Le retour de la Libye à la monarchie constitutionnelle : est-ce une option réaliste? (Analyse)

Avec l’accroissement de la déception dans les rangs des Libyens, après l’échec de la classe politique à élaborer et à adopter une Constitution permanente pour le pays, pour mettre fin aux différentes phases transitoires, les voix des personnes appelant au rétablissement de la monarchie constitutionnelle s’élèvent de plus en plus haut, d’autant plus que durant ce régime, le pays a connu une stabilité, ce qui suscite la nostalgie d’une partie du peuple libyen.

En effet, l’échec de la rencontre de Genève, qui avait réuni Aguila Salah, président de la Chambre des députés de Tobrouk avec Khaled Mechri, président du Haut Conseil d’État (législatif consultatif) avait consolidé la position des personnes favorables au rétablissement de la monarchie constitutionnelle et à la Constitution de l’Indépendance (1951), texte amendé en 1963.

Aguila Salah et Khaled Mechri n’étaient pas parvenus à un accord au sujet du processus constitutionnel.

Bien que ces appels n’étaient pas considérés avec sérieux, après la chute du régime de Mouammar Kadhafi, en 2011, il n’en demeure pas moins qu’une décennie plus tard, l’échec des partenaires de la Révolution et des protagonistes de la patrie à adopter une constitution permanente, voire provisoire, pour organiser des élections législatives et présidentielle, a accordé, récemment, à cette option un accueil favorable, même parmi les élites les plus libérales.

** L’impasse sert la Monarchie

Les sympathisants de la monarchie constitutionnelle s’activent dans le cadre de la « Conférence nationale du rétablissement de la Constitution de l’Indépendance et du retour à la monarchie constitutionnelle en Libye ». Ils considèrent Mohamed Senoussi comme étant l’héritier légitime de la famille royale libyenne, après que son père Hassan (le prince-héritier) l’a désigné comme chef de la « Maison royale », avant son décès en 1992.

La Conférence du rétablissement de la monarchie a annoncé la tenue d’une série de rassemblement dans plusieurs villes de la région ouest du pays, à l’instar de Tripoli, de Misrata et de Tarhouna.

Les trois villes qui ont permis aux sympathisant du rétablissement de la monarchie constitutionnelle de tenir leurs rencontres sont toutes situées dans la région australe, ce qui reflète les difficultés auxquelles ils font face dans la région méridionale dominée par les forces de Khalifa Haftar, bien que l’annonce de la naissance du Royaume Libyen Uni se fût faite à Benghazi, capitale de l’est libyen.

Ces conférences ne sont pas les premières du genre qui ont été organisées, dans la mesure où elles ont été précédées par une Conférence à Tripoli en 2018 et deux autres dans les villes de Gharian (ouest) et d’al-Baidha (est) en 2017.

Auparavant, en 2016, un groupe de personnalités politiques et de notables des tribus ont lancé ce qu’ils avaient appelé le « Hirak du rétablissement de la monarchie de la légitimité constitutionnelle », en tenant une série de manifestations dans les villes de Tripoli (ouest) et de Benghazi et d’al-Baidha (est).

Le soutien apporté à la monarchie constitutionnelle ne s’est pas limité aux notables de tribu mais s’est élargi au « Forum Unioniste fédéral », qui dispose d’une représentation au sein de la Chambre des députés de Tobrouk et qui avait demandé, en 2015, au Parlement d’entériner le texte de la Constitution de l’Indépendance.

Au cours de la même année, des membres de l’Instance de la rédaction de la Constitution avaient réclamé le rétablissement de la Constitution de 1951, dans le cadre de la monarchie, tout en amendant certains de ses articles, au lieu et place de rédiger une nouvelle constitution.

Toutefois, l’Instance de rédaction de la Constitution est parvenue à rédiger un draft de la nouvelle Constitution en 2018, qui n’a pas encore été soumis jusqu’à présent au référendum populaire pour adoption en raison de la scission au sujet de certains de ses articles. La non-tenue du referendum a renforcé la position des parties appelant au retour de la Constitution de 1951, afin de sortir de la crise politique et d’éviter l’ornière.

En 2012, une année après la chute du régime de Kadhafi, des milliers de citoyens se sont rassemblés dans la ville d’al-Baidha, et à leur tête des chefs de tribus, pour appeler au rétablissement de la Constitution de l’indépendance et réactiver l’article 188 de ce texte, qui dispose que Benghazi et Tripoli sont les deux capitales de l’Etat libyen.

Les partisans du retour à la monarchie constitutionnelle ne sont pas seulement des chefs de tribus, qui sont des nostalgiques du « bon vieux temps », mais aussi des personnalités politiques et partisane et des intellectuels, dont des députés et d’anciens hauts responsables.

Effectivement, des personnes qui ont leur poids sur la scène libyenne ont été convaincus que l’unique voie de sortie de l’impasse politique actuelle est tributaire d’un retour à la Constitution élaborée par les « Pères fondateurs » de l’Etat libyen, afin de sauver le pays de la scission et de l’émiettement, en se basant sur des expériences étrangères similaires à l’instar de celles de la Jordanie, du Maroc, voire du Cambodge.

** Le sauveur de l’anarchie

Les sympathisants de la monarchie constitutionnelle estiment que ce régime est garant de l’unité du pays et son sauveteur de l’anarchie et du morcellement.

Comme la famille Senoussi, d’origine algérienne, avait constitué une solution médiane pour les tribus libyennes qui se disputaient le pouvoir avant l’indépendance, la même famille et, partant, la monarchie, pourrait jouer ce même rôle en cette phase critique pour unifier la Libye, toutes tribus et appartenances confondues, selon ce point de vue.

La force de la famille Senoussi n’est pas fondée sur une puissance militaire, qu’elle soit intérieure ou extérieure, ni à aucune grande tribu, mais consiste plutôt en sa capacité à unifier les différentes tribus protagonistes sous une même bannière.

Certains s’emploient à recourir à la Constitution de l’indépendance pour traverser cette phase transitoire en amendant certains de ses articles, afin de les ajuster à la nature de l’étape actuelle, jusqu’à parvenir à l’établissement d’un Régime républicain.

L’Algérie a été la première partie qui a soumis une telle proposition, il y a de cela plusieurs années, pour surmonter la problématique d’absence de consensus au sujet d’une Constitution pour organiser les élections.

Un autre camp estime que qu’il est possible d’adopter la Constitution de l’Indépendance sans introduire aucun amendement nouveau, dans la mesure où il s’agit d’un « document intangible », ce qui permettra ainsi le rétablissement de la monarchie constitutionnelle.

Cet avis est soutenu par l’ancien ministre libyen des Affaires étrangères, Mohamed Abdelaziz, (2012 -2014) qui a déclaré que le « retour de la monarchie Senoussi représente la solution et la garantie du rétablissement de la sécurité et de la stabilité dans le pays ».

** Un Hirak sans poids militaire

Malgré la hausse récente des voix appelant au retour de la monarchie constitutionnelle, situation motivée par la déception et l’impression que le pays ne pourra pas sortir de la crise politique dans laquelle il s’est enlisé, il n’en demeure pas moins que les chances du prince Mohamed Senoussi d’accéder au trône sont encore minces.

En effet, les forces dominantes sur le terrain, représentées par les forces de Haftar dans l’est et dans le sud, et les phalanges de la région ouest aux multiples tendances et loyautés, et dont aucune ne soutient l’idée de la monarchie constitutionnelle et rejette aussi de recourir à la constitution de l’Indépendance.

Haftar, à titre d’exemple, qui a participé au coup d’Etat fomenté en 1969 contre le Roi Idriss 1er, en compagnie de Mouammar Kadhafi, ne pourra pas accepter le retour du régime monarchique.

De même, il est peu probable que Abdelhamid D’beibah, actuel Chef du gouvernement d’Union nationale à Tripoli, qui s’est engagé à ne remettre le pouvoir qu’à un gouvernement élu, accepte le retour de la monarchie sauf s’il obtient des garanties d’être maintenu au pouvoir, dans la mesure où les prérogatives du roi sont très limitées et que le pouvoir exécutif est détenu par le Chef du gouvernement.

De plus, parmi les difficultés qui risquent d’entraver le rétablissement de la monarchie constitutionnelle est le fait que le prince Mohamed Senoussi est dépourvu de la popularité dont bénéficiait le roi Idriss Ier et les symboles de la famille Senoussi, dont son aïeul, Mohamed Ben Ali Senoussi, (né en 1787 à Mostaganem dans l’ouest de l’Algérie), fondateur de la Confrérie Senoussiyya dans la ville d’al-Baidha en 1843 et Ahmed Cherif Senoussi, un des dirigeants de la résistance libyenne contre l’occupation italienne.

Ajoutons à cela que les jeunes nés après la chute de la monarchie (1969) n’ont pas connu cette époque et ainsi ils n’ont aucune nostalgie pour cette ère.

Sur le plan international, aucun pays n’a annoncé son soutien au retour de la monarchie constitutionnelle en Libye. Même l’Algérie, qui avait suggéré de recourir de manière provisoire à la Constitution de l’indépendance afin de surmonter le blocage n’a en aucun cas annoncé ou fait allusion d’une manière ou d’une autre au rétablissement de la monarchie.

Bien que le prince Mohamed Hassan Senoussi ait été accueilli au parlement européen en 2011, après la chute du régime de Kadhafi, il n’a reçu le soutien d’aucun pays européen pour le rétablissement du régime monarchique en Libye. Cependant, plusieurs médias occidentaux ont commencé par soumettre sérieusement cette option compte tenu du blocage actuel et des horizons bouchées.

Anadolu Agency