Les pays de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest ont décidé, jeudi, de geler les avoirs financiers des nouveaux dirigeants guinéens, qui n’ont toujours pas annoncé de calendrier pour la mise en place d’une transition du pouvoir.
Les quinze chefs des Etats membres de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cédéao) ont décidé, jeudi 16 septembre, de mettre la pression sur les auteurs du coup d’Etat en Guinée, qui a écarté Alpha Condé du pouvoir au début du mois de septembre, en annonçant des sanctions ciblées et en réclamant une transition militaire « très courte ».
Les dirigeants d’Afrique de l’Ouest se sont réunis toute la journée de jeudi, à Accra (Ghana). « La transition ne devrait pas durer plus d’un semestre. Dans six mois, il faudrait organiser des élections », a déclaré à la presse le président de la commission de la Cédéao, l’Ivoirien Jean-Claude Kassi Brou.
En outre, la Cédéao a décidé de geler les avoirs financiers des nouveaux dirigeants du pays et des membres de leurs familles respectives, et de leur imposer des interdictions de voyager.
Une démarche « inclusive »
L’organisation d’Afrique de l’Ouest avait déjà récemment suspendu la Guinée de ses instances et dépêché, le 10 septembre à Conakry, une mission qui a pu rencontrer le chef des putschistes, le lieutenant-colonel Mamady Doumbouya, ainsi que M. Condé, 83 ans, renversé et arrêté cinq jours auparavant.
La ministre des affaires étrangères ghanéenne, Shirley Ayorkor Botchway, qui a dirigé la mission à Conakry, avait souligné, mercredi, que les putschistes n’étaient pas encore en mesure de fixer un calendrier pour la transition vers une restitution du pouvoir à des dirigeants civils élus. Le lieutenant-colonel Doumbouya n’a rien dit jusqu’à présent sur le possible contenu de cette transition, sa durée, quel rôle les militaires y joueraient, ni comment seraient organisées des élections.
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« Le seul calendrier qui vaille est celui du peuple guinéen qui a tant souffert », a-t-il déclaré mardi lors de la première journée de concertation. Il a exprimé sa volonté d’une démarche « inclusive » consistant à recueillir les propositions du plus grand nombre pour cette transition.
Le représentant des Nations unies pour l’Afrique de l’Ouest, Mahamat Saleh Annadif, a dit, lundi à Conakry, escompter une transition d’une « durée raisonnable », qu’il appartiendra aux Guinéens de déterminer.
Compagnies minières rassurées
Parallèlement à la réunion d’Accra, se tenait jeudi au même moment à Conakry la troisième des quatre journées de concertation nationale convoquées au Palais du peuple, siège du Parlement dissous par les putschistes, pour définir les « grandes lignes de la transition », qu’un futur « gouvernement d’union nationale » sera chargé de conduire.
Après les partis politiques, les chefs religieux, les représentants de la société civile et les diplomates étrangers, les militaires ont rencontré jeudi les patrons des compagnies minières, acteurs clé dans ce pays pauvre mais regorgeant de ressources naturelles.
Ces derniers se sont montrés rassérénés après leur rencontre avec Mamady Doumbouya. « Nous sommes entièrement rassurés », a déclaré Frédéric Bouzigues, directeur général de la Société minière de Boké (SMB), un important acteur du secteur de la bauxite (un minerai permettant la production d’aluminium). Les échanges ont été « prometteurs », a dit sous le couvert de l’anonymat un responsable pour la Guinée de Rusal, grand groupe russe spécialisé dans l’aluminium.
Alexander Alferink, directeur général de West African Development (WAD) spécialisé dans le dragage aurifère, s’est dit « rassuré ». D’après lui, le chef de la junte a dit aux dirigeants miniers : « N’ayez pas peur et continuez à faire ce que vous faites ».
Une situation comparable à celle du Mali
La Cédéao se retrouve aujourd’hui dans une situation comparable à celle qu’elle a connue au Mali voisin en août 2020.
A la suite d’un putsch similaire, elle avait pris des sanctions essentiellement économiques et suspendu le pays de l’organisation. Ces sanctions avaient été levées à la suite de l’engagement des militaires maliens sur la voie d’une transition de dix-huit mois maximum pour rendre le pouvoir à des dirigeants civils issus d’élections. Mais la communauté internationale exprime des inquiétudes croissantes sur le respect de ces échéances.
Comme au Mali, les militaires guinéens peuvent se prévaloir d’une certaine popularité, comme en attestent les manifestations de joie observées dans différents quartiers de Conakry, encore alimentée par la libération de dizaines de prisonniers d’opinion, la levée des barrages dressés dans les quartiers favorables à l’opposition, ou encore les engagements à sanctionner sévèrement toute exaction des forces de sécurité.
Ils ont dissous le gouvernement et les institutions et aboli la Constitution qu’avait fait adopter M. Condé en 2020 et qui avait ensuite invoqué ce changement de loi fondamentale pour se représenter après deux mandats, malgré des mois de contestation réprimée dans le sang.
Source: Le Monde