En Éthiopie, les combats continuent dans certaines zones de la province du Tigré, dont l’accès est toujours interdit à la presse. Malgré les dénégations officielles, un haut gradé éthiopien et un administrateur civil ont publiquement confirmé que des troupes érythréennes se trouvaient bien engagées dans les combats contre ce qui reste du TPLF, le parti dissident qui dirigeait la province jusqu’en novembre. Et il semble qu’elles jouent un rôle important dans la guerre.
Aux yeux des observateurs indépendants de la guerre du Tigré, l’engagement érythréen ne fait aucun doute. « L’armée d’Asmara contrôle les villes d’Adoua, de Shire et d’Adigrat, ainsi que les routes et des banlieues de Mekele », affirme le journaliste Amanuel Ghirmai de Radio Erena, s’appuyant sur des sources militaires et des témoignages d’habitants. Il ajoute avoir parlé avec des familles en Érythrée, ayant parmi elles des soldats blessés en Éthiopie et soignés dans les hôpitaux de leur pays natal.
« Le long de la frontière, les villes disputées de Badmé et Zalambessa sont également sous le contrôle des Érythréens », confirme le chercheur norvégien Kjetil Tronvoll, de l’université de Bjorkness. On donne un choix aux habitants, ajoute-t-il : accepter une carte d’identité érythréenne ou fuir leur maison. Les hommes en âge de porter des armes sont souvent abattus, selon lui. Les Érythréens ont commis « des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité, conclut-il. La seule question est de savoir si on peut en qualifier certains d’actes de génocide. »
Ces deux observateurs font écho à de nombreux autres témoignages faisant état de tueries et de pillages commis par les troupes érythréennes dans le Tigré, tandis que les autorités éthiopiennes se contentent de brèves dénégations. Pour eux, le but de guerre du président érythréen est pourtant clair : détruire le TPLF et affaiblir durablement le Tigré. « Issaias Afeworki accuse le TPLF d’avoir empêché le développement de l’Érythrée pendant vingt ans, explique Kjetil Tronvoll. Aujourd’hui, c’est sa revanche. » La preuve, selon Amanuel Ghirmai : les destructions d’hôtels et d’usines par des soldats érythréens qu’on a pu constater dans le Tigré, explique-t-il, « sont une réplique exacte des destructions commises par l’armée éthiopienne dans les villes érythréennes de Barentu, Senafe ou Tessenei, lors de la guerre de 1998-2000 ».
Frustration dans les rangs éthiopiens
Les opérations de destructions sont « trop bien organisées, trop bien orchestrées pour être le fait d’éléments isolés », ajoute d’ailleurs l’universitaire Kjetil Tronvoll, qui se trouvait dans le Tigré juste avant le déclenchement des opérations militaires. « Les soldats ont des ordres et les ordres viennent de tout en haut, d’Issaias Afeworki en personne », complète le journaliste Amanuel Ghirmai, qui a travaillé pour le ministère de la Défense avant de fuir son pays.
Pour l’Éthiopie qui est aussi engagée sur d’autres fronts à la frontière du Soudan ou dans l’État du Benishangul-Gumuz, les Érythréens semblent inamovibles aujourd’hui dans le Tigré, disent les deux hommes. Il existe un certain niveau de frustration dans l’armée éthiopienne, expliquent-ils tous les deux, comme le révèlent les déclarations du général éthiopien Belay Seyoum fin décembre, selon qui des troupes érythréennes sont intervenues dans le conflit « sans y avoir été invitées ». Ou celles du maire par intérim de Mekele, Ataklti Haileselassie, qui affirmait dans un vidéo au début de l’année que le gouvernement éthiopien « travaillait désormais à leur faire quitter la région rapidement ».
Or telle ne semble pas être la volonté de l’Érythrée. « Dans le Tigré aujourd’hui, conclut Amanuel Ghirmai, c’est Issaias Afeworki qui dicte sa loi. »
Source : rfi