L’armée a refusé, lundi matin, de laisser le président du Parlement et chef du principal parti parlementaire, Ennahda, Rached Ghannouchi, accéder au bâtiment à Tunis.
Des affrontements ont éclaté, lundi 26 juillet, devant le Parlement tunisien au lendemain de la suspension de ses activités et du limogeage du premier ministre, Hichem Mechichi, plongeant la jeune démocratie dans une crise constitutionnelle.
Dimanche soir, après une journée de manifestations dans de nombreuses villes du pays, le président Kaïs Saïed a annoncé le « gel » des activités du Parlement pour trente jours. Il a donc aussi démis de ses fonctions le chef du gouvernement dans un contexte de fort ressentiment populaire envers le gouvernement pour sa gestion de la crise sociale et sanitaire.
Devant le Parlement à Tunis, plusieurs centaines de partisans du président Saïed ont empêché, lundi, les soutiens du principal parti parlementaire Ennahda de se rapprocher de leur chef, Rached Ghannouchi, également président de la Chambre. Des jets de bouteilles et de pierres ont eu lieu de part et d’autre. A bord d’une voiture stationnée devant la porte close du bâtiment depuis plusieurs heures, M. Ghannouchi était empêché d’y entrer par des forces militaires, a constaté l’Agence France-Presse sur place.
Mises en garde internationales
Le président de la République se chargera lui-même du pouvoir exécutif « avec l’aide d’un gouvernement dont le président sera désigné par le chef de l’Etat », avait déclaré, la veille, M. Saïed à l’issue d’une réunion d’urgence au palais de Carthage avec des responsables des forces de sécurité.
Ennahda, formation d’inspiration islamiste, a fustigé les mesures de M. Saïed, dénonçant « un coup d’Etat contre la révolution et contre la Constitution », dans un communiqué publié dimanche soir sur Facebook. A l’étranger, Ankara, allié d’Ennahda, a appelé à restaurer la « légitimité démocratique » ; et Berlin, à « revenir à l’ordre constitutionnel le plus rapidement possible ». L’Allemagne a également appelé au « respect des libertés civiles, qui est l’un des gains les plus importants de la révolution tunisienne » de 2011.
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En revanche, l’Union générale des travailleurs tunisiens (UGTT), influente centrale syndicale du pays, a, elle, estimé que les décisions du président étaient « conformes » à la Constitution, tout en appelant à la poursuite du processus démocratique. Ces « mesures exceptionnelles prises par le président de la République conformément à l’article 80 de la Constitution » visent à « prévenir un danger imminent et à rétablir le fonctionnement normal des rouages de l’Etat, au vu de l’épidémie de Covid-19 », souligne le syndicat dans un communiqué. « Il est temps » que les parties responsables de la situation « dégradée » dans le pays « assument leurs responsabilités » et qu’il soit mis « fin à cette ère qui a mis le feu à la Tunisie », poursuit l’UGTT.
Luttes de pouvoir
Un bras de fer en cours depuis six mois entre M. Ghannouchi et le président Saïed paralyse le gouvernement et désorganise les pouvoirs publics, alors que la Tunisie fait face depuis le début de juillet à un pic épidémique de Covid-19. Avec ses quasi 18 000 morts pour 12 millions d’habitants, le pays a l’un des pires taux de mortalité officiels du monde.
Vers 3 heures du matin, M. Ghannouchi s’est rendu devant le Parlement avec des députés d’Ennahda ainsi que la vice-présidente de l’Assemblée, Samira Chaouachi, du parti allié Qalb Tounes. « Nous voulons entrer au Parlement ! (…) Nous sommes les protecteurs de la Constitution », a déclaré Mme Chaouachi aux militaires déployés derrière une porte fermée du Parlement, selon une vidéo publiée par des médias locaux et partagée sur les réseaux sociaux.
« Nous sommes les protecteurs de la nation », a répondu l’un des militaires avant d’ajouter qu’il appliquait « les instructions ». « Le peuple tunisien n’acceptera jamais un pouvoir autoritaire quelles que soient vos tentatives, donc ne continuez pas dans ce jeu », a réagi alors M. Ghannouchi.
Outre Ennahda, les partis de sa coalition, Qalb Tounes et le mouvement islamiste nationaliste Al-Karama, ont condamné les décisions de M. Saïed. Dans l’opposition, le Courant démocrate, parti social-démocrate qui a plusieurs fois soutenu le chef de l’Etat, a rejeté sa prise de pouvoir. La formation a néanmoins imputé la responsabilité de « la tension populaire et de la crise sociale, économique et sanitaire et le blocage des horizons à la coalition au pouvoir dirigée par Ennahda ».
Après le discours de M. Saïed, des Tunisiens, exaspérés par les luttes de pouvoir et la dégradation de la situation sociale et sanitaire, étaient sortis dans la rue dimanche soir, en dépit du couvre-feu, tirant des feux d’artifice et klaxonnant avec enthousiasme à Tunis et dans plusieurs autres villes.
Source: Le Monde