Les chefs d’État de la Communauté de développement d’Afrique australe (SADC) ont décidé d’intervenir militairement dans le pays. Cependant, ce soutien extérieur risque de ne pas suffire.
Fragilisé par la crise sécuritaire au Cabo Delgado, sa région d’origine, le président Filipe Nyusi a finalement changé d’avis. Bien que, depuis 2017, le nord-est du Mozambique fait figure de nouvelle brèche du jihadisme en Afrique, le président mozambicain avait toujours refusé la moindre intervention militaire étrangère. « Ce n’est pas une question de fierté, c’est une question de souveraineté », plastronnait-il encore début avril, quelques jours après la prise du très stratégique port de Palma par les jihadistes d’Al-Shabab, groupe affilié à l’État islamique. Pour répondre à la crise, Nyusi affirmait alors pouvoir s’appuyer sur ses propres forces armées – à la puissance pourtant limitée – et recourir aux services d’agences de sécurité paramilitaires.
Mais les mercenaires russes de Wagner et sud-africains de Dick Adisory Group, recrutés par Maputo, ne sont pas parvenus à empêcher la dégradation de la situation sécuritaire. En trois ans, le conflit a fait plus de 2 800 morts, et 800 000 déplacés, dont certains ont trouvé refuge en Tanzanie. Soumis à une très forte pression de la part de ses homologues, inquiets de voir se développer un nouveau point d’instabilité, le chef de l’État mozambicain a donc fini par céder. Le 23 juin, à l’issue du sommet extraordinaire de la Communauté de développement d’Afrique australe (SADC) qui s’est tenu à Maputo, les chefs d’État ont « approuvé la mission de la force d’attente de la SADC pour soutenir le Mozambique dans son combat contre le terrorisme et les violences extrémistes au Cabo Delgado », a annoncé Stergomena Tax, la secrétaire exécutive de l’organisation.
Pénuries de carburant et de munitions
Auparavant, Nyusi a tout fait pour éviter cette issue, sans succès. En acceptant notamment de nouer des partenariats militaires avec des puissances étrangères. Les États-Unis avaient annoncé l’envoi, dès la mi-mars, d’un contingent de formateurs, déployés pour une période de deux mois dans le cadre du programme Joint Combined Exchange Training. Objectif : former les fusiliers marins aux techniques de contre-guerilla pour tenter de reprendre le nord-est.
« Le gouvernement a augmenté le budget de la défense ces dernières années, mais cet effort financier ne s’est pas encore concrétisé sur le terrain. L’armée est confrontée à des pénuries de carburant et de munitions, et le problème perdure », constate le Britannique Nathan Hayes, analyste pays au sein de The Economist Intelligence Unit, un organisme rattaché au célèbre magazine économique. « Résoudre ces problèmes prendra du temps. Un soutien extérieur est donc indispensable », juge l’analyste.
La meilleure preuve de la nécessité de cette implication étrangère est venu le jour même de l’annonce de la SADC d’envoyer des troupes sur place. Lors d’un accrochage avec les milices jihadistes Al-Shabab, un hélicoptère de l’armée qui transportait des troupes sur une zone d’opération, a été victime d’une avarie technique qui l’a forcé à atterrir en urgence près du site d’Afungi, l’un des nombreux sites d’extraction offshore au large des côtes du Mozambique dont la richesse en gaz lui vaut le surnom de « Qatar de l’Afrique ».
« Le manque de moyens aériens – avions, hélicoptères et drones – est l’un des principaux problèmes auxquels est confronté l’armée mozambicaine », souligne Éric Morier-Genoud, professeur à la Queen’s University de Belfast et spécialiste du pays. Mais le chercheur insiste : il est loin d’être le seul. La riposte sécuritaire mozambicaine est aussi minée par les conflits au sein de la chaîne hiérarchique entre les différents acteurs présents sur le terrain.
« Les forces qui combattent au Cabo Delgado sont constituées de l’armée et de la police, cela complique les choses », explique Éric Morier-Genoud. D’autant que « les rivalités entre le ministère de l’Intérieur et la police, d’un côté, et le ministère de la Défense et l’armée, de l’autre, portent préjudice à la lutte contre les milices Al-Shabab », estime en écho Nathan Hayes. Dans ce contexte, Éric Morier-Genoud en vient même à défendre le recours de Maputo aux société militaires privées. « Elles présentent l’avantage d’être moins dépendantes des pouvoirs politiques et sont relativement discrètes », glisse le chercheur.
Crainte d’un conflit sans fin
Mais le constat est là. Forte de quelque 12 000 hommes, l’armée mozambicaine, même soutenue par les supplétifs privés, n’est pas parvenue à mettre en échec les jihadistes d’Al-Shabab, qui comptent de 1 500 à 4 000 combattants, selon des estimations toujours difficiles à établir. L’appui militaire des pays de la région permettra-t-il de palier aux défaillances de l’armée mozambicaine ? Alors que les contours, l’ampleur et le calendrier du déploiement de la force d’attente promise par la SADC ne sont pour l’heure pas connus, le doute est permis. « Les membres de la SADC veulent une intervention, mais craignent de s’enliser dans un conflit sans fin. En face, les autorités mozambicaines vont faire leur possible pour cantonner le soutien de la coalition à la protection des installations gazières qui représentent une manne financière pour le pays », juge Nathan Hayes.
« Il faut trois ans pour lancer une guérilla et dix ans, au minimum, pour y mettre fin, tranche Eric Morier-Genoud. Et dans cette région, le terrain est extrêmement difficile, avec des forêts très denses. Il ne faut pas mettre trop d’espoir dans une résolution rapide grâce à l’intervention promise par la SADC. » Le chercheur est d’autant plus prudent que l’intervention sera de faible ampleur, « probablement moins de 3 000 hommes », estime-t-il.
Les interventions étrangères et les pressions de la communauté internationale ne sont également pas exemptes d’arrière-pensées. « Nyusi a fini par reconnaître qu’Al-Shabab représente une menace grave qu’après avoir rencontré le président Emmanuel Macron et le PDG de Total, Patrick Pouyanné », rappelle Nathan Hayes. Initialement prévue pour 2021, « la reprise des travaux sur le site Area 1 de Total est prévue pour 2023 », ajoute l’analyste. De là à considérer que la France s’est employée à ce que l’Union européenne envoie des formateurs militaires, comme cela a été annoncé le 30 juin, il n’y a qu’un pas. Quoiqu’il en soit, ce soutien supplémentaire ne sera pas de trop pour Maputo.
Source: Jeune Afrique