion publique malienne dénonce l’inefficacité de l’opération anti-terroriste Barkhane. Un sentiment qui grandit au changement de régime. La transformation opérationnelle et la fermeture de trois bases dans le nord du pays cristallise alors des tensions entre Paris et Bamako. En septembre dernier, devant l’Assemblée générale de l’ONU, le Premier ministre malien Choguel Kokala Maïga dénonce « un abandon en plein vol ».
Mais ce sont les discussions entre Bamako et le groupe de sécurité privé russe Wagner, qui mettent le feu aux poudres. Bien que les autorités maliennes nient toujours avoir contracté ces mercenaires, les informations à ce sujet provoquent une véritable tempête diplomatique. Paris et Bamako se font la guerre par déclarations médiatiques, et l’ambassadeur français au Mali se retrouve expulsé.
Pendant ce temps, les choses changent sur le plan opérationnel. Bamako demande à revoir ses accords de défense avec Paris. Le Mali empêche aussi le déploiement pour Takuba d’un bataillon danois. Autant d’éléments qui ont fait dire hier soir au porte-parole du gouvernement français que dans ce contexte dégradé, le « statu quo n’est plus possible ».