La passation de pouvoir entre le président sortant et le président élu était normalement prévu le 20 août. Mais le décès soudain de Pierre Nkurunziza a poussé son héritier et ses soutiens au sein du pouvoir à précipiter sa prise de pouvoir. Et à impulser un nouvel élan au Burundi ?
Le président élu doit prêter serment ce jeudi 18 juin à 11h locale dans le stade Ingoma de Gitega, la nouvelle capitale politique du pays, devant la Cour constitutionnelle et la population, une première dans le pays où jusqu’ici cette cérémonie se déroulait devant le Parlement. Pierre Nkurunziza devait remettre le fauteuil présidentiel à son successeur lors d’une grande fête populaire le 20 août prochain, mais il décédé et n’est pas encore enterré : Ndayishimiye devra se contenter d’une cérémonie « très sobre » selon l’un de ses proches, afin « de ne pas heurter la sensibilité des Burundais ».
La prestation de serment d’Evarsite Ndayishimiye à Gitega lui permet d’« éviter une longue période d’incertitude propice à tous les dangers ».
C’est le président de l’Assemblée nationale Pascal Nyabenda, pendant longtemps le premier choix de Nkurunziza pour lui succéder, qui devait assurer cet intérim de plus de deux mois, si on s’en tient à la Constitution du Burundi.
Le groupe des généraux qui contrôlent le pays d’une main de fer est traversé par des tensions qui se sont accentuées depuis la disparition de Pierre Nkurunziza. Ses soutiens n’ont donc pas voulu « tenter le diable », selon un haut cadre du parti au pouvoir.
D’autres pointent le défi que constitue la pandémie du Covid-19 au Burundi, un pays qui ne compte officiellement qu’une centaine de cas testés positifs dont un décès jusqu’ici, alors que des médecins dénoncent « des cas cachés », dont de nombreux décès dans les structures de santé ou à domicile.
Sortir le Burundi du marasme économique et financier
Autre raison avancée par ses proches : la situation économique qui lui a été présentée au cours des derniers jours est « plus dégradée » qu’il ne le pensait. Le général Ndayishimiye aurait donc décidé d’y faire face « tout de suite » car « il se rend compte que la situation pourrait déraper ». Le président élu s’est présenté tout au long de cette campagne comme « l’homme qui vient sortir les Burundais de la pauvreté ».
Améliorer le quotidien de ses concitoyens va donc constituer le grand défi du nouveau président du Burundi et de sa future équipe. Selon la Banque mondiale, trois Burundais sur quatre vivent sous le seuil de pauvreté. Et sur les onze millions d’habitants, 1,7 million sont en situation d’insécurité alimentaire aiguë sévère, d’après la FAO, la branche des Nations unies chargée de l’alimentation et l’agriculture. Le Burundi figure aujourd’hui parmi les trois pays les plus pauvres de la planète. En quinze ans de pouvoir Nkurunziza, le taux de pauvreté est par exemple passé de 65 à 75 % de la population, selon la Banque mondiale.
Pierre Nkurunziza avait entamé des réformes pour améliorer notamment l’éducation et la santé lors de son premier mandat, des réformes saluées et soutenues par les partenaires du pays, dont l’Union européenne. Mais après dix ans de pouvoir, il s’est isolé pendant les cinq ans d’un troisième mandat. Ses partenaires ont suspendu leur soutien annuel pour boucler le budget et les investissements étrangers se sont effondrés.
Le produit intérieur brut par habitant a chuté et même avant la crise sanitaire mondiale, le Burundi n’envisageait qu’une très faible croissance économique. Ses recettes en divises dépendent largement de l’exportation du café et du thé. L’économie repose sur l’agriculture, qui emploie 80% de la population, le secteur représente 40% du PIB.
Côté minier, le Burundi est le premier pays africain qui exploite des terres rares ; son sous-sol renferme aussi du nickel, mais l’exploitation de de ce minerai ne serait pas rentable. Bref, il va sans dire que le chantier qui attend le nouveau président est immense.
Les espoirs d’un peuple qui souffre
Alors, même si une partie de la population pense qu’il a gagné à la faveur d’un « hold-up électoral » comme continue de l’assurer le principal parti d‘opposition, le CNL d’Agathon Rwasa, nombreux sont les Burundais qui espèrent « un véritable changement » de la part de celui qui va diriger le pays pour les sept prochaines années. Notamment sur le plan économique donc : « Il y a une forte attente sur cette question », notent des observateurs, qui expliquent que le général Ndayishimiye devra « d’abord mettre fin à la corruption qui gangrène le système CNDD-FDD, pour y arriver ».
Pour ce faire, le nouveau président burundais a une opportunité de tourner la « sombre page » ouverte par la crise politique née de la décision de Pierre Nkurunziza de briguer un troisième mandat en 2015, de l’avis de nombreux observateurs. La répression sanglante qui s’en est suivie a poussé jusqu’à 400 000 Burundais en exil et a fait quelque 1200 victimes rien que pendant ses deux premières années selon l’ONU.
Aujourd’hui, les Burundais ont démontré « leur volonté de changement » durant la campagne électorale, toujours selon ces observateurs. Ils espèrent donc du général Evariste Ndayishimiye « un discours d’ouverture démocratique et de réconciliation nationale ».
Ces « gestes » sont également attendus par ses principaux bailleurs occidentaux qui ont pris des sanctions contre le régime burundais, notamment pour ses graves violations des droits de l’homme.
Source: rfi