L’arrivée de la pandémie de Covid-19 en Libye, pays plongé dans le chaos et qui compte deux pouvoirs rivaux en guerre, fait craindre le pire alors que le système de santé est à genoux depuis près d’une décennie.
Alors qu’un premier cas de Covid-19 a été officiellement enregistré le 24 mars en Libye, l’impact potentiel de la pandémie fait craindre le pire dans un pays ravagé par la guerre et livré au chaos depuis la chute du régime de Mouammar Kadhafi en 2011.
Selon le ministre de la Santé du Gouvernement d’entente nationale (GNA), Ehmaid Bin Omar, le patient a été placé en isolement dans un hôpital de Tripoli. Âgé de 73 ans, il était entré sur le territoire libyen par la Tunisie, début mars, après avoir séjourné en Arabie saoudite. Son entourage direct, plus d’une vingtaine de personnes, a été testé négatif, selon les médias locaux.
Épargnée jusqu’ici par la pandémie, du moins officiellement, la Libye s’est un moment crue à l’abri du coronavirus, alors que ses pays voisins étaient touchés les uns après les autres. “Nous sommes à l’abri des virus en Libye, un pays dont la capitale est assiégée et dont les issues terrestres et aéroportuaires sont fermées“, affirmait, mi-mars, à l’AFP, un universitaire originaire de la capitale Tripoli, Moayed al-Missaoui.
Or, avec l’apparition du coronavirus, l’ONU redoute un scénario catastrophe, alors même que les deux camps en conflit, celui du maréchal Khalifa Haftar, l’homme fort de l’Est libyen et chef de l’Armée nationale libyenne (ANL), et celui de son rival politique Fayez al-Sarraj, chef du GNA, poursuivent leurs opérations militaires. L’inquiétude concerne non seulement les civils qui se trouvent coincés par les affrontements mais aussi la situation des migrants et des réfugiés retenus dans des centres de détention, dont certains se trouvent près des zones de combat.
“Nous sommes profondément préoccupés par le signalement du premier cas de Covid-19 en Libye, a réagi le 25 mars sur Twitter le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies en Libye (OCHA). La santé et la sécurité de la population libyenne, y compris celles des 345 000 personnes les plus vulnérables, sont en jeu. Une épidémie pourrait épuiser les capacités humanitaires d’ores et déjà très éprouvées“.
Une offre de soins médicaux dérisoire
Et pour cause, le système de santé libyen, décrit comme “en proie à un déclin constant” et avec “de trop nombreux hôpitaux et cliniques endommagés lors des combats” par le Comité international de la Croix-Rouge (CICR), n’est pas armé pour faire face à une crise sanitaire de grande ampleur.
Malgré les efforts et l’appui des organisations onusiennes et humanitaires, la pénurie de personnels qualifiés, la perturbation des circuits d’approvisionnement en raison du conflit, et le manque de stocks de médicaments et de matériel médical et chirurgical plombent l’offre de soins médicaux, et pas dans seulement dans les zones isolées.
“Vous avez un système de santé qui était déjà proche de l’effondrement avant le coronavirus“, a récemment prévenu Elizabeth Hoff, la chef de la mission de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) à Tripoli. De son côté, le Global Health Security Index 2019 classe même le pays à la 185e place, sur 195, en matière de capacité d’atténuation et d’intervention en cas de propagation d’une épidémie.
Conscient du risque sanitaire encouru, le GNA, reconnu par la communauté internationale, ainsi que l’exécutif parallèle basé dans l’est libyen, avaient anticipé l’arrivée du virus en prenant chacun de son côté des “mesures préventives“, comme l’instauration d’un couvre-feu nocturne et la fermeture des lieux publics.
Le ministère de la Santé du GNA a exhorté, jeudi 26 mars, tout le personnel médical et les prestataires de soins à se porter volontaire et à se joindre au personnel mobilisé dans les hôpitaux du pays afin d’être prêts en cas de propagation du coronavirus. Il a également annoncé la mise en place de plusieurs sites de quarantaine, dont deux à Tripoli, destinés à isoler les malades.
En début de semaine, Ahmed Al-Hassi, le porte-parole du Comité médical consultatif de lutte contre l’épidémie de coronavirus, mis en place par le maréchal Haftar, avait toutefois reconnu que “quel que soit le nombre de lits et de salles de soins intensifs qui ont été préparés”, la Libye n’était pas en mesure de faire face à l’épidémie en raison de ses capacités limitées”.
“La population doit déjà lutter pour accéder aux soins de santé pour des traitements de routine, les hôpitaux sont déjà surchargés de victimes des combats à Tripoli, confie à Jeune Afrique Liam Kelly, directeur Libye du Conseil danois pour les réfugiés. Des actions sont menées à travers le pays, mais la faiblesse du système de santé est dramatique.”
De leur côté, les Libyens semblent avoir pris leur précautions, entraînant des ruptures de stocks dans les pharmacies et les supermarchés pour certains produits. “Les importations de gel hydroalcoolique, de masques et de gants ont nettement augmenté”, avait précisé à l’AFP, mi-mars, Mounir el-Hazel, directeur d’une société d’importation de matériel médical.
Même sous la menace du coronavirus, les affrontements se poursuivent
Il n’en reste pas moins que sur le plan militaire, la situation n’est pas propice à engager une lutte efficace et cohérente contre l’épidémie, les deux camps rivaux s’accusant mutuellement de violer, depuis le 22 mars, une nouvelle trêve “acceptée” par les deux belligérants à l’initiative de plusieurs pays et de l’ONU, au nom de la lutte contre le coronavirus.
Tripoli a notamment été la cible de bombardement dans la nuit du 24 au 25 mars, tandis que de nouveaux affrontements ont été signalés sur une base aérienne proche de la capitale libyenne, visée par une offensive des forces du GNA.
La semaine dernière, la Mission d’appui des Nations unies pour la Libye (MANUL) avait pourtant appelé toutes les parties à “unir leurs forces, à travailler ensemble et à orienter leurs pouvoirs et leurs ressources” afin de se concentrer sur la lutte contre la pandémie et “en prévenir les conséquences catastrophiques”.
Elle réclamait notamment de permettre “un accès sans entrave” à l’aide humanitaire, aux biens et aux denrées alimentaires, et de permettre à l’OMS et aux partenaires du secteur de la santé de travailler dans toutes les régions du pays. Un appel difficile à entendre en l’absence d’une trêve respectée par toutes les parties.