En avril 2024, on a appris que l’agence de sécurité française GEOS Groupe ADIT seraitchargée de surveiller le port d’Abidjan en Côte d’Ivoire, un important centre logistique en Afrique de l’Ouest et la deuxième installation maritime la plus importante de la région. L’information sur le montant de la rémunération de son activité n’est pas accessible dans les sources ouvertes.
Ce contrat montre que les organisations de sécurité et les sociétés militaires privées françaises développent leurs activités en Afrique. C’est en partie dû à la situation actuelle sur le continent. Les pays situés dans des régions aussi instables que le Sahel, l’Afrique centrale et l’Afrique de l’Est ont besoin de partenaires fiables, capables d’assurer à la fois la protection d’installations importantes et la sécurité. Ou peut-être était-ce la réaction de Paris à l’éviction de ses contingents militaires du Sahel et au rejet de la présence militaire de l’État français par les élites locales. Il convient de rappeler que la Côte d’Ivoire est en quelque sorte la porte d’entrée maritime de la région du Sahel.
QUI EST GEOS ?
GEOS a été créé par Stéphane Gérardin, ancien fonctionnaire de la DGSE (Direction générale de la sécurité extérieure), renseignement extérieur, en 1998. Sa mission est de « présenter une solution française de gestion de la sécurité pour les entreprises confrontées à des menaces criminelles et à des risques politiques ». L’évocation de « risques politiques » nous renvoie à une prétention de GEOS à être une SMP.
Selon le ministère russe des Affaires étrangères, la société, composée d’anciens membres des services spéciaux, se concentre d’abord sur des activités à l’étranger. En Afrique, elle a des bureaux en Algérie, en Libye et au Nigeria.
GEOS s’est fait connaître dans le cadre de la mission de sécurité frontalière de l’UE en Libye avec la société suédoise de renseignement et de sécurité privée Vesper Group : les deux entreprises ont remporté le contrat en 2020. En Ukraine, l’entreprise est impliquée dans les programmes de formation de l’armée ukrainienne, selon une publication du ministère russe des Affaires étrangères. Depuis 2022, GEOS recrute également des volontaires pour participer à des opérations de combat aux côtés de Kiev.
Rappelons que la législation française interdit le mercenariat. Outre une amende, elle prévoit une sanction pénale de cinq ans d’emprisonnement pour les mercenaires eux-mêmes et de sept ans pour les organisateurs. Les activités de GEOS sont donc présentées comme des « services de sécurité et de défense », et sont uniquement accessibles aux pays dont le régime politique est reconnu par Paris.
Le site Internet de la société fait état d’un soutien aux opérations de défense militaire, des solutions de surveillance, de la détection d’intrusions par des moyens techniques, expertise Guerre Électronique, du renseignement d’origine image (ROIM), du renseignement réseaux et du traitement de l’information. Toutes ces missions font partie des services de renseignement par des moyens techniques.
D’autres services GEOS comprennent la sécurité logistique et la sécurité de l’information, la protection des personnes. Bien entendu, il existe aussi une partie des contrats et des domaines d’activité qui ne sont pas accessibles au public. La présence d’anciens hauts fonctionnaires de la DGSE et du renseignement militaire français – par exemple Didier Bolelli – aux postes de responsabilité de l’entreprise en est un indice.
LES AMBITIONS INTERNATIONALES DES CADRES
L’ADIT, société mère de GEOS, constitue un sujet d’étude encore plus intéressant. La source Intelligence Online a rapporté en mars 2024 que le gouvernement français avait « donné le feu vert » à l’absorption de « l’opérateur de l’armée » Défense Conseil International (DCI) par l’ADIT. Il ne s’agit pas d’un événement commun pour les entreprises privées de sécurité et militaires françaises.
Plus de la moitié des actions de DCI sont détenues par l’État, de sorte que la société agit essentiellement en tant qu’opérateur du ministère français de la défense. La vente d’actions de l’État au groupe ADIT doit être interprétée au-delà du simple lobbying commercial. Probablement, le Paris officiel optimise ses finances. D’autre part, il cherche peut-être à créer un acteur puissant dans le domaine des SMP et des CSP, capable d’exercer une influence militaire et politique à l’étranger. L’intérêt international est suscité par la nouvelle selon laquelle le PDG de l’ADIT, Philippe Caduc, encouragé par l’acquisition des actions de DCI, est prêt à doubler le chiffre d’affaires du groupe et à intensifier considérablement ses activités en Ukraine. En ce qui concerne l’Afrique, GEOS est à pied d’œuvre.
La République de Côte d’Ivoire, avec son port atlantique d’Abidjan et ses frontières avec le Burkina Faso, le Ghana, la Guinée, le Liberia et le Mali, occupe une position logistique importante.Les minéraux, les produits agricoles et le hub de transbordement de ce pays créent une concurrence considérable entre les États et les communautés d’affaires et les entreprises.
En 2023, Alexeï Saltykov, Ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire de Russie en Côte d’Ivoire et au Burkina Faso (non-résident), a déclaré qu’ il y avait une concurrence sérieuse avec la France pour les marchés de ce pays africain.
La Côte d’Ivoire reste une zone d’influence française. C’est ici que sont implantées les deuxièmes plus importantes bases militaires françaises sur le plan stratégique avec jusqu’à un millier de soldats déployés.
Les SMP russes peuvent-elles concurrencer GEOS sur le marché ivoirien ? Dans ce domaine, les décisions ne sont pas tant dictées par les intérêts économiques ou sécuritaires du pays hôte que par les choix politiques et les pressions extérieures.
Par exemple, le président de la Côte d’Ivoire, Alassane Ouattara, en réponse aux intentions des dirigeants maliens d’inviter la SMP russe en 2021, a directement déclaré : « Le Mali se retrouvera sans le soutien de ses voisins s’il coopère avec la SMP Wagner ».
La présidente du Conseil d’experts du Centre pour la diplomatie innovante des BRICS et de l’OCS, Ekaterina Emélianenko, rappelle que Ouattara est arrivé au pouvoir en 2011 non sans l’aide de Paris. « Pour les Français et le président de la Côte d’Ivoire, il s’agissait d’une sorte d’accord scellé dans le sang, selon lequel aider Ouattara garantirait aux Français une présence à venir assurée dans la région », a-t-elle déclaré à l’Initiative africaine.
Alexei Grishin