Quatre mois après être rentré en Côte d’Ivoire, Laurent Gbagbo signe officiellement son retour sur la scène politique nationale et africaine avec le lancement d’un parti qui s’affiche résolument socialiste et panafricaniste. Cette nouvelle formation dont il est le président a déjà les yeux rivés sur la présidentielle de 2025.
“Notre parti va entrer en scène avec une feuille de route claire pour une Afrique debout, émancipée, développée et intégrée économiquement. L’Afrique ouvre une nouvelle page de son Histoire”, a déclaré Ahoua Don Mello, proche collaborateur de l’ancien Président ivoirien Laurent Gbagbo.
Cet ancien ministre et porte-parole du dernier gouvernement de Laurent Gbagbo (de retour en Côte d’Ivoire le 9 octobre après 10 années d’exil) s’exprimait au micro de Sputnik en marge du congrès du nouveau parti de l’ex-chef de l’État ivoirien baptisé “Parti des Peuples Africains – Côte d’Ivoire”, qui s’est tenu au Sofitel Hôtel Ivoire d’Abidjan, les 16 et 17 octobre.
L’avenir du continent, à en croire Ahoua Don Mello, s’écrira depuis la Côte d’Ivoire. “Vous savez lorsque vous avez votre leader qui a été déporté à [la Cour pénale internationale de] La Haye par la communauté internationale, qui a subi les assauts de la justice internationale, et qui en est sorti acquitté, il faut noter que c’est un événement historique et un signal très fort adressé à l’humanité pour dire que l’Afrique est en marche“, a-t-il affirmé.
Un retour sur la scène politique ivoirienne et africaine
C’est à chaque fois dans une hystérie collective manifestée par des acclamations et hurlements de joie, et au son d’une musique entraînante que Laurent Gbagbo (vêtu d’un costume bleu nuit au premier jour et d’une chemise blanche au second), telle une rock-star, a fait son entrée dans l’auditorium du palais des congrès du Sofitel Hôtel Ivoire d’Abidjan.
Et si la salle de 1.650 places était pleine à craquer, dehors, sur l’esplanade, ce sont plusieurs centaines de personnes surexcitées à peine contenues par les services de sécurité, bardées de tee-shirts, casquettes, drapeaux et autres accessoires à l’effigie de l’ancien chef de l’État, qui se sont massées durant les deux jours qu’ont duré les assises.
Les organisateurs avaient anticipé un tel engouement et déplacement massif des militants et sympathisants, aussi un “village du congrès” a-t-il été aménagé à Blockhauss, situé à quelques 500 mètres de l’hôtel afin de permettre au maximum de congressistes se suivre en direct sur un écran géant le déroulement des assises.
“Laurent Gbagbo, c’est l’enfant du pays promis depuis toujours à un grand avenir, mais qui a été injustement déporté à La Haye. Malgré tout, il a toujours gardé la tête haute toutes ces années de détention et a fini par triompher de l’injustice internationale. Il mérite amplement tous ces honneurs que nous lui rendons aujourd’hui“, a expliqué au micro de Sputnik Aïcha, une sexagénaire d’origine maghrébine, confortablement assise dans l’un des sièges du luxueux auditorium.
Laurent Gbagbo demeure extrêmement populaire en Côte d’Ivoire. Et sur le continent africain son aura n’a cessé de croître à mesure que son procès devant la Cour pénale internationale (CPI) s’éternisait.
Finalement acquitté des charges de crimes contre l’humanité qui pesaient sur lui et à la suite d’un imbroglio autour de la délivrance de son passeport par les autorités ivoiriennes, l’ancien Président a regagné son pays après 10 ans d’absence le 17 juin dernier, déterminé plus que jamais à poursuivre son combat politique.
Et cela, il l’a clairement réitéré lors de son allocution au dernier jour du congrès qui a vu naître officiellement le Parti des Peuples Africains – Côte d’Ivoire (PPA-CI), formation dont il a été désigné pour en présider la destinée.
“Me voici de nouveau devant vous, nous allons reprendre ensemble notre chemin là où on s’était arrêté. Je ferai la politique jusqu’à ma mort. C’est moi et moi seul qui déciderai sous quelle forme je continue mon combat politique. Je ne suis pas en politique pour arranger ou déranger certains. Je me contente de mettre sur le marché politique des idées“, a martelé l’ancien Président âgé de 76 ans.
Et les idées que le PPA-CI entend promouvoir et défendre, a-t-il souligné devant le parterre de militants, délégations africaines et étrangères, et plus singulièrement des représentants du parti au pouvoir, s’inscrivent dans la “doctrine du socialisme panafricaniste” en vue d’un éveil du continent.
“Quand vous observez le monde actuel, vous voyez que des blocs se dessinent. Mais pendant ce temps en Afrique, chacun veut être Président de son pays. Tant que nous resterons dans nos micro-États, nous ne serons rien”, a-t-il soutenu.
Pour Laurent Gbagbo, c’est un fait: les puissants du monde comme les États-Unis, la Chine, la Russie, et le Canada, pour ne citer que ceux-ci, sont grands par la taille. “Et en Afrique, ceux qui ont une certaine puissance économique, notamment le Nigeria, l’Afrique du Sud, l’Égypte ou encore l’Algérie, le sont aussi”.
À ses détracteurs qui l’accusent de brandir sur le tard un pseudo-panafricanisme, il répond: ” j’ai toujours cru en l’intégration africaine, j’avais entamé le combat dans ce sens, mais j’ai été stoppé dans mon élan par la guerre en 2002. Je n’avais alors plus d’autre souci que de mettre fin à cette guerre pendant près de 10 ans”.
Il entend positionner le PPA-CI comme le porte-étendard de l’intégration africaine. Un leadership salué par les acteurs politiques africains présents et plus particulièrement par le Tchadien Succès Masra qui voit “dans l’option du nouveau parti pour le panafricanisme et un progressisme du 21e siècle une source de grand espoir qui nécessite un courage particulier” et qu’il qualifie de “leadership serviteur”.
L’opposant de 38 ans, figure montante de la politique tchadienne, a par ailleurs appelé Laurent Gbagbo, lors d’une allocution très largement ovationnée au premier jour du congrès, à “transmettre ses valeurs constructives à la jeunesse africaine”. Ce à quoi l’ancien dirigeant lui a en quelque sorte répondu le lendemain en ces termes:
“À cet âge-ci et après le parcours qui est le mien, la sagesse est de songer à partir. Mais j’ai décidé de ne pas partir brusquement sans avoir préparé mon départ. Je partirai, mais il faut que vous sachiez que je suis avec vous jusqu’à ce que mes yeux se ferment”.
n nouveau départ sur fond de dissensions
C’est en août dernier, las des dissensions qui perdurent depuis plusieurs années au sein du Front populaire ivoirien (FPI, parti fondé en 1982 par les époux Gbagbo), que Laurent, pour couper la poire en deux, a décidé de créer un nouveau parti et de laisser ainsi entre les mains de son ancien Premier ministre Pascal Affi N’Guessan un FPI en “enveloppe vide“.
Simone Gbagbo qui était jusque-là la deuxième vice-présidente de l’aile majoritaire du parti restée fidèle à son désormais futur ex-époux Laurent Gbagbo (la procédure de divorce étant en cours) a brillé par son absence au congrès, lui préférant une conférence évangélique qui se tenait dans le même temps en République démocratique du Congo (RDC). Pour certains observateurs, elle envisagerait de créer son propre parti.
Interrogé par Sputnik sur les désaccords qui opposent Laurent Gbagbo à certains de ses anciens compagnons, Ahoua Don Mello s’est voulu pragmatique:
“La gauche ivoirienne traverse depuis plusieurs années une zone de turbulences marquée par des dissensions internes. Les crises internes occasionnent souvent douleurs et frustrations, il faut laisser le temps que cicatrisent les blessures que les uns et les autres ont subies. Ce qui importe aujourd’hui, c’est de se donner une vision claire du futur que nous désirons, et c’est ce à quoi le nouveau parti s’attelle. Ensuite, nous pourrons inviter les personnes avec qui nous avons des différends à la table des discussions, mais il conviendra de bien leur expliquer notre orientation afin qu’on se donne ensemble la même feuille de route”, a-t-il déclaré.
Réconciliation nationale
Si certains ont brillé par leur absence au congrès constitutif du PPA-CI, d’autres, au contraire, ont eu une présence fort remarquée. C’est le cas d’Adama Bictogo, directeur exécutif du Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP, parti au pouvoir).
Il a expliqué sa présence comme s’inscrivant dans la dynamique de la rencontre qui a eu lieu le 27 juillet dernier entre les Présidents Alassane Ouattara et Laurent Gbagbo.
“Le Président Alassane Ouattara dans sa volonté affichée de renforcer la cohésion sociale m’a instruit de conduire une délégation composée de six députés pour venir apporter notre soutien à la création de ce nouveau parti. Le RHDP ne fera pas l’économie de sa relation avec le PPA-CI. La Côte d’Ivoire retrouvée doit s’engager résolument dans la paix et la stabilité, sur la base d’un socle départi en chacun de nous de rancœurs et de rancune, pour que l’amour et le pardon puissent prendre le dessus“, a-t-il affirmé.
Source: Sputrnik