Entre la France et le Burkina, une relation historique en dents de scie

"La France est toujours perçue comme le colonisateur" au Burkina Faso, pointe l'analyste Drissa Traoré.

L’armée burkinabè a annoncé dimanche la fin des opérations de la force française Sabre au Burkina Faso, dernier épisode d’une relation intime et souvent houleuse entre ce pays sahélien et l’ancienne puissance coloniale.

Voici les principaux événements ayant jalonné les relations, en dents de scie, entre les deux pays.

La ” Haute-Volta” et les violences de la colonisation
Le royaume Mossi devient un protectorat français en 1896. Le territoire alors dénommé “Haute-Volta” est intégré à l’Afrique occidentale française.

Au cours de la Première Guerre mondiale, les habitants de plusieurs régions se révoltent contre les recrutements forcés de tirailleurs par l’armée française. Environ 30.000 seront tués. Dans le sillage de plusieurs pays d’Afrique francophone, la Haute-Volta accède à l’indépendance le 5 août 1960.

Sankara, pionnier de la lutte contre la “Françafrique”

Le capitaine Thomas Sankara accède au pouvoir par un putsch en 1983 et instaure un régime d’inspiration marxiste et “anti-impérialiste”. La Haute-Volta devient le Burkina Faso, la “patrie des personnes intègres” et entame sa “révolution”, qui passe par une remise en cause des relations avec la France.

Lors d’une visite du président de la République François Mitterrand en 1986, Thomas Sankara critique violemment la politique française devant les caméras de télévision.

Un an plus tard, le leader révolutionnaire est assassiné avec douze de ses compagnons lors d’un coup d’Etat orchestré par son bras droit, Blaise Compaoré qui prend le pouvoir. L’an dernier, M. Compaoré a été condamné par contumace par la justice burkinabè à la prison à perpétuité pour son rôle dans cette affaire.

“Jusqu’à aujourd’hui, pour une bonne partie de l’opinion burkinabè, l’assassinat de Sankara a été orchestré depuis le fameux séjour de Mitterrand au Burkina Faso”, rappelle l’expert burkinabè en relations internationales Oumarou Paul Koalaga.

“Parmi ceux qui se définissent aujourd’hui comme des révolutionnaires, beaucoup attendaient de prendre une revanche sur cette partie de l’histoire”, souligne-t-il à l’AFP. Entre 2018 et 2021, la France avait transmis à la justice burkinabè des documents déclassifiés sur cet assassinat.

La parenthèse dorée Compaoré

A son arrivée au pouvoir, Blaise Compaoré entame une normalisation des relations avec l’ex-puissance coloniale. Il est élu pour la première fois à la présidence de la République en 1991, malgré une faible participation (25%).

Peu de temps après sa réélection en 1998, le célèbre journaliste Norbert Zongo est assassiné alors qu’il enquêtait sur la mort du chauffeur de François Compaoré, le frère du président. Un crime qui soulève une vive émotion et entraîne des manifestations dans tout le pays.

“L’assassinat de Norbert Zongo ou de Thomas Sankara étaient des dossiers emblématiques en matière de droits humains et on n’a pas senti de soutien véritable de la France”, souligne l’analyste Oumarou Paul Koalaga.

Après 27 ans de règne, Blaise Compaoré est finalement contraint de quitter le pouvoir par une insurrection populaire en 2014. A l’aide de moyens militaires français, il est exfiltré vers la Côte d’Ivoire voisine, où il vit toujours.

“Pour une certaine opinion, c’est une complicité manifeste, et ça fait partie de certains éléments de justification des rapports difficiles avec la France qui existent aujourd’hui”, résume Oumarou Paul Koalaga.

La difficile lutte contre le terrorisme

Dès 2008, des soldats français prennent position au Burkina Faso. Les premières attaques jihadistes frappent le pays en 2015. L’une d’entre elles vise en mars 2018 l’ambassade de France à Ouagadougou, tuant huit militaires burkinabè.

L’insécurité grandissante conduit de nombreux expatriés français à quitter le Burkina Faso. Depuis 2015, les groupes jihadistes progressent sur le territoire et multiplient les attaques contre les forces burkinabè et les exactions contre les populations civiles.

“La France est toujours perçue comme le colonisateur qui, malgré la présence d’une force spéciale, peine à aider le Burkina pour mettre fin aux attaques terroristes. Rester sous cette coupe est perçue par les jeunes comme une soumission qui perdure”, pointe l’analyste Drissa Traoré.

Le coup d’État d’Ibrahim Traoré, nouvelle rupture

Le 30 septembre 2022, le capitaine Ibrahim Traoré prend le pouvoir par un putsch, soutenu par une large frange de la jeunesse qui exige une remise en question du partenariat avec l’ancienne puissance coloniale.

En janvier 2023, la France rappelle son ambassadeur au Burkina Faso, Luc Hallade, sur demande des autorités burkinabè. Dans la foulée, le régime de Ouagadougou donne un mois aux forces françaises pour quitter le pays.

“Il existe des raisons légitimes de critiquer la politique française, mais pour les dirigeants, notamment le régime actuel, il suffit d’exhiber quelques situations, de dire qu’on est pro-Sankara et révolutionnaire, pour créer une certaine adhésion au sein de l’opinion. C’est devenu un fond de commerce, et ça fonctionne”, estime l’analyste Oumarou Paul Koalaga.

 Source: Voa Afrique