Le récent incident militaire entre Soudan et Ethiopie dans la zone d’Al-Fashaga est un nouvel épisode d’un contentieux frontalier vieux de plusieurs décennies autour de terres fertiles, qui fait peser la menace diffuse d’une escalade entre deux puissances régionales.
L’Union africaine et l’organisation est-africaine Igad ont fait part de leur inquiétude et le Premier ministre éthiopien Abiy Ahmed a appelé son pays et le Soudan « à garder leurs nerfs » en affirmant ne pas vouloir la guerre avec son voisin.
– Quel est l’origine du contentieux? –
Les tensions soudano-éthiopiennes autour d’Al-Fashaga, zone agricole de 1,2 million d’hectares, remontent au milieu du XXe siècle.
La frontière entre les deux pays est définie dans un accord signé en 1902 entre l’empereur d’Ethiopie Menelik II et l’autorité coloniale britannique gouvernant le Soudan à l’époque. Il place Al-Fashaga dans l’Etat soudanais du Gedaref, mais Addis Abeba revendique depuis des années une bande frontalière d’environ 250 km2.
Plusieurs pourparlers entre Khartoum et Addis-Abeba pour démarquer clairement la frontière sont restés infructueux.
Depuis longtemps, des centaines de paysans éthiopiens se rendent dans ce territoire situé entre les rivières soudanaises Setit et Atbara, pour cultiver des terres pendant la saison des pluies, malgré les tentatives des forces soudanaises de les en empêcher.
A partir de 1995, les forces soudanaises se sont retirées de la zone contestée sur fond de détériorations des relations avec l’Ethiopie qui accusait Khartoum d’être derrière une tentative d’assassinat à Addis Abeba du président égyptien Hosni Moubarak. Et l’Ethiopie a autorisé les paysans éthiopiens à s’y établir.
Pendant plus de deux décennies, des milliers de cultivateurs éthiopiens se sont donc installés dans la région, cultivant et payant des impôts à l’Etat éthiopien. Dans les années 2000, un modus vivendi entre Addis Abeba et Khartoum avait entériné cette situation.
– Pourquoi un retour des tensions? –
Les troupes soudanaises sont restées hors de la zone jusqu’au déclenchement, en novembre 2020, du conflit dans le nord de l’Ethiopie entre le gouvernement fédéral et les autorités de la région du Tigré.
Plus de 60.000 Ethiopiens ont fui le Tigré en guerre et trouvé refuge dans l’Etat soudanais du Gedaref.
L’armée éthiopienne étant tournée vers le Tigré, le Soudan a envoyé des soldats à Al-Fashaga pour, selon les médias officiels à l’époque, « reconquérir les territoires volés et prendre position sur les frontières internationales ».
Depuis, les accrochages frontaliers, parfois mortels, se sont multipliés, faisant monter la tension entre les deux voisins.
Dernier incident en date, l’armée soudanaise – au pouvoir au Soudan depuis un putsch en octobre 2021 – a accusé l’armée éthiopienne d’avoir exécuté le 22 juin sept de ses soldats et un civil capturés en territoire soudanais.
Les autorités éthiopiennes ont démenti, accusant au contraire les forces soudanaises d’avoir pénétré en territoire éthiopien et provoqué un accrochage – mortel dans les deux camps – avec une milice locale.
Les deux pays font face à d’importants problèmes internes et « les accrochages sporadiques comme ceux-là permettent aux deux régimes de rallier les sentiments nationalistes », a expliqué à l’AFP Ben Hunter, analyste Afrique à l’institut d’évaluation des risques Verisk MapleCroft.
A Khartoum, le régime militaire du général Abdel Fattah al-Burhane est contesté par la rue.
A Addis Abeba, M. Abiy veut négocier la paix au Tigré, suscitant le mécontentement de ses alliés politiques et militaires de la région Amhara, d’où viennent nombre de paysans éthiopiens installés à Al-Fashaga, zone que les nationalistes amhara considèrent comme leur appartenant.
– Le différend peut-il dégénérer? –
Si le ton – belliqueux – est monté ces derniers jours entre les armées de deux pays les plus peuplés de la Corne de l’Afrique, les analystes estiment qu’aucun des deux ne peut se permettre une guerre ouverte.
« Une guerre frontalière n’est dans l’intérêt stratégique ni de Khartoum ni d’Addis Abeba », explique Ben Hunter.
Les deux pays font face à une grave crise économique, à une situation humanitaire – notamment alimentaire – catastrophique et à des violences internes meurtrières.
Toutefois, « les pressions intérieures rendent particulièrement difficiles des concessions de la part des dirigeants éthiopien comme soudanais » sur Al-Fashaga et « aucune partie ne semble prête à céder », notait récemment l’International Crisis Group (ICG).
La crise frontalière s’ajoute au grave différend à propos du Gerd, le Grand barrage de la Renaissance éthiopienne qu’Addis Abeba a construit sur le Nil-Bleu et qui suscite la colère du Soudan, mais aussi de l’Egypte, riverains du Nil en aval qui craignent pour leur approvisionnement en eau.
Et les tensions actuelles entre Ethiopie et Soudan « sont susceptibles de s’aggraver quand l’Ethiopie entamera le troisième remplissage du barrage en août », selon Ben Hunter.
Dans ce contexte tendu, les analystes n’excluent pas une escalade accidentelle, susceptible, selon ICG, de « déclencher une conflagration régionale ».
SUNU Afrik