Revenu mi-juin en Côte d’Ivoire après avoir été acquitté par la justice internationale, l’ancien président s’attelle à la formation d’un nouveau parti.
A 76 ans, il est possible de penser quotidiennement à son héritage et, parallèlement, de refuser toute idée de retraite, au point de nourrir des rêves d’une réinstallation au sommet de l’Etat. Près de trois mois après son retour à Abidjan, le 17 juin, Laurent Gbagbo a démontré à ceux qui en doutaient qu’il demeure l’un des pôles magnétiques de la vie politique ivoirienne, qu’il entend bien le rester et qu’il n’a renoncé à rien. Son nouveau parti, en cours de création, devrait voir le jour courant octobre.
« Personne ne croit plus en son étoile que lui-même », confie l’un de ses amis. Et qu’importe si ce retour au-devant de la scène doit passer par une rupture avec le Front populaire ivoirien (FPI), le parti qu’il a fondé il y a près de quarante ans dans la clandestinité, et par un divorce avec Simone Ehivet-Gbagbo, sa compagne de lutte pour l’instauration du multipartisme avant de devenir une inflexible première dame lorsqu’il était au palais présidentiel.
Revenu en Côte d’Ivoire avec l’ambition affirmée de promouvoir une réconciliation politique en sommeil, l’ancien président devenu premier opposant a tout d’abord consacré son agenda à ses séparations. Quitte à déboussoler une partie de ses militants. Dans la foulée de son retour, il s’est rendu à la cathédrale d’Abidjan pour revenir dans le giron de l’Eglise catholique, puis a aussitôt demandé la séparation officielle avec son épouse.
Fronde ouverte
Des actes qui relèvent en apparence de la sphère privée mais qui comportent aussi une dimension publique. La rupture sentimentale du couple le plus politique du pays était consommée depuis plus de vingt ans mais, en la formalisant ainsi, Laurent Gbagbo semble également avoir voulu s’affranchir des églises évangéliques qui ont proliféré sous sa présidence avec le soutien de son épouse et incarné ses dérives les plus radicales.
Depuis, « le Woody » − « le garçon vaillant » en bété, sa communauté d’origine − s’attelle à la formation d’un nouveau parti, mais la naissance de cette « formation de gauche à la sauce africaine », selon les termes de Justin Koné Katinan, le porte-parole de Laurent Gbagbo, ne se fait pas sans heurts. Après s’être résolu à laisser « l’enveloppe » légale du FPI à Pascal Affi N’Guessan, son ancien premier ministre qui tente de se tracer un chemin hors de la tutelle de son mentor, l’ex-chef de l’Etat doit désormais composer avec la fronde ouverte de sa femme.
Simone Ehivet-Gbagbo a pour la première fois laissé percer sa colère après s’être vue inscrite parmi les membres d’un simple « groupe de réflexion élargi » sur la création de ce nouveau parti, bien loin du premier cercle entourant Laurent Gbagbo. Quelques heures après la publication, mardi 7 septembre, de la liste des personnalités chargées de préparer le congrès constitutif de cette formation, l’ex-première dame s’est dite « surprise » de voir son nom circuler sans avoir été « préalablement consultée » et « peu encline à [s]’associer à ce type d’initiative car [méritant] un minimum de respect et de considération ».
Accolades et sourires obligés
Concentré depuis son acquittement par la Cour pénale internationale (CPI) sur « sa réhabilitation et son héritage politique », selon l’un de ses proches, Laurent Gbagbo n’entend pas pour autant voir son nom conjugué au passé. « Il a affronté et résisté aux grands de ce monde. Sa victoire devant la CPI lui a mis en tête qu’il est béni, qu’il peut rassembler plus largement qu’auparavant. Bien sûr qu’il rêve de revenir aux affaires », confie son ami cité précédemment.
Pour cela, il a opéré un rapprochement politique avec un autre ancien chef de l’Etat qui fut longtemps son ennemi : Henri Konan Bédié, 87 ans, et qui lui non plus n’a pas abdiqué ses ambitions présidentielles… pour une élection prévue en 2025. Les deux hommes se sont alliés en se fondant sur le principe que le jeu politique ivoirien se joue à trois et que les victoires s’obtiennent toujours à deux contre un. Mais, comme le mentionne le sociologue Francis Akindès, « leur alliance repose sur des malentendus. Ils veulent une noce sans clarification de leur régime matrimonial ». En effet, M. Gbagbo pencherait pour une forte cohabitation où chacun garde son identité quand M. Bedié serait favorable à une fusion.
Reste que, dans cette équation, un troisième homme entend mettre tous les moyens dont il dispose pour les empêcher de revenir aux affaires. Après sa réélection en 2020 à un troisième mandat contesté, le président Alassane Ouattara a vu la nécessité de tendre la main à ses prédécesseurs. Le 27 juillet, il a reçu au palais présidentiel Laurent Gbagbo dans une ambiance que les deux hommes ont qualifié de « fraternelle ». Mais, derrière les accolades et les sourires obligés, les deux derniers présidents du pays ne semblent pas prêts à combler le gouffre qui les sépare. Leur rencontre a donné lieu à la photo la plus attendue depuis dix ans en Côte d’Ivoire, mais rien de plus. Octogénaires ou presque, les trois ténors de la politique ivoirienne jouent tous la montre, sachant qu’elle peut être leur meilleure alliée contre leurs rivaux mais aussi leur pire ennemie.
Source: Le Monde