Le Mali a demandé, vendredi dernier, par la voix de son ministre des Affaires étrangères, Abdoulaye Diop, à la tribune des Nations unies à New York, le « retrait sans délai » de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali, déployée depuis une décennie dans le pays. La déclaration a suscité des réactions de divers ordres à travers le pays.
“En prenant cette mesure les autorités maliennes n’ont pas pris en compte les intérêts des communautés des régions de Tombouctou, de Gao, de Taoudeni et de Ménaka”, a déploré Boubacar Mahamane Maiga, secrétaire général du collectif “Une voix pour Tombouctou”, précisant que le départ prématuré de la mission onusienne au Mali risque d’être un problème pour les communautés du nord du pays.
Le mouvement Yerewolo (hommes dignes) débout sur les remparts a, pour sa part, salué cette décision des autorités maliennes, a déclaré Sidiki Kouyaté, porte-parole de ce mouvement.
“Depuis 2019, nous nous sommes regroupés pour réclamer le départ de la Minusma”, a-t-il indiqué, soulignant que « cette mission onusienne souffre du manque de vision pour répondre au besoin crucial du peuple malien, à cause du cliché négatif né de pratiques insalubres qui ont émaillé, par le passé, des missions onusiennes en Afrique ».
Pour la société civile de Gao, le retrait de la Minusma risquerait d’augmenter l’insécurité dans cette région du nord du Mali.
Selon Imirana Habiboulaye Cissé, membre de la société civile, « le départ de Barkhane a déjà créé des centaines de chômeurs qui sont aujourd’hui laissés pour compte. C’est ce qui a provoqué une augmentation des enlèvements et de braquages à main armée à Gao. Et si le retrait de la Minusma vient s’ajouter, les réseaux de mafia ne seront que renforcés. D’où notre inquiétude ».
-Un impact sur la mise en œuvre de l’accord pour la paix et la réconciliation issu du processus d’Alger
« Ce retrait aura un impact sur la mise en œuvre de l’Accord pour la paix et la réconciliation issu du processus d’Alger. En somme, ça aura un impact sur l’accord et la population », a alerté Mohamed Elmaouloud Ramadan, porte-parole de la Coordination des mouvements de l’Azawad.
Ramadan précise que les principaux mouvements armés signataires de l’Accord pour la paix et la réconciliation issu du processus d’Alger, regroupés autour de la plateforme du « Cadre stratégique permanent pour la paix, la sécurité et le développement (CSP-PSD) feront une déclaration officielle dans un communiqué sur cette requete des autorités maliennes.
Mohamed Elmaouloud Ramadan précise, en outre, que « même si la Minusma doit partir, ce n’est pas pour le moment », affirmant que son départ doit être préparé, finir avec la mise en œuvre intégrale de l’Accord en créant également les conditions nécessaires pour les populations qui sont aujourd’hui à la merci des dons de la Minusma et des aides au développement de cette mission onusienne ».
-Utilité de la Minusma
« Des gens s’assoient à Bamako en demandant le retrait de la Minusma et les autorités de la transition s’apprêtent à cet exercice. Ce qui prouve que des avis de certains maliens ont primé sur ceux des communautés du nord », regrette Boubacar Mahamane Maiga secrétaire général du collectif Une voix pour Tombouctou.
Ce collectif énumère les secteurs qui ont bénéficié de l’accompagnement de la mission onusienne au Mali. Il s’agit notamment de l’hydraulique, de l’agriculture, de l’élevage, de la pêche, la formation professionnelle, le maraîchage et l’accompagnement des forces de défense et de sécurité du Mali.
Boubacar Mahamane Maiga affirme que la Minusma est même un facteur d’unité nationale et que son éventuel départ privera ces régions d’appui et d’accompagnement au développement local et régional.
– Contribution de la Minusma aux efforts de paix
De son côté Elghassim Wane, chef de la Minusma, a souligné que la mission, comme les autres opérations de maintien de la paix des Nations unies, a vocation à créer les conditions de son départ en aidant le Mali à assurer la sécurité de sa population et de son territoire, ainsi qu’à poser les jalons d’une stabilité durable.
« C’est à cette tâche qu’il importe, plus que jamais, de s’atteler de façon volontariste et dans un esprit de concertation de coopération et de complémentarité », a indiqué Elghassim Wane.
Wane a rappelé que malgré « l’environnement complexe dans lequel la mission opère et les contraintes multiples auxquelles elle est confrontée, y compris les restrictions à la liberté de mouvement, la Minusma s’est employée à mettre en œuvre son mandat de la manière la plus efficace qui soit ».
Il a mis en exergue le soutien au processus de transition, le rôle de la Médiation internationale dirigée par l’Algérie pour faciliter la relance du processus de paix et l’action conduite en appui aux parties pour le maintien du cessez-le-feu.
Le chef de la Minusma a également relevé l’action stabilisatrice de la présence de la Mission dans les centres urbains et les efforts orientés vers la protection des populations civiles, l’aide multiforme apportée aux initiatives, aux efforts de l’Etat malien pour la restauration et l’extension de son autorité, les projets multiples conduits au profit de populations civiles tant dans le centre que dans le nord du pays et la contribution au développement d’infrastructures.
-Instrumentalisation de la Mission onusienne
Selon Abdoulaye Diop, ministre malien des Affaires étrangères et de la coopération internationale « la Minusma semble devenir une partie du problème en alimentant les tensions intercommunautaires exacerbées par des allégations d’une extrême gravité et qui sont fortement préjudiciables à la paix, à la réconciliation et à la cohésion nationale. Cette situation engendre un sentiment de méfiance des populations maliennes à l’égard de la Minusma, et une crise de confiance entre les autorités maliennes et la mission de la paix de l’Onu ».
Bamako réitère sa ferme opposition à toute tentative d’instrumentalisation et de politisation de la question des droits de l’homme et au traitement à géométrie variable de cette problématique.
L’instrumentalisation de l’Onu notamment par la France serait l’une des causes de cette décision des autorités maliennes a indiqué Alpha Alhadi Koïna, géopolitologue et expert des groupes extrémistes au Sahel.
Toutefois, Koïna estime que la position du Mali reste un peu ambigüe sur cette demande du retrait de la mission onusienne, en analysant la déclaration du ministre des Affaires étrangères qui indique que le Mali reste disposé à coopérer avec les Nations unies sur cette perspective.
« Ça pourrait être aussi une pression des autorités maliennes pour que le Mali puisse avoir un peu plus ce qu’il veut », a noté le géopolitologue et expert des groupes extrémistes au Sahel.
– Principe d’acceptation d’une mission onusienne
« L’un des principes fondamentaux de l’intervention des Nations-Unies dans les différents pays, c’est le consentement du pays d’accueil. Pour que les troupes des Nations unies puissent et restent dans un pays, il faut que ça soit accepté par ce pays. Or, déjà, le fait de demander que la Minusma se retire prouve que le Mali n’est plus consentant en ce qui concerne la présence de la Minusma, pour des raisons évoquées par le ministre des Affaires étrangères », a exprimé Bakabigny Keïta enseignant chercheur à l’Université de Bamako et directeur de l’Observatoire du pouvoir et de la société.
Keïta affirme qu’il serait impossible dans cette situation de renouveler le mandat de la Minusma indiquant que le pays pourrait être soutenu par la Russie et la Chine qui disposent du droit de Veto au Conseil de sécurité.
Pour rappel, cette annonce du Mali intervient alors que les Nations unies s’apprêtent, le 29 juin courant, à renouveler le mandat de la Minusma qui expire le 30 juin.
Le Conseil de sécurité avait créé la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (Minusma) par sa résolution 2100, du 25 avril 2013.
La Mission a pour objectif d’appuyer le processus politique et réaliser un certain nombre d’activités de stabilisation concernant la sécurité, prêtera une attention particulière aux principales agglomérations et axes de communication, protégera les civils, surveillera les droits de l’homme, mettra en place les conditions indispensables à l’acheminement de l’aide humanitaire et au retour des déplacés, à l’extension de l’autorité de l’État et à la préparation d’élections libres, ouvertes à tous et pacifiques.
Anadolu Agency