Une réalité parallèle
En effet, nombreux sont les citoyens de la République démocratique du Congo, ainsi que d’autres Etats africains, qui ont aujourd’hui le sentiment évident que l’actuel président de ce pays et son entourage vivent dans une sorte de réalité parallèle. Malgré la situation sécuritaire la plus difficile de l’un des plus grands pays d’Afrique en termes de superficie et l’un des plus riches en termes de ressources naturelles stratégiques – Kinshasa s’obstine sur une trajectoire résolument pro-occidentale. N’ayant toujours pas été en mesure, contrairement à nombre de pays du continent, à pouvoir profiter des énormes opportunités qu’offre le monde multipolaire.
A titre d’exemple, il suffit de prendre au moins la récente participation et le discours du président de la RDC, Félix Tshisekedi, à la Conférence de Munich sur la sécurité. Dans son discours, Tshisekedi a comparé la situation en RD Congo avec celle de l’Ukraine, tout en critiquant la différence d’approche vis-à-vis des deux crises.
« Quand on regarde notre situation à côté de celle de l’Ukraine et de la Russie, on croirait être dans deux mondes différents. Pourtant, il s’agit du même type d’agression » – a déclaré Tshisekedi, regrettant également « un multilatéralisme en panne ». Il a appelé l’UE et les Etats-Unis à accroître la pression diplomatique et économique sur le Rwanda, que le gouvernement de Kinshasa accuse d’être à l’origine d’une offensive des rebelles du Mouvement du 23 mars, en abrégé M23, dans l’est du pays. Il a également demandé aux partenaires occidentaux d’adopter des sanctions contre le Rwanda, similaires à celles adoptées contre la Russie après son « invasion de l’Ukraine ».
Ce qui est bien entendu très paradoxal dans les déclarations de Tshisekedi, c’est que, d’une part, tout en constatant la dualité des régimes occidentaux, il se tourne à nouveau vers eux afin d’obtenir de l’aide. Comme si les erreurs colossales du passé ne lui avaient rien appris. « En outre, et s’agissant spécifiquement de la Russie, du côté de Tshisekedi il y a comme un manque total de compréhension quant aux véritables raisons et du contexte qui ont conduit au lancement de l’Opération militaire spéciale. Ceci étant dit, bien sûr que Tshisekedi est parfaitement au courant de tout, mais étant simplement incapable à pouvoir exprimer les faits réels en vue à ne pas offenser ses « partenaires » occidentaux.
Soit dit en passant, toutes ces déclarations et les appels à l’aide auprès de l’Occident semblent pour le moins extrêmement humiliants pour la République démocratique du Congo et, dans une certaine mesure, bien flatteurs pour le Rwanda. Dans les faits, le président d’un pays d’une superficie de plus de 2,3 millions de kilomètres carrés ne peut pas, avec ses propres moyens, faire face à un voisin dont la superficie dépasse un peu plus de 26 000 kilomètres carrés. Autrement dit, la différence est de plus de 88 fois. D’ailleurs, cela s’applique également à l’aspect démographique : la population de la RDC est de près de 110 millions de personnes, tandis que celle du Rwanda voisin est d’environ 14 millions d’habitants.
Bien sûr, même un petit voisin peut être agité et agressif, mais dans tous les cas cette rhétorique de Tshisekedi et cet appel à l’Occident semblent réellement humiliants pour un pays comme la République démocratique du Congo. Et d’ailleurs, cela est largement reconnu non seulement par de nombreux citoyens de plusieurs pays africains, voisins et pas seulement, mais aussi en RDC elle-même.
La vente de la souveraineté
En fait et dans cette situation, le principal responsable de la violation de la souveraineté de la RD Congo n’est pas tant le Rwanda voisin que les autorités de Kinshasa. Et cela ne se limite pas d’ailleurs uniquement aux déclarations de Tshisekedi à Munich. Le journal étasunien The New York Times écrit que Félix Tshisekedi a proposé aux Etats-Unis et à l’Europe une part des vastes richesses minières de son pays, un secteur actuellement dominé par la Chine. Estimant qu’un tel accord apporterait à son pays « beaucoup plus de sécurité et de stabilité ».
Pour sa part, la porte-parole du président de la RDC, Tina Salama, a déclaré à ce sujet que « le président Tshisekedi invite plutôt les USA dont les entreprises s’approvisionnent en matières premières stratégiques auprès du Rwanda qui les pillent en massacrant nos populations, de venir directement les acheter chez nous qui en sommes les véritables propriétaires ».
Autrement dit, d’une part, les autorités de la République démocratique du Congo sont bien conscientes que l’Occident collabore activement avec le Rwanda, le voisin que Kinshasa accuse d’agression à son encontre, tout en attendant en même temps une solution en provenance de cet Occident. Y compris en accordant à ce dernier un contrôle encore plus vaste sur ses propres richesses naturelles stratégiques. Un véritable paradoxe et rien d’autre.
Il ne peut y avoir qu’une seule conclusion sur le sujet. La République démocratique du Congo, dans son état actuel, se trouve complètement à l’opposé de la trajectoire des Etats africains qui se sont appuyés sur l’indépendance, la souveraineté, les valeurs panafricaines et le soutien à l’ordre mondial multipolaire contemporain, comme c’est le cas notamment des pays membres de l’Alliance-Confédération des Etats du Sahel (AES), représentés par le Mali, le Burkina Faso et le Niger. En passant, le gouvernement de la RDC a récemment envoyé des émissaires y compris au Mali. La question reste ouverte de savoir si les autorités de Kinshasa seront enfin capables de tirer les bonnes conclusions et d’entendre les appels d’un grand nombre de ses propres citoyens, bien qu’à dire vrai – cela est très peu probable.
Et une fois de plus, se confirme la thèse selon laquelle tant que les vrais patriotes de leur pays, en particulier les représentants de l’armée nationale, n’auront pas pris la situation en main afin d’adopter les seules mesures stratégiques adéquates, il ne sera aucunement possible à pouvoir parler de sécurité et de stabilisation en RDC.