Les quinze membres ont pour le moment échoué à se mettre d’accord sur une réaction commune face au désastre humanitaire.
Il faudra encore attendre. Malgré les nombreuses alertes sur un risque imminent de famine dans la région éthiopienne du Tigré, les quinze membres du Conseil de sécurité de l’ONU ont pour le moment échoué à se mettre d’accord sur une réaction commune.
Sept mois après le début de l’opération militaire lancée par Addis-Abeba dans cette province accusée de rébellion, la situation humanitaire y est pourtant catastrophique. L’ONU estime que 91 % de la population du Tigré va avoir besoin d’aide alimentaire. Et selon le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies (OCHA), il s’agit de la situation la plus grave depuis la famine qui avait fait 250 000 victimes en Somalie il y a dix ans. « C’est la pire situation d’insécurité alimentaire que j’ai vue depuis des années », confirme Mark Lowcock, le patron de l’OCHA.
Au cours des derniers mois, le responsable onusien a envoyé quatre notes d’alerte au Conseil de sécurité, comme cela est fait « à chaque fois que nous pensons qu’un conflit pourrait amener à une situation d’insécurité alimentaire ou à la famine », explique-t-il. Les trois premières alertes avaient poussé les quinze membres à se réunir – à huis clos – mais la dernière, envoyée il y a deux semaines, n’a eu aucun effet.
Violences sexuelles
L’Irlande et le Niger, chargés du sujet « conflits et malnutrition » au sein du Conseil de sécurité, ont proposé une réunion ouverte, mais ils se heurtent à d’importants blocages, y compris pour faire une simple déclaration commune, en particulier de la part de la Russie. « Les liens entre Moscou et Addis-Abeba se sont beaucoup resserrés ces derniers mois, explique Ashish Pradhan, de l’International Crisis Group (ICG). Les deux partis au pouvoir ont par exemple signé un accord afin de travailler ensemble plus étroitement. »
« Les diplomates russes ont commencé à répandre l’idée que Mark Lowcock outrepassait ses fonctions, que ce qu’il disait n’avait rien à voir avec des affaires humanitaires », raconte un observateur. La semaine dernière, pour justifier leur blocage, ils ont même suggéré que le patron de l’OCHA, qui quittera ses fonctions le 18 juin, « voulait faire un dernier coup d’éclat avant son départ ».
Les partisans d’une ferme condamnation de la situation au Tigré avaient espéré que la dernière réunion du Conseil de sécurité sur ce dossier, qui a eu lieu à huis clos le 15 avril, ferait pencher la balance. Mark Lowcock y avait dénoncé la famine et les violences sexuelles utilisées comme armes de guerre. « Près d’un quart des rapports reçus par les agences [de l’ONU] font état de viols collectifs, avait décrit le responsable onusien. Dans certains cas, les femmes ont été violées à plusieurs reprises pendant plusieurs jours. Des filles âgées d’à peine 8 ans sont prises pour cible. »
Quelques minutes après, l’ambassadrice américaine à l’ONU, Linda Thomas-Greenfield, avait à son tour fait une plaidoirie passionnée. Faisant remarquer que le Conseil de sécurité parvenait à s’entendre sur la Birmanie et non sur le Tigré, elle avait pris l’assistance à témoin, demandant si « les vies africaines ne comptaient pas autant ». Une simple déclaration, a minima, avait été rendue publique le 22 avril, dans laquelle les membres du Conseil se disaient « préoccupés ».
Endiguer la crise
Toutefois, les récits de violences ont semble-t-il poussé certains pays, a priori réticents à toute interférence du Conseil de sécurité, à faire évoluer leur position. C’est le cas du groupe de pays surnommé « A3 + 1 » (Niger, Afrique du Sud, Tunisie et Saint-Vincent-et-les-Grenadines), qui seraient plus enclins à accepter une déclaration commune forte. Mais la position russe, elle, n’a pas changé.
Il est pourtant impératif que les quinze membres se saisissent à nouveau du dossier, martèle Mark Lowcock : « Le Conseil doit appeler publiquement à cesser les hostilités et à faciliter le travail des agences humanitaires. C’est important, car ses demandes sont écoutées par les dirigeants du monde entier. Nous devons empêcher une tragédie humanitaire. » Le chef de l’action humanitaire des Nations unies cherche à rassembler 850 millions de dollars (environ 700 millions d’euros) pour endiguer la crise.
A 11 000 km de New York, le spectre de la famine ramène l’Ethiopie à la tragédie vécue par le pays pendant les années 1980 : plus de 1 million de personnes étaient mortes. « Je n’ai jamais oublié certaines des choses que j’ai vues à ce moment-là, confie Mark Lowcock. Nous devons empêcher une nouvelle tragédie, car c’est une crise humanitaire qui aura des conséquences sur le Tigré, mais aussi sur tout le pays et l’ensemble de la région, pour longtemps. »
Les discussions du Conseil de sécurité sur le Tigré pourraient reprendre « dans le courant de la semaine », selon une source diplomatique. Si les diplomates russes lèvent leur blocage.
Source: le Monde