Une commission ayant enquêté en Gambie sur les crimes commis durant le régime de Yahya Jammeh réclame que les principaux responsables soient jugés. Elle n’a pas donné leur nom, mais les victimes ne doutent pas que l’ancien dictateur figure parmi eux.
La Commission vérité, réconciliation et réparations (TRRC) a remis jeudi au président Adama Barrow un rapport très attendu contenant le résultat de mois d’investigations et d’auditions sur les années Jammeh, ainsi que ses recommandations sur les suites à y donner, a constaté un correspondant de l’AFP.
La TRCC n’a pas publié le contenu du rapport, mais un communiqué.
“Dans son rapport, la Commission identifie et recommande des poursuites contre ceux qui portent la plus grande responsabilité dans les violations grossières des droits humains commises aussi bien contre des Gambiens que des non-Gambiens entre juillet 1994 et janvier 2017”, les années au pouvoir de Yahya Jammeh, dit le communiqué sans citer de nom.
L’une des grandes interrogations porte sur les recommandations contenues dans ce document en 17 volumes, à commencer par celle sur la nécessité ou non que l’ancien autocrate aujourd’hui en exil en Guinée Equatoriale rende des comptes.
La TRCC rappelle l’étendue des crimes perpétrés sous Yahya Jammeh dans ce petit pays pauvre et enclavé d’Afrique de l’Ouest: assassinats, actes de tortures, disparitions forcées, viols et castrations, arrestations arbitraires, chasses aux sorcières, jusqu’à l’administration contrainte d’un traitement bidon contre le sida. Entre 240 et 250 personnes sont mortes entre les mains de l’Etat et de ses agents, dit-elle.
Le communiqué ne dit pas qui le rapport désigne à des poursuites. “Je ne peux pas donner de noms”, a dit à la presse le président de la Commission Lamin Sise. Mais les noms figurent “explicitement” dans le rapport, dit le communiqué.
Le fait que la TRCC demande que Yahya Jammeh soit jugé ne fait aucun doute pour les victimes, selon Reed Brody, le défenseur des droits humains qui les a assistés et s’est fait une spécialité de telles causes.
La Commission n’a laissé “aucun doute quant au fait que Yahya Jammeh est en tête de liste des anciens fonctionnaires” dont elle recommande qu’ils soient poursuivis, a-t-il dit dans un communiqué endossé par 11 organisations gambiennes et internationales. “Le compte à rebours jusqu’au jour où Yahya Jammeh devra faire face à ses victimes est lancé”, dit-il.
– Escadrons de la mort –
Le président Barrow, qui a succédé à Yahya Jammeh en 2017, a assuré aux victimes “que justice sera faite”. “Je vous rassure tous quant au fait que dans six mois nous produirons un livre blanc” sur les recommandations, a-t-il dit en recevant le rapport.
M. Barrow dispose d’un délai d’un mois pour soumettre un résumé du rapport à l’Assemblée nationale et aux organisations internationales comme la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’ouest (Cédéao), l’ONU. Il a six mois pour décider des suites à donner aux recommandations, selon un responsable de la TRRC.
L’exercice est délicat pour lui, même si les délais lui permettent de voir venir, sans avoir à se prononcer avant la présidentielle du 4 décembre. M. Jammeh conserve de nombreux supporteurs dans son pays. Son sort est l’un des thèmes majeurs de la campagne présidentielle.
M. Barrow est candidat à sa réélection et M. Jammeh s’implique à distance dans la campagne.
La TRRC, créée en 2017, a entendu de janvier 2019 à mai 2021 393 témoins, victimes mais aussi d’anciens “junglers” (“broussards”), les membres des escadrons de la mort du régime, venus raconter au cours d’auditions publiques parfois bouleversantes les multiples atrocités commises sous Yahya Jammeh. De nombreuses dépositions ont directement mis en cause M. Jammeh, 56 ans aujourd’hui.
La TRRC avait qualifié dans un rapport intérimaire publié en avril 2020 les violations des droits humains sous Yahya Jammeh de “massives, effroyables et diverses”.
Après la présidentielle de fin 2016 remportée par M. Barrow et six semaines d’une crise à rebondissements provoquée par le refus de M. Jammeh de céder le pouvoir, ce dernier avait finalement dû quitter le pays pour la Guinée équatoriale, sous la pression d’une intervention militaire ouest-africaine et à la suite d’une ultime médiation guinéo-mauritanienne.