Les autorités algériennes ont entrepris, depuis le début de l’année scolaire en cours, de faire pression sur un certain nombre d’écoles privées pour les obliger à se conformer aux lois nationales qui interdisent l’enseignement du programme scolaire français.
La question a pris des dimensions qui dépassent l’aspect éducatif, dans la mesure où elle s’inscrit dans le cadre du renforcement des symboles de la souveraineté algérienne et de la lutte contre l’influence culturelle de l’ancien colonisateur français (1830-1962).
Face au silence officiel de la France, depuis le début du mois d’octobre, les médias de l’hexagone ont largement couvert la décision algérienne, la considérant comme une “mise au ban” de la langue française et une “prise de position” face aux tensions politiques entre les deux pays, alors que le gouvernement algérien a confirmé qu’il s’agissait d’une régularisation d’une situation contraire à la loi.
Des dossiers litigieux liés à l’époque coloniale sont en suspens depuis des décennies entre les deux pays, le plus important étant l’insistance de l’Algérie à récupérer les archives, les biens et les dépouilles des résistants, ainsi que l’examen des dossiers des personnes disparues et des effets des essais nucléaires français.
Selon le correspondant d’Anadolu, plonger dans les coulisses de la passivité face à la dualité des programmes éducatifs en Algérie ouvre la porte à des lectures liées à ce qui est décrit comme le “prestige de l’État”, ainsi qu’au risque d’inculquer une identité culturelle et comportementale française aux élèves algériens, outre des motivations commerciales et éducatives.
** Décision d’ordre juridique ou de nature politique ?
A la date du mardi 10 octobre, le gouvernement algérien, notamment le ministère de l’Education nationale, n’avait pas publié de communiqué ou de déclaration indiquant qu’une nouvelle directive avait été donnée aux écoles privées concernant la nécessité de s’engager à n’enseigner que le programme éducatif algérien, à l’instar des écoles publiques.
Or, sur la base de témoignages de parents d’élèves d’écoles privées algériennes, des médias français, journaux et chaines de télévision, ont relayé, il y a environ une semaine, une décision des autorités algériennes de mettre fin à l’enseignement du programme français.
Selon les parents, ces écoles ont reçu une directive, qui n’a pas été publiée dans les médias algériens, à la fin du mois d’août dernier, c’est-à-dire quelques jours avant le début de l’année scolaire en cours, soulignant la nécessité de se conformer aux lois et de ne pas enseigner le programme français, sous peine d’être fermées sur-le-champ.
Les médias français ont analysé cette décision à l’aune des relations instables entre Alger et Paris depuis 2019, la considérant comme une nouvelle mise au ban de la langue française, alors que “l’anglais commence à être imposé au sein d’institutions publiques dans le but de remplacer le français”, comme l’a indiqué le journal Le Monde.
**Culture et valeurs
Le 7 octobre, le gouvernement algérien a publié sa première réponse à ce qu’il a décrit comme une campagne médiatique menée par la France. Le ministre de l’éducation, Abdelhakim Belabed, a ainsi déclaré : “Nous regrettons ces interprétations erronées. Nous ne visons ni une langue étrangère, ni un pays étranger, ni un cursus étranger”.
Et d’ajouter : “L’enseignement des langues étrangères (français et anglais) est obligatoire de l’école primaire à l’université, et nous comptons bien enseigner d’autres langues étrangères”.
Belabed a expliqué que la directive émise par le département de l’éducation nationale concerne la mise en œuvre de la loi, qui dispose que “l’enseignement est dispensé conformément au programme éducatif national, qui est compatible avec la culture et les valeurs de notre société”.
Il a cité deux textes qui régissent l’activité des écoles privées, à savoir une ordonnance exécutive publiée en 2005, précisant les conditions de création de ces écoles et un décret présidentiel précisant les règles générales régissant l’enseignement dans ces écoles.
L’article 9 du décret présidentiel prévoit que “l’enseignement dans les établissements d’enseignement privé se fait obligatoirement en langue arabe, exception faite des langues étrangères, dans toutes les matières et dans tous les établissements”.
L’article 10 précise que “les établissements d’enseignement privés doivent dispenser les programmes d’enseignement officiels en vigueur dans les établissements d’enseignement publics affiliés au ministère de l’éducation nationale”.
Belabed a indiqué que le nombre d’écoles privées accréditées est estimé à 680, notant qu’il y a un “petit groupe” d’entre elles qui ont obtenu une licence d’une institution française et “ont été invitées, après inspection, à se conformer à la loi”.
Le nombre d’écoles privées qui enseignaient le programme français jusqu’au début de l’année scolaire en cours était de 22, selon les médias français, et elles ont obtenu une licence de l’Institut culturel français en Algérie.
** Tromperies … et confusion
Meziane Meriane, expert en pédagogie et ancien responsable d’une organisation syndicale dans le secteur de l’éducation, a déclaré à Anadolu que “les gouvernements précédents ont commis l’erreur de fermer les yeux sur le fait que certaines écoles privées ont choisi de dispenser le programme français”.
Il a ajouté que “ce qui est illégal s’est presque transformé en une situation légale de facto”, ajoutant qu’il existe un cahier des charges signé par les propriétaires des établissements privés, qui indique explicitement que l’enseignement doit être exclusivement dispensé conformément au programme de l’éducation nationale.
Meriane a expliqué que “l’objectif de l’enseignement du programme français est de permettre aux élèves de passer le baccalauréat (secondaire) français, ce qui leur permet de s’inscrire directement dans les universités françaises, sans passer par les tests et les cours du Centre culturel français”.
Il a rappelé que, par le passé, les élèves Algériens devaient se déplacer en Tunisie pour passer le baccalauréat français et que les écoles privées algériennes ont exploité ce créneau.
Selon Meziane Meriane ces écoles ont trompé les autorités en affirmant dispenser “un double programme qui combine le cursus national et le cursus français, car ceci n’est pas possible sur le plan pédagogique…”.
“Ils trompaient ainsi les inspecteurs, mais ils se contentaient de dispenser le programme français dans toutes les matières”, a-t-il renchéri.
Meriane estime toutefois que le fait d’obliger les écoles privées à enseigner le programme national pourrait semer la confusion dans l’esprit des élèves, en particulier dans le secondaire. Passer d’une méthode d’enseignement 100 % française à un programme national en arabe demande, selon lui, un temps d’adaptation de 6 mois à un an.
** Prestige de l’Etat
En plus de la dimension légale, le gouvernement algérien a mis en avant d’autres dimensions dans l’interprétation de l’affaire, puisque le ministre de la communication Mohamed Laagab, dans une déclaration à la presse, a lié l’enseignement du programme français par des établissements privés en marge de la loi, à “une dégradation du prestige de l’Etat”.
En réponse aux parents d’élèves qui déploraient que la nouvelle directive eut été édictée sans préavis, il a déclaré : “L’État a pratiquement perdu son prestige de manière progressive, ces écoles ont pris l’État par surprise, mais maintenant c’est l’État qui les prend par surprise et retrouve son prestige.”
Laagab a donné une dimension régalienne à l’interdiction d’enseigner le cursus français, déclarant : “Des programmes étrangers dans les écoles algériennes ?!… Avons-nous le droit d’enseigner nos programmes dans des écoles à l’étranger sans aucune convention ?!”
** Souveraineté nationale
Abondant dans le sens de Laagab, Sadek Dziri, Président de l’Union nationale du personnel de l’éducation et de la formation (Unpef), a estimé que l’obligation pour les écoles privées de dispenser exclusivement le programme national est “un pas vers la restauration de la souveraineté nationale”.
“Les paroles du ministre de la Communication contiennent une part de vérité, mais elles recèlent en elles un désaveu des pratiques des gouvernements précédents”, a déclaré Dziri à Anadolu.
Et de poursuivre : “Nous sommes favorables à l’enseignement de toutes les langues, y compris le français, mais nous refusons que la culture française prenne le dessus et que nos enfants soient formés selon le modèle, le comportement et l’histoire de la France, et que cela fasse partie de leur personnalité”.
Dziri a déclaré que ceux qui excellent dans le cursus français bénéficient d’une attention particulière de l’autre côté de la mer (France), et “ils nous reviendront un jour imprégnés de la culture française”, soulignant la nécessité “qu’un programme national unique soit adopté en matière d’éducation, incluant l’enseignement de toutes les langues étrangères”.
L’enseignement de la langue française est obligatoire en Algérie à partir de la quatrième année de l’école primaire et se poursuit de manière facultative dans les cycles préparatoire et secondaire et dans certaines universités avec des spécialisations scientifiques telles que la médecine, la chirurgie dentaire, la pharmacie et les études d’ingénierie.
L’enseignement du français en Algérie se limite à l’enseignement de la langue et non de la culture et des valeurs françaises, tandis que la littérature française n’est enseignée qu’aux étudiants universitaires qui ont choisi de se spécialiser dans cette discipline.
Anadolu Agency