« L’Afrique subit de plein fouet cette guerre en Ukraine », selon Macky Sall, président en exercice de l’Union africaine et président du Sénégal.
La guerre en Ukraine provoque à la fois un choc inflationniste, mais aussi une raréfaction des céréales et des engrais. Ses effets risquent de se prolonger durant toute l’année et de frapper gravement des pays déjà éprouvés par la pandémie. Plusieurs pays ont déjà pris des mesures pour tenter de limiter les conséquences.
♦ En Côte d’Ivoire, des inquiétudes sur l’inflation
Comme le reste du monde, la Côte d’Ivoire est confrontée à une tendance inflationniste. Face à la grogne en raison à la hausse des prix qui couve depuis des mois, des mesures avaient été prises l’an dernier. Mais du fait de la guerre en Ukraine, ces mesures ont été amplifiées. Huile, riz, pâtes, tomate concentrée, viande de bœuf, sucre, lait, ont vu leur prix plafonné pour au moins trois mois. Une vingtaine d’autres biens de consommation ont été mis sur la liste des prix réglementés. Certains produits vivriers sont même interdits d’exportation.
Le gouvernement l’assure : pour décréter ces mesures il a tenu compte des stocks sur le marché ivoirien et a de quoi voir venir sur les trois prochains mois. Des mesures d’urgence déjà prises d’ailleurs ces derniers mois pour enrayer une tendance inflationniste, mais cette fois, l’envolée des cours du blé ou du pétrole en raison de la guerre en Ukraine inquiète dans un pays gros consommateurs de pain et ou le litre de carburant, fixé chaque début de mois, tourne actuellement autour dans les 630 francs CFA.
« C’est vrai que sur le blé, on a quelques inquiétudes puisque nos approvisionnements de nos meuniers sur l’Ukraine la Russie sont appréciables, mais il y a quand même la France qui est un important approvisionnement pour les meuniers ivoiriens. C’est surtout à partir des mois de mai-juin que nous avons quelques préoccupations. Pour le moment, le marché est stabilisé, mais nous sommes dans une démarche prospective. Sur le carburant, il y a une subvention de 55 milliards de francs CFA qui permet donc de stabiliser le prix du gazole entre le mois de janvier et le mois de mars 2022 », explique Aimé Koizan, directeur général du commerce intérieur au ministère du Commerce.
Du côté des organisations de consommateurs, on salue les mesures du gouvernement, à l’image de Jean-Baptiste Koffi, président de la Confédération des organisations de consommateurs (Coc-Ci) : « Si l’inflation continue, chaque État a l’obligation de protéger ses concitoyens, de maintenir la paix sociale, de maintenir aussi le pouvoir d’achat d’un consommateur. Nous comptons également sur notre gouvernement pour nous protéger, parce que si le prix du baril continue de grimper, il y aura certainement des mesures qui seront prises. »
Selon le ministère du Commerce, l’inflation est « contenue » en Côte d’Ivoire. Elle était de 4,3%, avant la crise ukrainienne.
♦ Au Bénin, un soutien de 80 milliards de francs CFA
Le Bénin est un pays qui importe beaucoup. Face à une flambée conséquente des prix, le gouvernement a annoncé mercredi après le Conseil des ministres une série de mesures pour contrecarrer les effets collatéraux du conflit russo-ukrainien. Elles vont de la baisse ou du maintien de prix de certains produits de grande consommation à des exonérations. Le gouvernement évalue ce « soutien » aux populations à 80 milliards de francs CFA (12 millions d’euros environ). Les mesures sont prises pour une durée de trois mois.
Les produits concernés sont le riz, le blé, l’huile végétale, le gazole et le ciment. Leur prix de vente a connu une véritable envolée. Il y a quelques jours, l’association des consommateurs a appelé le gouvernement au secours et les syndicats ont manifesté.
Parmi les annonces, le prix du sac de 50 kilos de riz baisse de 2 000 francs CFA, les huiles végétales et la farine blé importés sont exonérés des 18% de TVA. Du coup, le gouvernement demande aux boulangers de ne pas majorer le prix de la baguette de pain. Deux autres mesures fortes : le réajustement des tarifs de l’électricité est suspendu et le prix de la tonne de ciment n’augmente pas.
Les stations-services sont aussi touchées. Difficile de se procurer du gazole depuis le début de la semaine. L’exécutif annonce avoir constitué un stock de carburant, et maintient le prix du litre à 600 francs CFA (0,92 centime d’euros).
Les Béninois attendent de voir si lesdites mesures seront appliquées, le Conseil des ministres demande de punir les contrevenants. Les partisans de Patrice Talon se réjouissent, leur champion a toujours été accusé de négliger le social.
♦ Au Nigeria, la crainte d’une pénurie d’engrais
Grosse inquiétude sur la disponibilité des engrais agricoles après l’invasion russe en Ukraine puisque les belligérants sont les principaux fournisseurs d’urée, de potasse et de phosphate au monde, des composants essentiels pour la fabrication de produit fertilisant. Au Nigeria, les agriculteurs peuvent tout de même compter sur l’inauguration cette semaine d’une immense usine d’engrais à Lagos, qui pourra pallier en partie le risque de pénurie.
Les prix des produits fertilisants avaient déjà explosé durant la pandémie mondiale de Covid-19 et ils vont certainement repartir à la hausse en raison de la guerre en Ukraine. Les fermiers nigérians risquent de souffrir plus particulièrement de la flambée des prix des engrais NPK à base de potasse.
En revanche, le Nigeria a une longueur d’avance dans la production des engrais à base d’ammoniaque et d’urée, dont il est le premier producteur africain. Ce mardi, le président nigérian Muhammadu Buhari a inauguré la toute nouvelle usine d’engrais du milliardaire Aliko Dangote, à Lagos.
Cette infrastructure de 500 hectares, et qui a coûté 2,5 milliards de dollars, a une capacité de production de trois millions de tonnes métrique d’urée granulée. Alors que le Nigeria en consomme moins d’1,5 tonne par an.
Lors de l’inauguration, Aliko Dangote a notamment affirmé qu’avec la crise ukrainienne, son groupe n’a que l’embarras du choix pour l’exportation de son engrais. Avec des demandes venues d’Inde, du Brésil et des États-Unis notamment.
♦ En RDC, limiter l’impact de la hausse des prix de l’essence
Les prix du pétrole sont passés au-dessus du seuil des 120 dollars le baril. En RDC, le pays s’attend également à des effets de cette crise particulièrement dans le secteur des hydrocarbures et sur les prix du blé.
La RDC importe plus qu’elle n’exporte les produits pétroliers. Le pays est donc dépendant du moindre choc extérieur comme c’est le cas actuellement. Qui plus est, le gouvernement n’avait pas prévu de ressources budgétaires pour faire face à la hausse des prix à l’international.
En cause, entre autres, une politique d’intervention régulière de l’État qui montre ses limites pour Al Kitenge, analyste économique : « L’erreur de la RDC est d’avoir un prix subventionné pour soulager les citoyens. Ceci tient quand vous avez un matelas important et le nôtre commence à s’effriter. Il est donc important que la RDC ait recours à ce qu’on appelle la vérité des prix. »
Selon les sources au ministère des Finances, 85 millions de dollars avaient été budgétisés dans le cadre de la subvention pour les produits pétroliers cette année. « Or, au rythme actuel de la hausse des prix à l’international, si on veut maintenir la stabilité des prix en RDC, on sera autour de 400 millions de dollars à dépenser. Ce que nous n’avons pas », expliquent ces mêmes sources.
Al Kitenge suggère au gouvernement dans ce cas, de prendre des décisions courageuses. Cela passe par la hausse du prix à la pompe : « Il faut qu’on ait la capacité d’expliquer aux citoyens que le matelas sur lequel l’État allait puiser pour être à mesure de subventionner s’effrite. Il va falloir qu’on augmente les prix pour qu’on ne joue pas avec la possibilité de nous approvisionner de manière régulière. »
À ce stade, aucune décision n’a été prise.
♦ À Madagascar, une hausse du prix de l’essence qui semble inéluctable
À Madagascar, le prix des carburants est fixé par l’État. Toutes les stations-service pratiquent donc les mêmes tarifs. Ainsi, malgré les variations du prix du baril du brut, les prix à la pompe n’ont quasiment pas changé en quatre ans. Une situation rendue possible grâce aux autorités qui subventionnent les carburants depuis 2010. Difficile, selon les spécialistes, que l’État puisse compenser encore longtemps la différence entre le prix affiché et le prix de vente réel par les compagnies pétrolières.
Comme les autres pays importateurs de pétrole, Madagascar subit la hausse du cours de l’or noir, causée par la guerre en Ukraine, mais de manière discrète. À la pompe, les prix n’ont pas changé, et contre toute attente, mercredi soir, le gouvernement a préféré reporter cette décision difficile.
« C’est une petite bouffée d’oxygène, mais ça ne va pas durer. Cette augmentation des prix est inévitable. C’est un choix politique : entre l’appliquer dans l’immédiat ou plus tard. Parce qu’il faut aussi avoir en tête que l’inflation aura des conséquences sociales », analyse David Rakoto, enseignant chercheur en économie, à l’université d’Antananarivo.
Ces conséquences, Laura, une consommatrice à l’origine de la création du collectif de consommateurs désabusés, les imagine déjà : « À chaque fois qu’on va à l’épicerie, on voit que les prix des produits de première nécessité augmentent chaque semaine. Le prix de l’électricité a déjà triplé. On sait que ça va augmenter tôt ou tard et j’imagine qu’avec une augmentation du prix de l’essence, la situation va encore empirer. »
Pour que le prix à la pompe n’augmente pas de manière trop élevée, l’économiste rappelle que le gouvernement dispose d’autres moyens que la simple baisse des subventions : « Par exemple, la réduction des taxes perçues par l’État sur les produits pétroliers. Parce que la part de ces taxes est encore très élevée. Elle représente encore 40% du prix du pétrole. Donc si l’État fait une concession sur ces taxes-là, cela pourrait alléger l’augmentation du prix. On pourrait aussi jouer sur le taux de change, en décidant notamment d’appliquer un taux de change fixe pour l’importation du pétrole. Il faut aussi essayer de garder le pouvoir d’achat, surtout celui de la classe moyenne parce que si la consommation diminue, la production va diminuer aussi et ce sera la récession économique. Le chômage va augmenter, et quand le chômage augmente, parallèlement à l’inflation, il y a un grand risque d’explosion sociale. En plus de cela, si les salaires des fonctionnaires, de certaines entreprises publiques continuent à ne pas être payés à temps comme c’est déjà le cas aujourd’hui, il y a un risque d’instabilité politique. »
Vu la dépendance de Madagascar aux importations, les analystes prévoient quoi qu’il en soit, une inflation généralisée dans le pays, à court terme.
rfi