A la frontière éthiopienne, des paysans soudanais rêvent de retrouver leurs terres

Sous l’ombre d’un toit de chaume, des paysans soudanais se souviennent du temps des récoltes dans la très fertile région d’Al-Fashaga, au coeur d’un vieux contentieux frontalier entre Khartoum et Addis Abeba.

Depuis leur village de Wad Kawli, ils traversaient autrefois avec leurs tracteurs et leurs charrues la petite rivière Atbara pour trouver des terres propices à leurs cultures de maïs, de haricots ou de sésame.

« Ma famille avait 2.000 acres (800 hectares) de terres à l’est d’Atbara », dit Abdelreheem Mirghani à l’AFP, un habitant de Wad Kawli sur la rive ouest de l’affluent du Nil.

Mais depuis plusieurs décennies, des cultivateurs éthiopiens se sont installés dans cette zone agricole de 1,2 million de hectares, faisant monter les tensions avec leurs rivaux soudanais.

« Nous avions des armes car nous rencontrions souvent des bandes éthiopiennes +Shifta+ (…), ils voulaient juste nous rançonner », assure le fermier.

Puis, tout s’est accéléré au milieu des années 1990 lorsque Khartoum a demandé à ses ressortissants de ne plus se rendre de l’autre côté de la rivière Atbara.

« On nous a dit que ce n’était plus sûr pour nous », se souvient M. Mirghani.

– « Territoires volés » –

Les relations entre Khartoum et Addis Abeba se sont dégradées quand les Ethiopiens ont accusé le Soudan d’implication dans la tentative d’assassinat du président égyptien Hosni Moubarak en Ethiopie en 1995.

Les tensions ont conduit les forces soudanaises à se retirer d’Al-Fashaga et des Ethiopiens s’y sont installés.

Aujourd’hui, les cultivateurs soudanais les plus âgés racontent avoir été « expulsés » de leurs champs.

« Notre dernière vraie récolte là-bas, date de 1996 », se rappelle Mohamed Omar, 76 ans, assurant que Wad Kawli, qui comptait auparavant 12.000 âmes, n’en a plus que 4.000.

Fin 2020, l’armée soudanaise est finalement retournée dans la région disputée pour « reprendre ses territoires volés », deux ans après la chute de l’ancien autocrate Omar el-Béchir, sous la pression de la rue.

Ce déploiement de l’armée soudanaise a coïncidé avec l’irruption d’un conflit dans la région éthiopienne voisine du Tigré, entre les forces fédérales et le gouvernement régional.

Les combats ont poussé quelque 60.000 Tigréens à chercher refuge dans l’est du Soudan, tout près d’Al-Fashaga.

Aujourd’hui, l’armée soudanaise restreint encore l’accès dans les principaux villages de la région agricole, pour cause d’instabilité.

A ce jour, quelques milliers d’Ethiopiens auraient quitté Al-Fashaga selon Addis Abeba, mais les cultivateurs soudanais n’ont pas encore retrouvé leurs champs.

Khartoum évoque régulièrement des traités de la période coloniale qui attestent de sa souveraineté sur la région, un argument rejeté par Addis Abeba.

Mohamed Gomaa, un autre cultivateur soudanais, explique avoir lutté en vain pendant des années pour avoir accès à une partie au moins des sols fertiles d’Al-Fashaga.

« Les Ethiopiens nous ont forcé à partir en menaçant de brûler nos récoltes », dit-il expliquant que les sols qu’ils cultivent actuellement à l’ouest de la rivière n’ont pas la « qualité inégalée » de ceux de l’est.

Au fil des années, les Soudanais ont appris à vivre avec les Ethiopiens à proximité, avec lesquels ils avaient des échanges commerciaux. Certains ont appris l’amharique ou le tigréen et des mariages intercommunautaires ont également eu lieu.

Mais selon eux, les milices éthiopiennes ont continué de sévir.

– Violences et tensions –

« Mon père a été kidnappé pendant une semaine en 2013 et nous avons dû payer une forte rançon de 700.000 livres soudanaises (1.550 euros) pour le faire libérer », assure Zakaria Yehia, un infirmier du village.

D’autres villageois montrent des cicatrices, traces, selon eux, de blessures par balles et autres violences de la part d’Ethiopiens.

« Nous nous sommes habitués à nous réveiller pour constater que notre bétail avait été volé », affirme Fatma Khalil, une autre habitante du village, qui se dit davantage « en sécurité » depuis l’arrivée des troupes soudanaises fin 2020.

Mais les tensions et les violences persistent. Addis Abeba a qualifié le déploiement soudanais d’ »invasion » de son territoire, et en décembre, quatre soldats soudanais auraient été tués par des milices éthiopiennes.

Le Soudan affirme maintenant contrôler une grande partie d’Al-Fashaga, tandis que l’Ethiopie menace d’intervenir militairement si le Soudan continue son action dans la région.

Le président du Conseil souverain soudanais en charge de la transition politique, Abdel Fattah al-Burhane, a rejeté mercredi toute négociation, arguant que l’Ethiopie (devait) reconnaître Al-Fashaga comme « territoire soudanais ».

Une position que les villageois de Wad Kawli soutiennent: « C’est notre terre. Nous l’avons toujours cultivée (…) et maintenant nous voulons la retrouver pleinement », dit M. Yehia.

  Source: La Minute Info