La France et l’ONU font l’objet de campagnes de dénigrement dans un pays où l’engagement russe s’affirme.
Touriste. Le titre est mal choisi et le film ne marquera certainement pas l’histoire du cinéma par ses qualités artistiques. Il est en revanche un révélateur précieux de l’influence grandissante de la Russie en République centrafricaine (RCA). Sa sortie à Bangui, samedi 15 mai, a fait un tabac. La moitié du stade des « Vingt mille places » était remplie pour la projection de cette « superproduction » russo-centrafricaine. Une première du genre. La fiction rejoint ici en partie l’histoire officielle. Dans ce film d’action et de propagande, militaires russes et soldats centrafricains combattent héroïquement une horde de rebelles, forcément sanguinaires, inévitablement soutenus par un perfide conseiller français.
Dès la première minute, le ton est donné aux spectateurs qui auraient quelques lacunes au sujet de la RCA : « Depuis les années 1990, le pays se trouvait sous le contrôle de bandits se présentant comme des groupes politico-militaires. Pour la première fois, en 2021, ils ont été stoppés. Ce film est dédié aux héros défenseurs centrafricains et russes qui ont libéré la Centrafrique. » Qu’importe l’embellissement des faits alors que, loin de la capitale, la guerre se poursuit. La fibre nationaliste d’un public centrafricain qui a enduré des années d’effondrement de l’Etat est exaltée, les applaudissements sont garantis pour le nouveau « partenaire » devenu frère d’arme. En cas de succès commercial, des spectateurs russes pourraient même adhérer à l’idée que leur pays est à nouveau conquérant en Afrique, comme l’avait signalé le sommet russo-africain de Sotchi en 2019.
Tourné entre décembre 2020 et mars 2021, alors que Bangui était sous la menace d’authentiques rebelles, Touriste emprunte certaines scènes à la réalité et a bénéficié de l’appui des contingents russes présents sur place. Son générique ne fait toutefois nulle mention de la société Wagner et de son patron présumé, l’oligarque Evgueni Prigojine, un proche du président Vladimir Poutine. Officiellement, en RCA comme ailleurs, cette compagnie de mercenaires, qui a également déployé des hommes en Syrie et en Libye, n’existe pas. Elle est pourtant l’un des piliers de l’intervention russe.
Officiellement, Moscou reconnaît aujourd’hui la présence de 535 « instructeurs » en RCA, auxquels le gouvernement de Bangui a demandé début mai au Conseil de sécurité de l’ONU un ajout de 600 hommes pour « soutenir le processus de réforme du secteur de sécurité ». Mais en parallèle, comme l’autre face d’une même pièce, de nombreux paramilitaires, que seuls les dirigeants russes et centrafricains font mine d’ignorer, sont présents sur le terrain.
Source: Le Monde