Bah N’Daw et Moctar Ouane sont privés de liberté de mouvement et de parole tandis qu’Ibrahim Boubacar Keïta, renversé en août 2020, n’a pas été inquiété.
Avec humour, certains les surnomment les deux confinés de Bamako. Plus de quarante jours après leur arrestation suivie de leur démission forcée, Bah N’Daw et Moctar Ouane n’ont toujours pas retrouvé leur liberté. Les anciens président et premier ministre qui, pendant neuf mois, furent chargés de donner un masque civil à la transition malienne après le putsch du 18 août 2020, ne sont plus détenus dans la caserne de Kati, sur les hauteurs de la capitale du Mali, où les avaient conduits les militaires de la junte à la suite d’un nouveau coup de force le 24 mai. Mais ils demeurent sous résidence surveillée, privés de leur liberté de mouvement et de parole.
Rien ne leur est pourtant officiellement reproché. Le colonel-major à la retraite et le diplomate de carrière ne se sont vu signifier aucune charge, aucune poursuite, aucune enquête administrative. Pourtant, l’un comme l’autre vivent séquestrés dans leur domicile respectif, interdits de visites.
Après avoir finalement accepté de signer le 26 mai une lettre de démission qu’il avait déchirée les deux jours précédents, Bah N’Daw a été reconduit dans la résidence officielle qu’il occupait depuis sa désignation à la tête de l’Etat, le 21 septembre 2020, par les officiers qui, un mois plus tôt, avaient renversé Ibrahim Boubacar Keïta (IBK). Son emploi du temps se partage désormais entre son médecin, son aide de camp chargé de filtrer chacune des demandes de rendez-vous de sa famille, et quelques minutes de marche à la nuit tombée. En vieil officier intransigeant, l’éphémère président n’a, de bonne source, toujours pas apaisé sa colère contre « son neveu [le colonel Assimi Goïta] qui joue les Bob Denard » depuis qu’il a franchi l’échelon de la vice-présidence à la présidence du Mali.
Régime strict
Poussé à entériner sa démission par « ces enfants irrespectueux qu’il a tant couverts », Bah N’Daw raconte à ses proches son impatience de retourner cultiver son champ, ulcéré par « la honte pour son armée qui, en temps de guerre, joue à de petits jeux politiques pour se servir au lieu de servir la nation ». A-t-il pris le temps de mesurer son erreur ? Que le rapport de forces lui était trop défavorable pour affirmer son autorité sur « ses subordonnés » qui, après avoir renversé le président IBK, l’avaient fait nommer pour arranger les formes de leur coup d’Etat ? Rien n’est moins sûr tant l’homme est connu pour rester droit dans ses bottes et inflexible sur le respect de la hiérarchie militaire.
L’ancien premier ministre Moctar Ouane, tombé avec lui pour avoir tenté de retirer du ministère de la défense le colonel Sadio Camara – l’officier apparaissant aujourd’hui comme le véritable homme fort de la junte – est lui soumis à un régime qui semble encore plus strict. Les douze gendarmes qui, depuis le 28 mai et sa libération de Kati, se relayaient nuit et jour pour « assurer sa sécurité » à son domicile de la Cité du Niger ont été remplacés par des soldats de la garde présidentielle. Son épouse, notaire, a été empêchée de se rendre à son étude, avant que des protestations d’organisations de défense des droits humains puis du Parena, un parti politique, ne desserrent l’étau. A minima.
Le représentant local de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cédéao), pourtant médiatrice dans la crise politique au Mali, s’est vu refuser l’accès à la résidence de l’ex-premier ministre. Selon nos informations, ce dernier a saisi de sa situation le chef de l’Etat ghanéen, Nana Akufo-Addo, président en exercice de l’organisation régionale, le secrétaire général des Nations unies ainsi que le président de la commission de l’Union africaine.
Retraite paisible pour IBK
Désormais pleinement aux commandes de l’Etat, que peuvent craindre les officiers maliens et le nouveau gouvernement qui les accompagne de ces deux dirigeants déchus ? Le nouveau premier ministre, Choguel Kokalla Maïga, a expliqué, vendredi 9 juillet, que ceux-ci seront « libres de leurs mouvements » lorsqu’ils auront signé « un engagement que leur sécurité ne relève plus de l’Etat ».
Depuis sa démission forcée en août 2020, IBK, lui, se garde bien de toute parole publique. Le « Vieux », comme l’ont surnommé les Maliens, est « dans une vie d’après », selon ses proches, alternant les voyages entre sa villa de Sébénikoro, en périphérie de Bamako, et les palaces d’Abou Dhabi, la capitale des Emirats arabes unis, où il soigne sa santé fragile. Lui à qui le peuple malien a reproché, dans les mois précédant sa chute, d’avoir largement profité des ressources de l’Etat pour enrichir son clan peut aujourd’hui profiter d’une retraite paisible.
Son entourage, qui selon plusieurs sources, l’a poussé à résister pour se maintenir au pouvoir face à la pression de la rue, n’est pas aussi serein. Depuis le 5 juillet, son fils aîné Karim, élu député l’année de son arrivée à la présidence, est sous le coup d’un mandat d’arrêt international dans le cadre d’une enquête ouverte par la justice de son pays concernant la disparition d’un journaliste malien. Birama Touré, reporter à l’hebdomadaire Le Sphinx, est porté disparu depuis 2016, après s’être lancé dans une enquête « sur une liaison qu’aurait entretenue Karim Keïta avec la femme d’un de ses amis », souligne Reporter sans frontières (RSF). « Chasse aux sorcières », répond l’entourage du mis en cause, qui a toujours clamé son innocence. Sera-t-il ou non extradé de Côte d’Ivoire, où il a trouvé refuge après la chute de son père ? « Aucune décision n’a été prise », a souligné le porte-parole du gouvernement ivoirien le 7 juillet.
Source: Le Monde