Niger : Mamadou Tandja, le président qui en voulait trop

© Jacob SILBERBERG/PANOS-REA Mamadou Tandja, en août 2009, au lendemain de la victoire du oui au référendum constitutionnel dont il espérait qu’il lui ouvrait la voie à un nouveau mandat.

Décédé le 24 novembre des suites d’une longue maladie, l’ancien président Mamadou Tandja avait dirigé le Niger à coups de certitudes et d’une main de fer pendant onze ans. Jusqu’à être renversé.

De ses grandes envolées verbales, il n’était plus question depuis plusieurs années. Affaibli par la maladie, Mamadou Tandja recevait de moins en moins dans sa confortable résidence de Niamey. Il ne s’intéressait plus que de loin à la politique et aux destinées de son ancien parti, le Mouvement national pour une société du développement (MNSD), aujourd’hui dirigé par un Seini Oumarou dont il n’a, en réalité, jamais été proche.

L’ancien président ne l’a jamais caché : il aurait préféré voir l’ex-parti unique entre les mains de son ancien ministre Albadé Abouba. Il observait de loin les divisions entre ses ex-poulains, sans réellement tenter d’y mettre fin. Pour Mamadou Tandja, l’heure de la politique était passée, son quotidien étant davantage rythmé par les visites médicales (dont certaines en Allemagne) que par les joutes de partis.

En 2014 déjà, il avait été évacué d’urgence à bord d’un avion affrété par la présidence nigérienne vers l’hôpital Mohammed-V de Rabat, au Maroc. L’ancien chef de l’État souffrait alors des complications d’un cancer de la prostate. Il s’est finalement éteint à 82 ans, six ans plus tard, ce 24 novembre, à l’hôpital de référence de Niamey, où ses concitoyens sont entrés dans un deuil national de trois jours décrété par le président Mahamadou Issoufou.

La prison, puis la retraite 

captire 113

Fils d’un petit commerçant de Diffa, dans le sud-est du pays, Mamadou Tandja grandit en milieu haoussa avant de s’engager, très jeune, dans l’armée. Il y sert au côté d’un certain colonel Seyni Kountché, croyant fermement en un nationalisme intraitable. Homme de réseaux, proche de nombreux riches commerçants, dont il affirme parfois qu’il faut les « presser comme des citrons », il devient préfet en 1974 puis ministre de l’Intérieur, dirigeant notamment la répression de la révolte touarègue de 1990.

Candidat du MNSD pour la présidentielle de 1994, il y échoue au second tour face à Mahamane Ousmane. Partie remise. En 1999, après l’assassinat du général Ibrahim Baré Maïnassara arrivé au pouvoir trois ans plus tôt par un coup d’État, Mamadou Tandja retente sa chance. Sûr de lui et vainqueur au second tour face à Mahamadou Issoufou, il entame alors le premier de ses deux mandats, flanqué de Hama Amadou au poste de Premier ministre. Coupes budgétaires, contrôle des mutineries et des manifestations étudiantes, presse muselée… Les Nigériens découvrent alors la main de fer d’un Mamadou Tandja confortablement réélu – en dépit des suspicions de fraudes – en 2004.

À chacune de ses investitures, le président a été clair : il jure sur le Coran de respecter la Constitution, qui lui interdit de se présenter à un troisième mandat. Pourtant, le 5 mai 2009, coup de tonnerre : Tandja annonce vouloir modifier la Constitution par référendum afin de briguer un nouveau mandat. Au nom du « tazarché » [la continuité, en haoussa], du peuple et de Dieu, argue-t-il alors. « Mon serment coranique, c’est de ne jamais trahir mon peuple et de ne jamais travestir ses aspirations. Si j’avais refusé la demande des populations, j’aurais outrepassé ce serment et Dieu m’en voudrait. »

Lâché par les siens

Capture 112

Seulement, rien ne se passe comme prévu. Les manifestations se multiplient et le fossé se creuse entre Tandja et ses concitoyens. Eux, de plus en plus déterminés, certains le soupçonnant même de préparer son fils pour une succession prévue en 2012. Lui, de plus en plus aveuglé, faisant montre en public d’une détermination sans faille. « Ne vous en faites pas. Ici, l’opposition a une vieille tradition, celle de marcher dans la rue tous les samedis parce que c’est un jour férié », ironise-t-il. « Je ne suis pas de ces chefs d’État à qui l’on dicte la conduite à tenir », clame-t-il encore devant la réticence de la communauté internationale.

Ironie du sort, c’est l’armée qui scelle le sort de celui qui y avait consacré tant d’années de sa vie. Le 18 février 2010, sur les coups de 13 heures, avec à sa tête (entre autres) le commandant Salou Djibo, une junte militaire baptisée « Conseil suprême pour la restauration de la démocratie » (CSRD) se présente à son bureau, où le président s’est réfugié. Muet, hébété, surpris par un assaut entamé deux heures plus tôt sur le palais présidentiel, Mamadou Tandja n’a d’autres choix que de rendre les armes. « On aurait dit un vieil officier muré dans ses certitudes, ne pouvant imaginer une seconde que ses “enfants” puissent le déposer », confie alors un des membres de la junte.

Isolé diplomatiquement, il a pourtant tout tenté, jusqu’à acheter les ex-rebelles touaregs et des généraux, en leur offrant villas et bonus. Mais il ne réussit qu’à vexer d’autres officiers, dont beaucoup s’attendent dès lors à faire partie d’une prochaine purge dans les rangs d’une Grande Muette qui porte de plus en plus mal son nom.

Début février 2010, il limoge même trente-sept éléments de sa garde présidentielle et annonce que les primes vont baisser. Pas de quoi s’assurer l’indéfectible loyauté de ceux, censés le protéger, qui se retournent finalement contre lui le 18 février. Seules les Forces nationales d’intervention et de sécurité (Fnis) auront tenté de le défendre. Mais cette ancienne garde républicaine, sous les ordres du ministre de l’Intérieur, Albadé Abouba, n’inversera pas le cours de l’histoire.

Dès 14 heures, le coup d’État est consommé, Salou Djibo s’imposant à la tête du CNRD. Mamadou Tandja, lui, est arrêté.

    Dieu, le peuple et le tazarché

captire 113

Placé à l’isolement à la Villa verte, haut lieu du pouvoir durant les années Kountché, il est transféré en janvier 2011 à la prison civile de Kollo, à une trentaine de kilomètres au sud de Niamey. Mais il n’y passe que quelques mois.

Le 7 avril 2011, Mahamadou Issoufou est investi président et, un mois plus tard, le 10 mai, Mamadou Tandja sort de prison. Accusé de complicité de détournement de fonds, de délit de favoritisme et de violation du serment coranique pour avoir convoqué un référendum anticonstitutionnel, l’ancien président voit alors la chambre d’accusation de la cour d’appel de Niamey annuler toutes les poursuites engagées, les jugeant illégales.

Tandja se met alors prudemment en retrait, recevant tout de même à son domicile et laissant planer le doute sur un retour dans le grand bain politique. « Le jour où j’ai quitté le pouvoir, je leur ai laissé environ 400 milliards de francs CFA [près de 610 millions d’euros]. Aujourd’hui, dans notre Trésor, il y a des matins où vous ne trouverez que 3 millions. Ce sont tous des voleurs ! », lance-t-il devant des visiteurs en novembre 2013, s’attaquant à Mahamadou Issoufou et son gouvernement.

Une diatribe qui ne passe pas. Interrogé par les gendarmes sur la présumée disparition des fonds, Tandja tente de faire jouer son immunité d’ancien chef d’État, avant de finir par se rétracter publiquement. Si le pouvoir en reste là, Mamadou Tandja saisit l’avertissement.

En 2014, alors qu’éclate la querelle politique entre Mahamadou Issoufou et Hama Amadou, prélude à la bataille pour la présidentielle de 2016, l’ancien président conserve le silence. Il n’en sortira plus, affaibli par la maladie et quittant peu à peu la vie politique.

Ce 24 novembre, alors que la nouvelle de son décès atteignait les Nigériens, beaucoup se souviennent de son fervent « nationalisme », de son caractère de « bâtisseur » ou de son « austérité ». Certains notent enfin une ultime ironie du sort : l’homme du tazarché s’est éteint en cette fin d’année 2020 alors que son successeur, Mahamadou Issoufou, s’apprête à tenir sa promesse de respecter la limitation constitutionnelle des mandats présidentiels. Un serment que lui-même avait tenté, malencontreusement, de briser. Un leg, bien involontaire, que l’enfant de Diffa laisse à la démocratie nigérienne.

 

  Source: Jeune Afrique