Tels sont les résultats du Mali-Mètre, un sondage qui, malgré l’insécurité, continue de mesurer l’opinion publique sur l’ensemble du territoire chaque année.
Sonder l’opinion publique au Mali est un défi difficile à relever. Dans ce pays désertique grand comme deux fois la France, où les groupes djihadistes et les milices contrôlent plus des deux tiers du territoire, la parole des citoyens reste souvent confidentielle. Le Mali-Mètre, un sondage publié par la fondation allemande Friedrich-Ebert, est l’un des rares baromètres qui continuent de mesurer l’opinion publique sur l’ensemble du territoire chaque année. Sa dernière édition, fruit d’un travail de terrain réalisé entre le 8 et le 26 mars (soit deux mois avant le coup d’Etat du 24 mai) auprès de 2 258 personnes réparties dans les onze capitales régionales du pays, a été publiée en juin.
Retour de la paix et de la sécurité, emploi des jeunes, bonnes récoltes : les priorités des Maliens sont restées les mêmes qu’en 2020. Signe que les problèmes perdurent. La guerre, circonscrite à la partie nord du pays entre 2012 et 2015, s’est ensuite étendue au centre et glisse désormais vers le sud. Elle laisse derrière elle des jeunes sans perspective d’avenir et des agriculteurs souvent privés de l’accès à leurs champs par les groupes armés.
Le Mali-Mètre souligne la vive inquiétude des populations du sud, jusqu’ici plutôt épargnées par les conflits. A Sikasso, plus de la moitié des habitants estiment que le niveau d’insécurité a augmenté depuis le début de 2021. A l’échelle nationale, ils sont en moyenne quatre sur dix à le penser. Les Sikassois craignent de voir leur région devenir, après le nord et le centre, le nouveau front du djihadisme au Mali. L’attaque perpétrée fin mai contre le poste de contrôle de Bougouni, situé à 170 km au sud de Bamako, souligne le risque de plus en plus accru d’un encerclement de la capitale par les groupes djihadistes.
« Instrumentalisation » du sentiment antifrançais
Las de voir l’insécurité progresser malgré une forte présence internationale (15 000 casques bleus au sein de la mission de l’ONU, la Minusma, 5 100 soldats français au sein de la force « Barkhane » et 5 000 hommes de la Force conjointe du G5 Sahel), la majorité des Maliens sondés (28,6 %) disent ne faire confiance en aucun de ces acteurs internationaux pour stabiliser le pays. Les hommes de « Barkhane » sont les moins crédibles à leurs yeux puisque seuls 9 % d’entre eux disent avoir confiance dans les Français.
C’est dans le sud du Mali, là où l’empreinte terroriste est la plus faible, que le désamour envers les soldats tricolores est le plus grand. Ainsi, à Bamako, trois personnes sur cinq se disent insatisfaites du travail de « Barkhane », contre seulement une sur cinq dans la région de Gao, épicentre des conflits djihadistes et de l’action militaire française.
« Le fait que les populations les moins confrontées à “Barkhane” et aux réalités de son action soient les plus critiques souligne une certaine instrumentalisation du sentiment antifrançais par les mouvements politiques », analyse Lamine Savane, enseignant-chercheur à l’université de Ségou. Selon lui, les politiques maliens « invectivent la France et poussent les Bamakois à manifester contre sa présence pour que leur propre responsabilité dans cette crise soit moins scrutée ».
Les forces armées nationales, elles, remportent l’adhésion massive des sondés, avec un ratio de satisfaction qui culmine à 93,3 %, soit 1,2 point de plus que lors du Mali-Mètre précédent, en mars 2020. Pourtant, l’an dernier, les forces de sécurité seraient responsables de la mort de 322 civils, contre 87 en 2019, selon l’ONG Armed Conflict Location and Event Data Project (Acled). Pour Lamine Savane, ce paradoxe souligne l’importance du sentiment nationaliste : « La majorité des Maliens sont prêts à soutenir coûte que coûte leur armée, en occultant ses échecs et en mettant la responsabilité sur autrui. »
La justice en tête des instances les plus corrompues
Politiquement aussi, les Maliens affichent un franc soutien aux autorités de transition mises en place au lendemain du premier coup d’Etat, le 18 août 2020, qui avait déposé le président Ibrahim Boubacar Keïta, dit « IBK ».
Ainsi, les deux tiers des sondés se disent satisfaits de la gestion de la transition – une opinion recueillie deux mois avant le second putsch, perpétré le 24 mai par les hommes dirigés par le colonel Assimi Goïta, l’actuel président de la transition. « Il faut relativiser ce soutien, estime Lamine Savane. Cette confiance affichée veut juste dire que les Maliens préfèrent les putschistes au régime d’IBK. Ils se disent que les militaires ne peuvent pas faire pire qu’IBK, alors ils les soutiennent, et ce malgré une situation sociale et sécuritaire qui est loin de s’améliorer. »
Au printemps 2020, une marée humaine était descendue dans les rues pour réclamer le départ d’IBK, dont le clan était accusé de corruption et de népotisme. Les putschistes ne semblent pas avoir réussi à enrayer le phénomène, puisque plus de neuf sondés sur dix pensent que le niveau de corruption reste élevé dans le pays. Comme lors du sondage précédent, la justice arrive en tête des instances les plus corrompues, selon les répondants au Mali-Mètre.
Et c’est dans le nord que ce manque de confiance est le plus criant. Là-bas, plus d’un Malien sur deux pense que la justice est inefficace pour juger les criminels. Depuis le début de la guerre, les magistrats, comme le reste des représentants de l’Etat, continuent de fuir le nord du pays. Au 30 avril, seuls 14 % des administrateurs civils y étaient à leur poste, selon l’ONU. Face à l’absence persistante de l’Etat, les citoyens du nord recourent de plus en plus aux mécanismes traditionnels de gestion de la vie courante. A commencer par la justice, administrée par des juges islamiques dans plusieurs localités.
Source: le Monde