Les affrontements entre manifestants et forces de sécurité ont fait un nouveau mort jeudi à Khartoum, au quatrième jour d’un coup d’Etat militaire refusé par la rue et par la communauté internationale qui veulent le retour des civils au pouvoir au Soudan.
Lundi, le général Abdel Fattah al-Burhane, désormais seul aux commandes de ce pays pauvre d’Afrique de l’Est plongé dans le marasme politique et miné par les conflits, a dissous le gouvernement censé assurer la transition vers la démocratie et arrêté ministres et hauts responsables civils.
Après des jours de tractation, notamment du fait de la réticence russe à condamner le putsch, le Conseil de sécurité de l’ONU a réclamé jeudi « le rétablissement d’un gouvernement de transition dirigé par des civils » dans un pays sorti il y a deux ans de 30 années de dictature.
Entre manifestants décidés à rester dans la rue jusqu’au retour d’un cabinet civil et forces de sécurité armées de fusils, de grenades lacrymogènes et de balles en caoutchouc, au moins huit manifestants ont été tués et 170 blessés depuis lundi, selon des médecins.
Jeudi en début de soirée, deux manifestants se trouvaient dans un état critique et « il pourrait y avoir d’autres morts mais il est difficile d’établir des contacts avec Khartoum-Nord pour avoir confirmation », ajoute le Comité des médecins, un syndicat prodémocratie.
Dans cette banlieue séparée de la capitale soudanaise par le Nil, les forces de sécurité tiraient, utilisaient des balles en caoutchouc et des grenades lacrymogènes sur les manifestants, de même que dans le très turbulent quartier de Bourri, dans l’est de la capitale, ont constaté des journalistes de l’AFP.
Dès l’annonce du coup d’Etat, les partisans d’un transfert du pouvoir aux civils se sont attelés à monter des barricades, entassant branchages, pneus brûlés et pierres en travers des avenues de Khartoum.
Aujourd’hui, ils défendent leurs barrages de fortune pour paralyser le pays avec une campagne de « désobéissance civile » décrétée par la quasi-totalité des partis d’opposition, syndicats et autres associations.
De fait, seules quelques boulangeries sont ouvertes, où se pressent des familles. Les rideaux de fer des magasins, banques et restaurants restent baissés.
– Rendez-vous samedi –
« Les forces de sécurité tentent de démanteler toutes les barricades », explique à l’AFP Hatem Ahmed, un manifestant. « On les réinstalle dès qu’elles partent. On ne partira que quand un gouvernement civil sera institué ».
« On ne veut pas du pouvoir militaire, on veut une vie démocratique libre », martèle un autre protestataire qui soutient « la grève générale ».
Sur les réseaux sociaux, accessibles en de rares endroits dans un pays où les autorités ont coupé l’internet, les appels à la mobilisation massive samedi se multiplient.
Les militants veulent « un million de manifestants » pour réclamer que le général Burhane, commandant militaire durant les trois décennies de pouvoir sans partage d’Omar el-Béchir, rejoigne ce dernier en prison.
En 1989, M. Béchir, lui aussi un général, avait pris le pouvoir par un coup d’Etat contre le Premier ministre élu démocratiquement Sadeq al-Mahdi. Avant d’être mis à l’écart par l’armée en avril 2019 sous la pression d’une révolte populaire.
– « Heures sombres » –
Lundi, c’est Abdallah Hamdok, le chef du gouvernement de transition mis en place en 2019, qui a été renversé par le général Burhane. Il est chez lui à Khartoum mais n’est « pas libre de ses mouvements » selon l’ONU.
Sa ministre des Affaires étrangères Mariam al-Sadek al-Mahdi, fille du Premier ministre renversé par Béchir et une des rares responsables civils à ne pas être en détention, a salué les diplomates — au nombre de 68 selon l’un d’eux — ayant condamné le coup d’Etat.
Le général Burhane a lui limogé six ambassadeurs protestataires, dont ceux en Chine, auprès de l’Union européenne, en France et aux Etats-Unis.
Mercredi, l’émissaire de l’ONU Volker Perthes a redit devant MM. Hamdok et Burhane la nécessité d’un « retour au processus de transition » et d’une « libération immédiate de tous ceux arrêtés arbitrairement ».
Car les forces de sécurité ont détenu aussi militants et manifestants, dont le numéro deux du parti Oumma de Mme Mahdi.
Faisant monter la pression sur l’armée, l’Union africaine a suspendu le Soudan et les Etats-Unis et la Banque mondiale ont cessé leur aide.
Pour expliquer son coup de force, le général Burhane a invoqué mardi le risque de « guerre civile » après une manifestation massive contre l’armée.
Mais les Occidentaux et plusieurs organisations internationales ont réclamé le retour du pouvoir civil.
Pour ne pas « retourner aux heures sombres de l’histoire du Soudan », a tweeté le chef de la diplomatie européenne Josep Borrell.
Source: La Minute Info