L’Algérie a annoncé, le 7 novembre courant, l’introduction de sa demande d’adhésion au groupe des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud). Aussitôt confirmée, l’information a suscité une multitude de réactions dans le pays. Il y a eu de tout : de l’euphorie de certains, au grincements des dents chez d’autres, sans oublier les interrogations sur l’intérêt d’une telle démarche, soulevée par des parties à l’intérieur du pays.
Les experts réagissent plutôt à chaud. Ils ont été surpris par une telle décision. L’idée n’a été évoquée, plus comme un souhait, par le président algérien, Abdelmadjid Tebboune, qu’en juillet dernier. Et c’est une première depuis l’indépendance du pays qu’un haut responsable affiche un tel vœu d’intégrer un ensemble économique international, en dehors des coalitions régionales et locales habituelles, dont les résultats sont peu convaincants.
Le souhait du chef de l’Etat algérien prend vite la forme d’un « projet géostratégique ». Et les autorités algériennes ont accéléré le processus en déposant officiellement une demande d’intégration à cet ensemble qui pourrait s’appeler, probablement dans un avenir proche, « BRICSA », dont le ‘’A’’ reviendra à l’Algérie.
Plus plausible, d’autant que deux chefs de file de ce club restreint, en l’occurrence la Russie et la Chine, se sont déjà montrés favorables à cette adhésion. En attendant de connaître le sort qui sera réservé à la demande d’Alger, la démarche continue de susciter un débat animé parmi les experts algériens. Les économistes sont partagés, tout en partant de la même problématique : L’Algérie est-elle prête économiquement à intégrer cet ensemble ? Qu’a-t-elle à gagner ?
– « Positionnement sur l’échiquier mondial »
Interrogé par l’Agence Anadolu, Abdelghani Ben Amara, économiste et enseignant à l’université de Batna (est algérien), estime que la « demande de l’Algérie est motivée par un objectif politique et géostratégique ». Rappelant le poids économique des BRICS, dont la participation à la croissance économique mondiale sera de 40% en 2025, notre interlocuteur affirme qu’à travers ce choix, l’Algérie « renforcera son positionnement sur l’échiquier mondial ». Comment ? L’expert répond : « A travers son statut de puissance africaine et méditerranéenne, située en pivot entre l’Asie et l’Amérique du Sud, l’Algérie pourrait renforcer son positionnement sur l’échiquier mondial et amorcer sa mue grâce au Brain drain (le cas de la diaspora algérienne). Sur le plan de l’innovation et de la technologie, l’Inde et la Chine ont su tirer parti des nouvelles technologies, ce qu’on appelle les ‘’avantages des retardataires’’. Ils ont eu une marge d’innovation importante et ont court-circuité les étapes du développement en adoptant des technologies récentes. Nous retrouvons aussi les nouvelles technologies dans les transferts de technologie qui sont en partie responsables du succès de la Chine », explique-t-il.
Pour tirer profit de ce bloc, précise-t-il, « l’Algérie doit intensifier sa politique de développement du numérique et des nouvelles technologies ». « Les compétences sont là ! L’Algérie dispose d’une main-d’œuvre qualifiée, peut créer des opportunités, notamment avec sa proximité avec l’Europe. Il y aussi l’essor des échanges intra-BRICS, qui sont très importants, où la Chine joue un rôle majeur. L’Algérie pourra intégrer ces marchés dans la perspective d’une formidable opportunité d’intégration économique mondiale », soutient-il, ajoutant que le pays « dispose d’un atout majeur : sa puissance énergétique… et son statut de partenaire privilégié pour l’équilibre géopolitique régional et européen ».
– « Une précipitation »
Conseiller en management, Mohamed Saïd Kahoul se montre, quant à lui, moins euphorique. « Les crises mondiales se sont succédé, après la crise sanitaire et le début d’une reprise est venue se greffer une crise politique régionale enfonçant le monde dans une grave crise géopolitique que les pays sous-développés telle que l’Algérie subissent sans que personne ne puisse imaginer les vraies conséquences de la sortie. Je trouve qu’il y a eu une précipitation dans cette demande d’adhésion », déclare-t-il au média algérien, Algérie Invest.
Il souligne notamment l’absence d’une définition concrète et mesurable des objectifs de cette adhésion. « Les conditions d’intégration n’ont jamais été définies par ce groupe pour pouvoir déterminer si l’Algérie est éligible ou pas, à moins que le critère idéologique suffise pour être membre et là je crois bien que l’Algérie remplit bien les conditions », souligne-t-il.
Analysant le poids des BRICS, Mohamed Saïd Kahoul fait remarquer que « l’économie des membres de ce club est fortement dépendante de l’investissement et de la consommation des pays occidentaux et il n’y a aucune intégration interne entre les pays membres à l’exception d’une banque de 100 milliards de dollars ».
« L’adhésion de l’Inde s’inscrit beaucoup plus dans une démarche de rivalité avec la Chine. D’ailleurs, sa condition pour que le siège de la banque soit en Chine fut que le vote soit à une seule voie, bien que la Chine détient 40% de cette Banque. Si on veut se faire une bonne idée sur l’absence d’une intégration économique entre ces pays, il suffit de regarder le niveau des échanges entre eux », relève-t-il.
Affirmant que les rapports historiques de l’Algérie avec les pays du BRICS faciliteront son intégration de ce Club, l’expert pense, toutefois, que le pays n’aura pas grand-chose à gagner. « Nos balances commerciales avec les cinq membres sont négatives. Peut-on espérer équilibrer ou renverser cette balance par l’intégration de ce club ? Je doute fort, parce que non seulement nous n’avons pas leur diversification, ni leurs capacités de production et eux-mêmes se cherchent des marchés pour leur produits. Le temps marin d’au moins un mois (le voyage maritime entre la Chine et l’Algérie, NDLR) nous pénalise par ses coûts », dit-il.
– « Prestige diplomatique »
Nazim Sini, analyste économique et conférencier, voit, pour sa part, un avantage pour l’Algérie en adhérant aux BRICS. Dans une déclaration à une chaîne de télévision algérienne, cet enseignant d’économie en France souligne d’abord que cette demande officielle « peut paraître prématurée, mais elle intervient au contraire au bon moment ». « Surtout dans le contexte de tension que l’on connaît actuellement (crise en Ukraine, NDLR). Le choc énergétique que nous vivons actuellement rebat les cartes des sphères d’influences. L’Algérie devient naturellement un candidat crédible pour intégrer les BRICS », indique-t-il.
Et d’ajouter : « Il faut rappeler que cette demande intervient à un moment où nos fondamentaux macroéconomiques sont solides, notre environnement des affaires plus propice et surtout nous sommes l’un des rares pays à n’avoir aucun endettement extérieur. Ce qui renforce notre souveraineté. Nous représentons véritablement la puissance économique émergente en Méditerranée ».
Selon lui, « l’intérêt principal pour l’Algérie est le prestige diplomatique et politique qu’elle pourrait tirer si elle devait intégrer ce cercle prestigieux ». « L’Algérie bénéficierait d’un sacré coup de projecteur sur ses atouts et son potentiel économique. Elle pourrait multiplier par 7 ou 8 les IDE (investissements directs étrangers) » , indique-t-il.
Anadolu Agency