Addis-Abeba est accusé par les organisations de défense des droits humains de multiplier les arrestations ciblant les Tigréens.
L’arrestation de 22 employés éthiopiens des Nations unies marque une nouvelle étape dans le bras de fer qui oppose le gouvernement d’Addis-Abeba à la communauté internationale. Mardi 9 novembre, l’ONU a appris qu’une vingtaine de ses employés locaux ainsi que leurs familles étaient détenus dans différents commissariats de la capitale éthiopienne. Ce coup de filet inédit intervient alors que d’intenses efforts diplomatiques ont lieu à Addis-Abeba pour tenter d’arracher un cessez-le-feu et mettre un terme à la guerre qui oppose le gouvernement du premier ministre, Abiy Ahmed, aux rebelles des Forces de défense tigréennes (TDF) depuis un an.
L’institution new-yorkaise n’a reçu aucune explication de l’Ethiopie à propos de ces arrestations. « Nous travaillons bien entendu activement avec le gouvernement éthiopien pour obtenir leur libération immédiate », a expliqué Stéphane Dujarric, le porte-parole de l’ONU à New York. Hier, 16 employés étaient toujours détenus dans la soirée tandis que six autres ont été libérés.
Ces membres de différentes agences onusiennes ont été interpellés à Addis-Abeba, lundi et mardi, révèle une source humanitaire. D’après le porte-parole gouvernemental éthiopien, Legesse Tulu, ils ont été appréhendés par la police « à cause de leurs méfaits et de leur participation à des actes de terreur ». Mais l’agence Associated Press révèle que ces travailleurs onusiens seraient, en réalité, tous d’origine tigréenne et auraient fait l’objet de profilage ethnique, ce dont se défend la police éthiopienne.
« Absolument inacceptables »
Les forces de l’ordre sont venues les arrêter à leur propre domicile, embarquant également leurs proches. Le harcèlement et la détention d’une personne en fonction de son ethnie sont « absolument inacceptables », a tenu à rappeler, mardi, Ned Price, le porte-parole du secrétariat d’Etat américain. Ce ne serait pourtant pas une première : en novembre 2020, dans la région Amhara, frontalière du Tigré en guerre, la police avait demandé au Programme alimentaire mondial une liste de ses employés tigréens, ce que cette agence onusienne avait catégoriquement refusé.
L’état d’urgence décrété le 2 novembre en Ethiopie autorise la police fédérale à mener ce type d’arrestations sans mandats d’arrêt ainsi que des perquisitions sans permis. La disposition a officiellement pour but de démasquer les « espions » parmi la population. Sauf qu’elle est, pour l’instant, principalement utilisée pour traquer les citoyens d’origine tigréenne. Plusieurs groupes de défense des droits de l’homme craignent que des milliers d’entre eux soient en ce moment détenus dans la capitale éthiopienne.
Ce n’est pas là le premier incident entre le gouvernement éthiopien et les Nations unies, qui comptent 2 398 employés locaux dans le pays. Déjà, en septembre, sept hauts responsables de l’Unicef, du Haut-Commissariat aux droits de l’homme et de l’OCHA avaient été déclarés persona non grata, et obligés de quitter l’Ethiopie. Une décision extrêmement rare à une telle échelle.
Avant leur expulsion, Martin Griffiths avait provoqué l’ire d’Addis-Abeba en mettant en cause le gouvernement éthiopien, responsable, selon lui, « d’un blocus humanitaire de facto » autour du Tigré. Dans la province du Nord, une partie de la population est désormais exposée à la famine.
Alors que des émissaires, notamment américain et de l’Union africaine, ont rencontré, ces derniers jours, les différents belligérants à Addis-Abeba, à Makalé, la capitale du Tigré, et au Kenya à Nairobi, les perspectives de paix semblent s’éloigner. Selon une source diplomatique, les deux parties ne s’accordent toujours pas sur les conditions préalables à un cessez-le-feu. Lundi, la chef des affaires politiques des Nations unies, Rosemary DiCarlo, constatait à New York : « Le risque d’une guerre civile généralisée en Ethiopie n’a jamais été aussi réel qu’à l’heure actuelle. »
Mardi, l’ambassade britannique a appelé ses ressortissants à quitter l’Ethiopie, comme l’avaient déjà fait les Etats-Unis et plusieurs autres pays. Washington a aussi ordonné, ce week-end, le départ de ses diplomates non essentiels. En fin de matinée, on apprenait que 72 chauffeurs du PAM étaient retenus dans le nord du pays.
Source: le Monde