Au Sénégal, du 28 mai au 4 juin 2024, 450 personnes sont réunies pour dresser un diagnostic du secteur de la justice, ses dysfonctionnements et faire des propositions d’améliorations. Des magistrats, des avocats, mais aussi des responsables d’associations et des professeurs d’universités, ainsi que d’anciens détenus.
C’est aussi ce qu’a affirmé le président du Sénégal Bassirou Diomaye Faye à l’ouverture de ces assises nationales du secteur de la justice qui se tiennent au Centre de conférence de Diamniadio, en périphérie de Dakar.
Pas de « procès en inquisition »
Pas de chasse aux sorcières, de « procès en inquisition », mais plutôt « un débat lucide » pour trouver « ensemble des solutions » aux problèmes de la justice : Voilà ce qu’a souhaité le président Bassirou Diomaye Faye à l’ouverture de cette grande réunion. Des assises nationales qu’il a appelées de ses vœux, dès son premier discours après son élection.
Car six ans après un premier rapport qui faisait des propositions de réforme, il y a « besoin d’une profonde refondation du système judiciaire », a estimé le président du Sénégal. Notamment car cela intervient après une période pré-électorale particulièrement agitée, avec de nombreuses arrestations qui ont ébranlé le secteur judiciaire et la confiance des Sénégalais dans le bon fonctionnement de la justice.
Parmi les maux identifiés par les participants, il y a le sentiment d’une justice à deux vitesses. Elle serait très répressive pour les plus pauvres et à géométrie variable pour ceux qui ont les moyens de se défendre ou qui sont proches du pouvoir. Il y a aussi la surpopulation des prisons, avec un recours trop systématique à de longues détentions provisoires, en attendant d’être jugé. Aussi évoqués : la lenteur des procédures, le manque de moyens matériels, financiers et personnels, avec trop peu de magistrats (548 magistrats et 472 greffiers seulement pour plus de 17 millions d’habitants).
Voilà quelques-uns des sujets que les participants vont examiner dans deux commissions : l’une sur les réformes et l’autre sur la modernisation du secteur de la justice, notamment la numérisation de certains services.
Ces commissions rendront un rapport final avec des propositions de changements.
Aminata Fall Niang, présidente de l’association des juristes sénégalaise, salue l’ouverture de ces assises pour « qu’on puisse s’arrêter et se pencher sur la réforme de la justice ».
Les Sénégalais confirment la « crise de confiance »
« Crise de confiance », besoin de « réconcilier la justice avec le justiciable ». Les termes sont différents, mais disent tous la même chose : les Sénégalais ont perdu confiance en l’efficacité de leur justice, comme l’explique Mohamed Sow (ancien détenu) invité pour la première fois à ce genre de réunion. « Toute une population est en train de pleurer et de crier la justice à deux vitesses. Si tu es célèbre dans ce pays, ou bien si tu es un homme politique, ou si tu as de l’argent, tu ne purges pas certaines peines. Il faut qu’on ait une justice équitable ! »
De son côté, Abi Diallo, dénonce un système judiciaire trop répressif et trop souvent instrumentalisé : « Nous avons tous vécu l’immixtion de l’exécutif dans le fonctionnement de la justice, déplore celle qui est devenue la première femme commissaire au Sénégal. Et c’est très grave, c’est un corps qui devrait être complètement indépendant de l’exécutif, qui ne doit pas être une justice d’un régime. »
Améliorer l’indépendance des magistrats, qui sont pour l’heure nommés par le chef de l’État, est une demande ancienne de la société civile. Tout comme celles de réduire le recours aux détentions provisoires et de désengorger les prisons.
« Il faut procéder à un recrutement massif de personnel judiciaire »
« Fou malade », le surnom de ce militant qui dirige une association de réinsertion à Guedawaye en banlieue de Dakar confirme le diagnostic : « Si on veut lutter contre la surpopulation carcérale, il faut procéder à un recrutement massif de personnel judiciaire. Car il n’y a pas assez de fonctionnaires, pas assez de cabinets d’instruction, ce qui fait que les enquêtes durent beaucoup plus longtemps et on remplit les prisons pour rien ! »
Pour El Haji Aye Diop, secrétaire général du Syndicat des travailleurs de la justice le problème c’est « la qualité du service publique de la justice ». Selon lui, « les travailleurs de la justice n’ont pas un bon plan de carrière » et « sont mal rémunérés au point qu’ils sont toujours en grève ». Des grèves qui créent « des dysfonctionnements profonds du service public de la justice et qui accentue le mal, ça c’est un problème à régler », estime ce syndicaliste qui participera à la commission modernisation de la justice jusqu’au 4 juin.
Les attentes sont fortes. Pour preuve : en quatre jours, 6 000 personnes ont fait des propositions de réforme sur une plateforme en ligne. Forte aussi est la pression pour que, cette fois, les changements ne restent pas des vœux pieux