Au cours du colloque qui s’est tenu à Libreville les 17 et 18 novembre derniers sur la monnaie et le développement en Afrique centrale, les enseignants d’université, économistes et autres acteurs de la société civile de la zone Cemac ont globalement penché pour une réforme « profonde » du FCFA.
« Je crois qu’il est apparu de manière assez claire de ces travaux que la coopération monétaire avec la France mérite d’être reformée. Maintenant, au niveau du sens de la réforme, les avis bien évidemment sont partagés. Il y en a qui se contenteraient par exemple d’une réforme même simplement de l’appellation vu la charge symbolique qui est autour de ce nom. Mais, pour la grande majorité, la réforme ne devrait pas se limiter à un changement de nom. Il faudrait une réforme profonde », a expliqué le professeur Alain Kenmogne Simo, agrégé des facultés de droit.
Parité avec l’euro
Avec cette réforme en gestation, l’on pourrait s’attendre par exemple en plus du changement de nom à la mise en place d’une nouvelle politique de change. Il est notamment proposé de quitter la parité fixe avec l’euro pour une option intermédiaire. « Entre le taux de change flottant et le taux de change fixe, il y a une panoplie de politiques de change intermédiaires. En réalité, nous tendons vers une politique intermédiaire et non plus sur l’arrimage à l’Euro qui pour nous est déjà dépassé. Dépassé parce que nous avons de nouvelles ambitions, une nouvelle stratégie de développement, parce que l’environnement international a également changé », explique le professeur Gabriel Zomo, professeur titulaire à l’Université Omar Bongo de Libreville et responsable des Masters Banque et finances à l’UOB.
Pour cet économiste, les échanges de la Cemac (Cameroun, Centrafrique, Congo, Gabon, Guinée Équatoriale et Tchad) avec la France constituaient, au moment de l’adoption du FCFA comme monnaie, une grande part du commerce extérieur des pays de la zone. Or, aujourd’hui, les partenaires économiques de la zone sont assez diversifiés, avec des échanges qui ont considérablement accru ces dernières années avec la Chine et d’autres pays asiatiques. Dans un tel contexte, « le fait de limiter nos réserves à une seule monnaie nous empêche de gagner en flexibilité contrairement à la diversification des réserves. Les réserves devraient normalement être constituées en fonction de la densité d’échanges qu’on fait avec les partenaires. Ça veut dire qu’aujourd’hui, la Chine, le Brésil, la Turquie se positionnent, et donc, pourquoi constituer nos réserves seulement en euros », s’interroge Dieudonné Mignamissi, agrégé des sciences économiques. Il poursuit : « Les réserves servent justement à faciliter les échanges avec les pays étrangers. Donc, si on avait des réserves en monnaie chinoise, une partie en dollars, une autre en euros… on aurait à mon avis plus de flexibilité en matière de politique commerciale avec les partenaires commerciaux étrangers ».
Par ailleurs, pour le professeur Gabriel Zomo, les pays de la zone devraient chercher à avoir un taux de change faible au vu de la qualité de produits qu’ils proposent sur le marché international. « En général, quand on est spécialisé dans des produits de haute intensité technologique, on a tendance à avoir un taux de change fort. C’est le cas de l’Allemagne. Mais, quand on a des produits bas de gamme, on a tendance à chercher un taux de change plus faible parce qu’il faut vendre. C’est pourquoi l’arrimage à l’euro pose problème. Car, on a une surévaluation tendancielle, alors que nous avons des produits “de bas de gamme” ».
La bonne gouvernance
Cependant, les économistes et autres acteurs de la société civile pensent qu’il ne faudrait pas se limiter à une réforme du FCFA. Car, « quel que soit le nom ou la réforme monétaire que l’on mettrait en place, si elle n’est pas accompagnée des réformes au niveau de l’action publique, des réformes économiques, elle ne nous ferait pas avancer sur le chemin du développement comme on le souhaite. Donc c’est vraiment un ensemble de réformes qu’il faudrait faire à côté de la réforme monétaire », a affirmé le professeur Alain Kenmogne Simo. Et Geoffroy Foumboula Libeka, membre du Copil citoyen, mouvement de la société civile gabonaise d’ajouter que, « le plus important n’est pas le changement de monnaie. Tant qu’il n’y aura pas de discipline, du point de vue de la gestion de nos budgets, des sanctions sur les détournements de fonds publics, on peut changer autant de monnaie qu’on veut, on peut donner n’importe quel nom à notre monnaie, mais rien ne changera. La priorité c’est la bonne gouvernance ».
Créé en 1945, le FCFA renvoie aux colonies françaises puisqu’il signifiait « Franc des colonies françaises d’Afrique ». Ce nom a évolué depuis novembre 1972 pour devenir Franc de la coopération financière en Afrique centrale. La réforme exigée par les chefs d’État de la zone depuis 2019 se rapporte à l’évolution des principaux mécanismes actuels de la coopération monétaire avec la France à savoir : la garantie de convertibilité illimitée de la monnaie émise par le Beac, le FCFA, par la France ; la fixité du taux de change ; la liberté de transfert entre les pays membres de la BEAC et la France ; la centralisation des réserves auprès d’un Compte d’opérations ouvert au trésor français.
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