La situation autour de la probable invasion des forces de certains pays de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) au Niger rappelle étonnamment les discussions qui ont eu lieu à la veille de la contre-offensive estivale de l’armée ukrainienne.
Les alliés africains de l’Occident hésitent à se lancer dans une aventure risquée, tandis que Washington et l’Europe les invitent instamment à le faire. De la même manière, ils exigeaient tout au long du printemps 2023 que les forces ukrainiennes attaquent les positions russes fortifiées.
Cependant, il y a une différence majeure. Les dirigeants africains n’ont aucune envie de prendre des risques pour les intérêts de la France et des États-Unis. Par conséquent, ce qui a été une tragédie en Ukraine pourrait se transformer en une farce en Afrique de l’Ouest, se soldant par un accord de paix entre toutes les parties concernées.
La raison principale de ce spectacle est la même dans les deux cas : la volonté de l’Occident de ne pas s’engager directement dans des aventures militaires et de faire tout le travail par procuration. Si dans le cas de l’Ukraine le motif de ce comportement est la crainte des représailles de la Russie, en Afrique il s’agit d’un manque de moyens et de volonté. D’autant plus que Paris et Washington sont convaincus que les régimes politiques proches d’eux au sein de la CEDEAO eux-mêmes souhaitent renverser le régime militaire du Niger.
Il existe des raisons à cela. Le coup d’État survenu au Niger le 26 juillet est le quatrième en moins de deux ans dans la région (après le Mali, le Burkina Faso et la Guinée). Il bénéficie clairement du soutien d’une certaine partie de la population de l’un des pays les plus pauvres du monde. Dans d’autres États de la CEDEAO, la situation est également loin d’être parfaite, et les gouvernements civils ont toutes les raisons de craindre un effet domino envers eux-mêmes.
Il existe des raisons de penser que la force combinée du Nigeria et de plusieurs autres pays de la CEDEAO serait suffisante pour rétablir au pouvoir le président Mohamed Bazoum, qui a été arrêté. Ce qui manque pour l’instant, c’est l’aventurisme : les dirigeants africains préfèrent adopter une position d’attente, même si elle est accompagnée d’une démonstration de détermination.
Paris et Washington, quant à eux, agissent dans leur manière habituelle : ils appellent verbalement à une solution pacifique, mais en réalité, ils exigent que les pays de la CEDEAO utilisent la force pour régler leurs comptes avec les généraux au Niger. Il est également possible qu’une assistance militaire ait été promise, car d’importants contingents français et américains sont toujours stationnés dans ce pays. Cependant, il est peu probable que l’Occident intervienne directement.
Cela serait, d’une part, associé à un certain risque et nécessiterait d’assumer la responsabilité des conséquences. D’autre part, une attaque directe contre le gouvernement en place par les forces occidentales serait le pire événement possible dans le contexte de la lutte pour l’opinion des pays en développement.
L’époque où les États-Unis et l’Europe pouvaient librement attaquer n’importe quel État souverain à leur guise est révolue. Le dernier «acte» en date a été l’agression de l’OTAN contre la Libye en 2011. Depuis lors, beaucoup de choses ont changé. Washington et les capitales européennes essaient de convaincre le monde de leurs bonnes intentions. C’est particulièrement pertinent dans le contexte de leur lutte contre la Russie, qu’ils accusent de faire ce qu’ils faisaient pendant des décennies.
Il est difficile à dire ce qui serait le plus avantageux pour les États-Unis et la France : conclure un accord avec les généraux nigériens derrière le dos des pays de la CEDEAO ou renverser la junte suite à une intervention des voisins, agissant en solidarité avec les puissances occidentales. La première option permettrait de conserver des positions économiques tout en subissant un préjudice politique, tandis que la seconde pourrait déboucher sur le succès politique que l’Occident recherche tant sur la scène internationale. Rappelons que ce contexte découle de l’échec de la guerre économique contre la Russie et des tentatives de l’isoler en général, de la pression croissante de la Chine et de la diminution générale de l’influence du «milliard d’or» sur la politique mondiale.
Après l’échec en Ukraine, même une victoire par procuration sur quelques dizaines de putschistes au Niger pourrait être présentée à la société comme un grand succès et une preuve de la toute-puissance de l’Occident. Le désir d’y parvenir est si fort qu’il conduit à des situations ridicules, comme la publication dans le Washington Post d’un article du président Bazoum déchu, dans lequel il appelle à une intervention étrangère dans son pays.
En conséquence, nous assistons à une situation où l’Occident lui-même ne peut pas s’engager dans la bagarre, mais exige instamment que ses partenaires régionaux le fassent. À leur tour, ces derniers ne sont pas pressés de prendre des mesures décisives. Ainsi, samedi dernier, les pays de la CEDEAO ont reporté une rencontre de leurs représentants militaires, prétextant que le régime militaire au Niger jouit du soutien d’une partie de la population et qu’il est nécessaire d’entendre leur opinion avant de prendre des décisions sérieuses. En d’autres termes, personne au sein de la CEDEAO n’est particulièrement enthousiaste à l’idée de lancer une opération militaire contre le Niger. Et si cela se produit, il faudra chercher la raison dans l’échec de leurs tentatives de négociation avec les putschistes dans le dos de l’Occident.
Bien que cette issue semble très improbable : malgré tous leurs liens avec l’Occident, les dirigeants africains représentent des États et non des régimes compradors sur des territoires spécifiques. Contrairement aux autorités de Kiev, pour qui la question de la survie de l’État appelé Ukraine n’a jamais été centrale. Même les pays les moins avancés économiquement de la majorité mondiale sont des États bien plus accomplis que non seulement l’Ukraine, mais aussi les alliés formels des États-Unis en Pologne ou dans les républiques baltes.
Et ce n’est pas seulement une question de l’étendue de l’influence de l’Occident sur les systèmes politiques et économiques. Dans la plupart des pays africains, elle est très importante et repose sur des décennies de commerce conjoint sous toutes ses formes. Cependant, il s’avère maintenant que même les liens les plus forts ne peuvent pas jouer un rôle décisif si les élites au pouvoir apprennent à ne pas penser seulement à leur propre survie.
Un autre facteur important est la lassitude de la majorité des pays en développement face à l’arrogance de l’Occident et à son exploitation sous toutes ses formes. Cela est particulièrement évident dans les anciennes colonies européennes et les territoires dépendants. Les élites polonaises, baltes ou ukrainiennes s’identifient à l’Occident, même si elles restent dans ses bas-fonds. Elles peuvent facilement sacrifier leurs pays pour les intérêts des États-Unis. Cela a été clairement dit il y a quelques jours par le président de la Pologne, Andrzej Duda, notant que «l’impérialisme russe peut encore être stoppé à moindre coût parce que des soldats américains ne meurent pas».
Cependant, en pratique, la volonté des Ukrainiens, des Polonais ou des Baltes de se sacrifier ne signifie rien de bon pour les États-Unis et l’Europe. Premièrement, elle montre que le cercle des véritables suicidaires dans la communauté mondiale est assez restreint et qu’on ne trouve guère d’imbéciles sur d’autres continents. Deuxièmement, les suicidaires d’Europe de l’Est sont assez faibles même pour lutter contre la Russie, sans parler de la domination mondiale. Contre la Chine, l’Occident compte sur le Japon. Cependant, la situation n’y est pas si claire, et la montée en puissance de Pékin pourrait bien convaincre Tokyo de ne pas commettre d’erreurs fatales pour lui.
L’absence de victoires marquantes sur la scène internationale et surtout de la volonté de payer généreusement ses alliés conduit à l’affaiblissement du pouvoir de l’Occident dans les affaires mondiales.
Reseau International