Pour la première fois en dix ans, les trois plus grands partis de Côte d’Ivoire participent à un même scrutin. Les élections législatives de ce samedi s’annoncent donc très indécises.
Près de 7,5 millions d’électeurs sont appelés aux urnes, ce samedi, quatre mois après une élection présidentielle marquée par des violences. Les législatives permettront-elles de tourner la page de cette séquence chahutée ? Une chose est sûre : c’est la première fois depuis la fin de l’année 2010 que les trois principales formations politiques du pays acceptent de jouer le jeu des urnes. Les législatives pourraient donc réserver quelques surprises.
• Le poids des nouvelles alliances
Elle paraît bien loin la présidentielle d’octobre et la course en solitaire du Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP). Fini la politique de la chaise vide pour l’opposition et l’absence des pro-Gbagbo, qui reviennent dans le bain électoral après plus d’une décennie de boycott.
Nouvelle force en présence, nouvelles alliances : le Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) d’Henri Konan Bédié et le Front populaire ivoirien (FPI) de Laurent Gbagbo dans la plateforme Ensemble pour la démocratie et la souveraineté (EDS) ont trouvé un accord sur 80 % de candidatures communes. Ils aligneront des candidats communs dans les circonscriptions à listes et se sont entendus pour des désistements dans celles où le scrutin était uninominal, à l’exception d’une dizaine de localités, dont Gagnoa, fief de Laurent Gbagbo.
Ces législatives font figure de test pour l’ancien détenu de la Cour pénale internationale (CPI) dont le retour en Côte d’Ivoire est espéré par ses fidèles dans les semaines qui viennent. Pour le PDCI, déjà fragilisé en interne depuis la présidentielle et la stratégie de désobéissance civile, ces élections sont l’occasion d’une remobilisation de son électorat. « S’ils conservent leurs députés, ce sera déjà une victoire », estime le politologue Sylvain N’Guessan.
Uni pour dénoncer la candidature à un troisième mandat d’Alassane Ouattara, le tandem composé du PDCI et du FPI de Pascal Affi N’Guessan a volé en éclats. Ce dernier s’est allié avec d’autres formations politiques : l’Union pour la démocratie et pour la paix en Côte d’Ivoire (UDPCI), d’Albert Toikeusse Mabri, le Congrès panafricain pour la justice et l’égalité des peuples (Cojep), de Charles Blé Goudé, le mouvement Agir, de Martial Ahipeaud. Ces alliances représentent au total une centaine de candidats, dont une soixantaine avec l’étiquette du FPI « légal ».
« L’opposition joue gros dans cette élection, observe Arsène Brice Bado, du Cerpa. Elle joue sa crédibilité après avoir appelé ses électeurs à se démobiliser lors de la présidentielle. » Les adversaires du chef de l’État doivent compenser avec un problème mathématique majeur : « Le RHDP a beaucoup mobilisé pour l’élection du 31 octobre 2020 et il a réussi à faire enregistrer un grand nombre de personnes sur les listes électorales, poursuit Arsène Brice Bado. Ce n’est pas le cas de l’opposition. Sur la base de ces listes électorales, elle est déjà perdante. »
Il faudra aussi compter sur une escouade de candidats indépendants, qui sont près de 800 et qui pourraient créer la surprise.
• Le RHDP en recherche de « légitimité »
Du côté du RHDP, l’objectif est clair : conserver la majorité absolue à l’Assemblée et même remporter plus des 148 sièges sur 255 dont il dispose actuellement dans l’hémicycle. Pour cela, le parti a mis les moyens. Il présente des candidats dans les 250 circonscriptions du pays et presque tous les ministres et proches du président ont été envoyés au front. Moyens humains, mais aussi financiers, avec de nombreux déplacements et meetings à grand renfort d’écrans géants, de voitures floquées et de distributions de goodies.
Pour Sylvain N’Guessan, le RHDP est « le parti qui a le plus à perdre » dans cette élection. « Le véritable enjeu est là : le RHDP doit démontrer qu’il peut convaincre au-delà de son électorat traditionnel du nord de la Côte d’Ivoire et rassembler dans les zones acquises à l’opposition : dans le Centre, l’Ouest, l’Est et le Sud. » « Le RDHP doit absolument gagner la majorité. Après être d’une certaine manière passé en force lors de l’élection présidentielle, il doit renforcer sa légitimité », abonde Eugène Brice Bado.
• Les personnalités alignées
Tous les ministres ou presque sont candidats chez eux : Ally Coulibaly, chargé des Affaires étrangères, se présente à Dabakala ; Sidi Tiémoko Touré, porte-parole du gouvernement, à Béoumi ; Kandia Camara, ministre de l’Éducation nationale, à Abobo ; Siandou Fofana, au Tourisme et aux Loisirs, à Port-Bouët ; Laurent Tchagba, de l’Hydraulique, et Danho Paulin, des Sports, à Attécoubé… Ils sont une trentaine au total à briguer un mandat de député.
« Être élu ne sera pas une condition exclusive, mais ce sera évidemment un critère important quand il faudra procéder à des arbitrages [au moment de former le prochain gouvernement] », confiait récemment un proche du président à Jeune Afrique. Grand absent : le Premier ministre Hamed Bakayoko, en France pour des raisons de santé. Il brigue un troisième mandat à Séguéla, dans le nord-est du pays. Adama Bictogo, proche de Ouattara, est quant à lui candidat à Agboville.
Dans l’opposition, Affi N’Guessan, sorti de prison fin décembre après deux mois de détention pour son rôle durant la campagne, est candidat à sa réélection à Bongouanou. Laurent Akoun, le secrétaire général adjoint du FPI pro-Gbagbo, l’est pour sa part à Alépé.
Maurice Kakou Guikahué, le numéro deux du PDCI, sera pour sa part candidat à sa réélection à Gagnoa sous-préfecture. Du côté des pro-Gbagbo, Michel Ggabgo, fils de Laurent Gbagbo, se présente à Yopougon.
• Les circonscriptions à suivre
À Abidjan, les résultats de certaines circonscriptions seront scrutés de près. À Yopougon, qui fournit six députés à l’Assemblée, l’enjeu est important pour les pro-Gbagbo et EDS qui, alliés au PDCI, rêvent de reprendre la circonscription au RHDP. « Yopougon, c’est pour nous ! » a lancé Michel Gbagbo lors du meeting d’ouverture de la campagne. La liste est conduite par le président d’EDS, Georges Armand Ouégnin. Face à eux, Gilbert Koné Kafana, du RHDP, député depuis dix ans et maire de la commune.
Au Plateau, le quartier des affaires d’Abidjan, c’est un duel aux allures de revanche entre le PDCI et le RHDP qui se prépare après des municipales houleuses, sur fond d’accusation mutuelle de fraudes. Le député sortant Jacques Ehouo, pour le PDCI, affrontera Ouattara Dramane, du RHDP, et plusieurs indépendants.
À Gagnoa sous-préfecture, fief de Laurent Gbagbo, Maurice Kakou Guikahué, le numéro deux du PDCI, sera candidat à sa réélection face à Marie-Odette Lorougnon, ancienne députée et vice-présidente du FPI, figure des « Gbagbo ou rien » (GOR). Les deux camps, alliés ailleurs, sont concurrents dans cette circonscription très symbolique.
Daoukro, fief d’Henri Konan Bédié, basculera-t-elle dans l’escarcelle du RHDP ? Nombre d’observateurs n’y croient pas. Venance Konan, patron du grand quotidien Fraternité Matin et candidat du parti présidentiel, se dit « confiant ». Il s’opposera à Olivier Akoto pour le PDCI et à Henriette Lagou, une candidate indépendante.
• Seulement 11 % de femmes candidates
Ce qui devait être un enjeu majeur de ces législatives n’est est finalement plus un, avant même la tenue du scrutin. Une loi adoptée en 2019 impose aux formations politiques de présenter 30 % de femmes. Faute d’être coercitif, le texte ne sera dans les faits appliqué par aucun des partis en lice. Seule certitude : l’hémicycle ivoirien demeurera très majoritairement masculin. Aujourd’hui, seulement 11 % de femmes y siègent. Un pourcentage qui ne devrait guère évoluer
Source: Jeune Afrique